L’un des moments les plus touchants qu’on puisse retenir d’aucun synode sera sûrement celui-ci : un bébé de trois mois, Davide Paloni, qui a passé cette première journée dans la salle du synode avec ses père et mère (des missionnaires laïcs invités à participer) – ajoutant sa voix à celles des pères synodaux alors qu’ils chantaient ensemble le Salve Regina lundi soir à la fin de leurs délibérations. Cela pourrait bien avoir été le moment de la plus grande innocence et de la plénitude de l’harmonie de tout le synode. Parce que, en dépit des efforts évidents déployés par toutes les factions pour se comporter au mieux, des divergences, peut-être même de véritables divisions ont commencé à se faire jour mardi.
Il y a un demi-siècle, le mondialement célèbre ethnologue français Claude Lévi-Strauss a écrit une étude avant-gardiste expliquant comment les cultures génèrent des mythologies. Elle était intitulée « Le cru et le cuit ». Sa principale assertion, qu’il démontrait à travers différentes cultures tribales, était que des termes opposés tels que « cru » et « cuit » sont souvent des lignes de division cruciales, à partir desquelles se bâtissent tous les schémas explicatifs du monde. Je me suis mis à penser que si aujourd’hui nous nous étions rassemblés autour du synode de la famille pour l’observer, nous aurions pu noter l’étrange manière dont l’Église parle du monde et d’elle-même en terme d’ouverture et de fermeture.
Cela peut sembler un peu ésotérique, mais soyez patient avec moi un moment et vous verrez plus bas les conséquences concrètes des débats de lundi et mardi dans la salle du synode. La compréhension du monde chez le chrétien classique est que, en raison du péché, la race humaine est tombée et s’est coupée de Dieu. Dans un sens concret, elle est devenue « fermée » sur elle-même. Jusqu’à ce que, après avoir préparé le chemin par des directives et des prophéties dans l’Ancien Testament, Dieu devienne homme en Jésus-Christ, révélant tout le plan de salut divin et « ouvrant » de nouveau l’espèce humaine à la plénitude de la réalité et de la vérité.
Cette sorte de langage était différemment mise en œuvre – et par certains côtés prise à contresens – lors du concile Vatican II, qui a été souvent décrit comme une « ouverture » au monde d’une Église qui aurait prétendument été « refermée » sur elle-même. Le pape François pense souvent selon ces principes et parle de la nécessité de « sortir », de ne pas rester cloîtrés à l’intérieur de l’Église. Un point important parce que, d’une certaine manière, même Dieu ne s’est pas contenté de rester en tête-à-tête avec Lui-même, comme l’Être Suprême distant des philosophes, mais a choisi de devenir homme, de sortir dans le monde afin de l’ouvrir à Lui. Cependant, après Vatican II, l’Église n’a pas évangélisé le monde ; l’ouverture a plutôt largement signifié que le monde a « évangélisé » l’Église, jusqu’à la contre-révolution menée par saint Jean-Paul II.
Cependant, c’est quand on en vient aux cas concrets que les choses commencent à devenir vraiment confuses. La première partie de Instrumentum laboris, le plan de travail pour le synode, est en discussion cette semaine (les parties 2 et 3 – la dernière dévolue aux solutions pratiques, prendront chacune une semaine d’étude également). La première partie examine les réalités anthropologiques et sociologiques actuelles du mariage, mais comme beaucoup l’ont noté, pas selon la sorte d’anthropologie théologique que je viens de décrire. D’une façon ou d’une autre, la « réalité » à laquelle nous devons être « ouverts » est en grande partie le même vieux monde « fermé » à Dieu que toute l’histoire du salut devait vaincre. Puisque cela a déjà été tenté autrefois, il est difficile de dire ce qui va être différent cette fois.
Ce n’est pas la confusion qui manque quant à ce que tout cela signifie et aussi quant à la manière dont le synode procédera. A un point tel que le cardinal Baldisseri, qui préside de nouveau cette année, a dû expliquer hier matin les règles qui ont (encore) changé, une procédure qui a été présentée lors de la conférence de presse de mardi comme nécessaire parce que c’est pour de nombreux participants leur premier synode. C’est possible, mais il y a également une anxiété palpable et un mécontentement visible envers les nouvelles procédures, qui ne seront certainement pas aussi « ouvertes » que lors des précédents synodes. Certains participants ont même suggéré que tout le plan de travail soit mis au rancart et remplacé afin que les discussions soient plus transparentes et que le contenu soit moins lié aux perspectives scripturaires et doctrinales.
