Pendant des dizaines d’années la plupart des laïcistes ont minimisé les conflits culturels de l’Amérique. Les conflits, répétaient-ils, étaient des inventions des conservateurs et des chrétiens, alimentés par des gens de Wall Street qui voulaient détourner l’attention des problèmes économiques.
Par exemple, Thomas Frank, auteur de What’s the Matter with Kansas [Quel est le problème du Kansas] dit en 2004 au New York Times que les guerres culturelles « sont un moyen pour les Républicains de parler au nom de l’homme oublié sans causer aucun problème à leurs chers électeurs du big business. »
L’économie joue toujours un rôle en politique, mais beaucoup d’historiens distingués, y compris Richard Hofstadter à gauche et Michael Barone à droite, ont soutenu que les bases culturelles ne pouvaient être ignorées.
Prières l’école, restrictions pour l’immigration, prohibition, droits civils, féminisme, environnement, multiculturalisme, avortement, droits des gays, mariage homosexuel – toutes ces questions politiques brûlantes ont eu une dimension culturelle importante.
Pourquoi les laïcistes minimisaient-ils la culture ? Parce qu’ils espéraient que nous allions nous endormir pendant qu’ils travaillaient tranquillement mais sans répit à infiltrer l’enseignement supérieur, les media, les bureaucraties du gouvernement et les tribunaux. Cela a conduit à l’imposition d’une idéologie multiculturelle via des arrêtés de justice et des ordonnances d’exécution.
Enhardis par de nombreuses victoires à leur actif, cependant, les laïcistes tiennent maintenant la place publique. À la Convention démocrate de 2012, pour détourner l’attention de la faiblesse de l’économie, ils ont allégué, orateur après orateur, que les Républicains menaient la guerre contre les femmes et les homosexuels. Ceux qui n’étaient pas d’accord, sur la place publique ou dans les campus, ont été dénoncés comme racistes, misogynes ou homophobes.
Depuis l’arrêt de la Cour Suprême sur le mariage homosexuel, les intellectuels de gauche se sont mis à définir les guerres culturelles en prenant une position avantageuse. On le voit dans le livre récemment paru de Stephen Prothero, professeur de religion à l’Université de Boston : Why Liberals Win the Culture Wars (Even when They Lose Elections) [ « Pourquoi les libéraux ont gagné les guerres culturelles (Même quand ils perdent les élections) »]. Il assure que son livre décrit et explique les conflits culturels « qui définissent l’Amérique depuis les hérésies de Jefferson jusqu’au mariage gay ». La plus grande partie du texte est un récit mais son grand défaut se trouve dans la définition de deux termes brandis tout au long : conservateur et libéral.
Les conservateurs culturels, insiste-t-il, s’inquiètent de la disparition des modes de vie et veulent « exclure de la pleine citoyenneté culturelle ceux qui en sont responsables ». Les libéraux culturels sont définis comme des gens qui croient au progrès, adhèrent à de nouvelles formes de culture et sont déterminés « à inclure des groupes toujours plus nombreux dans la vie publique de la nation ».
Ces définitions prêtent à confusion plutôt qu’elles ne clarifient. C’est particulièrement évident dans le chapitre consacré à l’anti-catholicisme.
Il présente un résumé acceptable des différentes réactions anti-catholiques des débuts depuis les années 1800 jusqu’à la Guerre civile. L’énorme affluence de catholiques irlandais pendant cette période effraya les protestants qui craignaient que le pape ne vînt s’installer bientôt en Amérique, renversant le gouvernement, étouffant les libertés et imposant un despotisme catholique.
Ces fantasmes ridicules alimentèrent les mouvements nativistes 1, anti-maçonniques et « knowing-nothingistes2 » qui conduisirent à des soulèvements et à l’incendie d’églises et d’œuvres catholiques dans plusieurs villes.
