Je me souviens de la première fois où j’ai vu un tatouage sur une femme. C’était il y a environ 30 ans, au cours d’une vente aux enchères combinée avec un marché aux puces. Le tatouage représentait un serpent multicolore, étalé sur son épaule et son dos tannés. Je me souviens que cela m’avait stupéfié, me sentant comme quelqu’un qui au détour d’un joli palais de justice ancien, découvre que sa façade arrière a été barbouillée de dix mètres de tags peints par des gangs.
J’avais déjà vu des tatouages, sur des hommes. La plupart appartenaient à 2 ou 3 catégories : l’ancre de Popeye sur le biceps ; le nom de la fille préférée du gars, qui était quelque fois Ma ; ou quelque insigne lié à un service dans l’armée. Ils étaient modestes, et ils marquaient l’homme comme appartenant à la classe ouvrière. La plupart étaient d’un bleu ou d’un vert d’encre, au ton rabattu. Ils n’étaient pas beaux, mais la dégradation était minime.
Maintenant, bien sûr, il y a des tatouages partout, même sur les cous et les visages, et les femmes en portent autant que les hommes. L’autre jour, j’ai vu une fille par ailleurs jolie, qui avait un anneau dans le nez, comme une truie primée. Une de mes étudiantes a un piercing à la lèvre. Des mecs qui n’ont pas de muscles et qui veulent avoir l’air de durs font des crêtes à leurs sourcils. Maintenant, nous avons même droit à des gens qui avec la chirurgie plastique, se font faire des trous dans la figure, et ainsi on peut voir leurs crocs sur le côté, juste comme quand on soulève la babine d’un chien pour lui ôter de force un os de poulet d’entre les dents.
Je me souviens aussi – il y a longtemps, et la mode n’en a pas passé – de la première fois où j’ai vu un homme portant son pantalon au ras des fesses, ce qui le faisait ressembler à un lusus naturae, un mètre trente de pagaille masculine posée sur des jambes de pantalon décousues qui remontent à peine au-dessus du genou. C’est pratiquement impossible de marcher dans cette tenue, sans balancer les hanches d’un côté à l’autre, comme un brave type infirme que j’ai connu autrefois. Il avait attrapé la polio quand il était enfant. Ce mec-là, par contre, était infirme d’autre chose.
La première chose que les gens disent face à de telles réactions, c’est que ce sont des modes, et que chaque génération pense que les façons de faire des jeunes sont décadentes, comme si je n’y avais pas pensé moi-même. Eh bien, ce n’est pas vrai. Dans la plupart des endroits et des époques, les jeunes ont porté les mêmes choses que portaient leurs anciens, ont dansé les mêmes danses, chanté les mêmes chansons et joué aux mêmes jeux amusants. Mais il y a des choses qui sont décadentes.
Dietrich von Hildebrand a écrit qu’un des privilèges de l’être humain était que nous pouvons élever la création autour de nous pour qu’elle prenne part à la vie de l’esprit. Nous pourrions dire que la nature humaine frémit dans un équilibre instable. Nous nous élevons à la pleine stature du Christ, transformant tout en Lui, ou bien nous retournons à l’état de bête.
On peut le voir sur la figure – le regard bestial du débauché, l’air dur et renfrogné du cynique, l’expression vide et minérale de l’avare. Regardez le visage de l’un de nos candidats à la présidence, et remarquez les marques terribles de l’ambition, et le mépris mal dissimulé envers les personnes mêmes que le candidat doit concourir à séduire, flatter et soudoyer. Imaginez ce que cela doit être de devoir vivre derrière cette tête-là !
Paul Florensky, prêtre orthodoxe, scientifique et mystique – assassiné par les soviétiques, bien sûr, pendant les jours où Staline faisait rage dans les salons à la mode de la gauche américaine – disait qu’il y a deux choses irréconciliables qu’un peintre d’icônes peut présenter au monde : L’une est une expression du visage, et l’autre un masque.
L’expression du visage d’un saint est sa ressemblance unique avec Dieu : La lumière de la grâce transparait dans les particularités de sa chair. C’est l’humble tâche du peintre d’icône de révérer cette expression et d’en apprendre quelque chose.
Par contraste, le masque est une chose ténébreuse, quelque brillante qu’elle soit. Il met une barrière entre l’observateur et la vérité, et entre celui qui porte le masque et Dieu. C’est un produit de la fantaisie arbitraire de l’homme, comme les formes démoniaques et bestiales par lesquelles le païen traduit la connaissance naturelle, mais sans grand fondement, qu’il a de Dieu.
Nous vivons à une époque de masques fantasmagoriques, qui vandalisent la deuxième plus belle chose de l’existence physique, le corps, et qui tourne en panneau d’affichage de l’ego la plus belle chose de l’existence physique, la chose que Milton, devenu aveugle, rêvait le plus de pouvoir revoir – le divin visage humain. J’insiste, c’est comme si l’abdomen, ou l’entrejambe, ou la poitrine étaient ce qui, à notre avis, nous représente le mieux ; comme si nous étions des bas-ventres qui marchent et qui parlent, avec des petits visages rabougris cachés quelque part plus bas.
Les chiens font leur travail de chien à l’aide de leur instinct. Nous faisons ce que nous faisons par un projet scandaleux.
Les catholiques sont ceux, au monde qui ne devraient pas être étonnés. Comme des idiots, on nous a amenés à faire nous-mêmes pas mal de vandalisme. Il suffit de regarder la façade – je dirais même la sfacciata, la vitrine éhontée – de l’un de nos nouveaux bâtiments publics, disons, une pharmacie ou un grand magasin, ou une boutique de beignets. Il n’y a que des publicités criardes, d’une laideur agressive, avec tout au plus une lueur trompeuse de style architectural humain et vrai, aussi adapté qu’une girouette sur une benne à ordures.
Maintenant, regardez nos églises – les murs nus, les cliquetis commerciaux dans les hymnes, les graffiti de la congrégation obscurcissant le visage du Christ. Et puis, regardons nous, et la manière dont nous nous comportons, nos positions, les prières que nous disons, nos vêtements, nos habitudes de penser à l’église.
Moi-même, je ne fais pas exception. Nous avons tous beaucoup à faire pour devenir enfin humains, c’est-à-dire pour avoir un visage, pas un masque – instaurare omnia in Christo, pour tout établir en Christ.
Le 14 janvier 2016
Source : http://www.thecatholicthing.org/2016/01/14/lessons-from-the-tattooed-lady/