C’est dans le train qui m’emmenait à Lourdes, jeudi matin, que j’ai appris la mort de René Girard. Je n’en ai pas été étonné, parce que je le savais souffrant depuis des années et sous la garde d’une épouse attentive. Il y a quelques semaines, Benoît Chantre, qui était en contact constant avec Stanford, m’avait entretenu du cours de sa maladie. Cela m’avait fait penser aux derniers mois de l’existence du cardinal de Lubac, chez les Petites Sœurs des Pauvres de l’avenue de Breteuil. Il y a toujours quelque chose de poignant à constater que les infirmités du corps viennent contredire l’essor d’un grand esprit. Si je me permets de parler ainsi de René Girard, c’est que sa personne la plus amicale m’était proche. Si imprégné que j’étais de ses livres et de leur thématique, l’homme que j’avais rencontré, dès les années soixante-dix, avec sa simplicité et sa cordialité, n’était pas séparable du penseur.
J’ai un certain nombre d’images de lui, qui me sont restées dans la tête et dans le cœur. Je le revois encore à la table d’un restaurant près du Palais royal, dominant une discussion animée. Je le revois, un dimanche soir, à la sortie de Notre-Dame, car il aimait assister avec son épouse à la messe du cardinal Lustiger, lorsqu’il séjournait à Paris. Je le revois le jour de sa réception à l’Académie française. J’étais à quelques mètres de lui et j’étais accompagné de ma fille, qui fêtait ce jour-là précisément ses 18 ans. Un joli cadeau que d’assister à ce moment mémorable. J’ai encore en mémoire l’extraordinaire discours prononcé par son ami Michel Serres, qui résumait toute son œuvre. « Monsieur, je reviens vers vous qui avez inventé l’hypothèse la plus féconde du siècle. » Ou encore : « Le saint se distingue du sacré. Le sacré tue, le saint pacifie. Non violente, la sainteté s’arrache à l’envie, aux jalousies, aux ambitions vers les grandeurs d’établissement, asiles du mimétisme, et ainsi nous délivre des rivalités dont l’exaspération conduit vers les violences du sacré. Le sacrifice dévaste, la sainteté enfante. » Tout était dit d’une œuvre. Mais l’admirable, c’est que la personne du penseur correspondait rigoureusement à l’œuvre. René Girard était tout simplement un homme admirable.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 10 novembre 2015.
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