Mais ces extrémistes n’étaient pas conservateurs, c’étaient des bigots. Et ce n’étaient pas des rustres arriérés mais des membres de l’aile la plus « libérale » du système politique. Par exemple, à la première convention constitutionnelle de NewYork, John Jay, notre premier président de la Cour Suprême, tenta d’amender une clause de tolérance religieuse et exclure ceux qui croyaient en « la vicieuse et condamnable doctrine que le pape a pouvoir d’absoudre les hommes de leurs péchés ». C’était pure intolérance de la part d’un homme qui contribua à ratifier la Déclaration d’Indépendance et rédigea plusieurs des Documents fédéraux.
Le chapitre anti-catholique de Prothero se termine normalement au début de la Guerre civile. Il ne couvre pas les croisades contre la présence croissante des catholiques menées par les populistes progressistes et libéraux à la fin du XIXe et au début du XXe siècles.
Trois fois candidat démocrate à la Présidence, William Jennings Bryan – dont les propositions de grand gouvernement furent à la base du New Deal – regardait les centres urbains dominés par les catholiques comme « le pays de l’ennemi » et s’opposait à l’immigration parce qu’elle était responsable du « déversement sur nos rivages de classes criminelles ».
Ce furent les progressistes qui prirent position pour la prohibition comme un moyen de contrôler ces catholiques irlandais amateurs de whisky. Et ce furent les progressistes qui se déclarèrent pour une politique eugéniste, dans l’espoir de purifier le patrimoine héréditaire de l’espèce et d’assurer la survie des plus dignes, id est les Anglo-Saxons, en éliminant les catholiques et les juifs indésirables. L’expert en eugénisme David J. Keveles assurait que « le mouvement eugéniste avait produit un exposé biologique raisonné » pour l’Immigration Act de 1924 qui faisait une discrimination contre les immigrants de l’Europe de l’est et du sud.
La description de Prothero des « critiques de l’américanité à trait d’union3 » comme des conservateurs est aussi trompeuse. L’opposant principal aux « catholiques à trait d’union » fut le père du libéralisme moderne, Woodrow Wilson. Il répétait qu’ils « versaient du poison dans les veines de la vie nationale ».
Dans les années 1930, l’aile libérale du Parti démocrate accueillit des catholiques non parce qu’ils avaient l’esprit ouvert à la liberté, mais parce qu’on avait besoin de leurs votes.
Bien que le catholique Al Smith ait été largement battu à l’élection présidentielle de 1928, ce fut le premier démocrate à gagner les douze villes les plus importantes. La candidature de Smith mit en évidence un nombre record d’immigrants. Quatre ans plus tard, Franklin Roosevelt bâtit une coalition victorieuse des catholiques urbains et de ségrégationnistes du sud qui dura jusqu’au raz de marée Johnson d 1964.
Les catholiques plus tard quittèrent en masse le parti démocrate et devinrent partie intégrante de la coalition Reagan, parce qu’ils croyaient que les planificateurs sociaux de gauche qui regardaient de travers les valeurs culturelles catholiques avaient largement envahi le parti démocrate.
Quant aux récents victoires culturelles de la gauche, ils en doivent une bonne part à ce que Richard Hofstadter appellent « libéraux totalitaires », utilisant des moyens non libéraux pour parvenir à des fins soi-disant libérales ». Ils ont embrassé « la haine comme une forme de credo » à la poursuite de « réforme ».
Au nom des droits de l’homme, les humanistes laïcs ont imposé des systèmes relativistes qui ont pratiquement éliminé les contraintes morales du judéo-christianisme et ont inauguré ce que le pape François a appelé « une idéologie confuse de liberté [qui] mène à un dogmatisme qui se révèle de plus en plus hostile à la vraie liberté. »
Le professeur Prothero a raison de dire que les libéraux ont gagné les guerres culturelles, mais il se trompe lorsqu’il salue ces victoires comme des avancées pour la cause de la liberté elle-même.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2016/01/20/wars-for-the-soul-of-america/
Gravure : « La terre promise », par Thomas Nast (1870).
Pour aller plus loin :
- Mouvement américain du XIXe siècle, favorable aux « natives » (nés en Amérique) contre les immigrants
- Mouvement américain du XIXe siècle, hostile à l’immigration et aux catholiques romains et qui répondaient à toute question par I don’t know ( « Je ne sais pas »).
- Ex : « germano-american », « irish-american » : double attache qui faisait soupçonner le loyalisme.