La nervosité à propos de tout cela a même atteint le pape François, qui est intervenu de façon inhabituelle en s’adressant aux participants tôt le mardi. Selon le père Federico Lombardi, le Saint-Père voulait rendre claires deux choses : rien du synode de l’an dernier n’affectait la doctrine établie de l’indissolubilité du mariage ; et que le synode de cette année ne devait pas être considéré comme limité aux questions de la communion des divorcés remariés mais devait être « ouvert » aux nombreux autres défis auxquels la famille doit faire face dans le monde moderne.
Il a ajouté que les seuls documents à considérer comme « officiels » parmi ceux de l’an passé sont ses remarques à l’ouverture et à la clôture et le rapport final approuvé par les évêques et détaillé dans l’Instrumentum.
L’office de presse du Vatican a adopté une manière quelque peu inhabituelle pour rapporter les discussions de mardi. Le père Lombardi a donné un résumé de ce qui avait été dit en italien et ensuite d’autres porte-paroles ont donné les résumés des interventions faites en anglais, français, espagnol et allemand. Selon le père Lombardi, il a beaucoup été discuté de la crise culturelle actuelle ainsi que des problèmes habituels concernant l’immigration, la violence faite aux femmes, la pauvreté, les enfants mineurs, la rupture des liens entre générations (particulièrement celui entre grands-parents et petits-enfants, qui était un vecteur de transmission de la foi et de la vie chrétienne). Plusieurs orateurs ont insisté sur la nécessité d’un langage plus « positif » pour s’adresser à la culture actuelle, en mettant en valeur ce qui est bon en elle et en prenant pour modèle la façon dont le pape lui-même se comporte en public.
Tout cela est « positif » et sonne exaltant, mais nous avons entendu plus ou moins la même chose du temps de Vatican II. Il y a bien sûr des éléments positifs dans notre Occident décadent tout comme il y en a dans toutes les cultures. Mais recourir à cette tournure linguistique conduit, comme on peut s’y attendre, non à l’évangélisation de la culture, mais à la diminution de la perception de l’urgence d’une conversion de la culture.
Et notre culture a besoin de se convertir, aucun doute là-dessus, même au plan séculier, à supposer que l’effondrement du mariage ne soit pas en train de nous conduire à notre perte définitive. Mardi, Giuliano Ferrara, le rédacteur-en-chef de Il Foglio, l’un des plus importants journaux italiens, proposait sa lecture selon une perspective séculière de ce que le synode essaie d’accomplir. Il concluait par un « appel » à organiser « un synode laïc » auquel les sociologues, les psychologues, les philosophes, tous ceux qui savent ce que présage la menaçante disparition de la famille pourraient présenter directement leur vision sur le sujet :
Le mariage a été critiqué sous différents angles, il a été considéré comme un idéal bourgeois béotien, il a été vilipendé, moqué, jugé comme le summum de l’hypocrisie sociale, et rejeté à ce titre, mais jusqu’à présent il n’avait pas été intrinsèquement corrodé, affaibli, vidé de sa substance, quasiment abrogé comme cela se passe actuellement dans cette partie du monde nommée Occident.
C’est une manière de sonner le tocsin en raison de la gravité du danger. Par contraste, le désir des responsables de l’Église d’adopter une attitude « amicale » envers les non-catholiques ou les catholiques en situation irrégulière, des créatures pécheresses comme nous le sommes tous, bien évidemment, est source de confusion pour le monde, qui est heureux d’être accueilli, mais qui réagit agressivement quand l’Église par la suite essaie d’affirmer l’importance de certains enseignements, non seulement en vue d’un bonheur humain (comme Ferrara et d’autres ne le savent que trop bien) mais en vue de la vie éternelle.
Changer le vocabulaire ne peut pas éliminer les points de division qui surgissent inévitablement quand il est question de vérité. Le père Thomas Rosica, le rapporteur pour la langue anglaise, met l’accent sur le fait qu’il faut, surtout en ce qui concerne les homosexuels, toujours se rappeler qu’ils sont nos enfants, nos frères, nos sœurs, nos amis et que par conséquent un langage trop dur est inapproprié. C’est vrai jusqu’à un certain point, bien que quiconque ayant élevé des enfants sache qu’un langage dur, et plus encore, fasse partie de la boîte à outils. Dans notre culture actuelle, l’approche douce signifie généralement reporter indéfiniment tout appel sérieux à un changement de vie, peut-être même accepter tacitement la situation : « l’ouverture » à l’amitié signifie la « fermeture » à l’évangélisation. Le père Rosica a mentionné, dans ce contexte, qu’il y avait une discussion quant à l’opportunité d’une absolution collective pour l’Année de la Miséricorde, en vue de faire revenir des gens qui s’étaient éloigné de l’Église. Il vaut peut-être la peine d’en parler, mais cela semble une mesure désespérée (et probablement inefficace).
Et cela est vrai de tous les sujets les plus discutés depuis l’an passé. Le pape n’a rien dit l’an passé touchant à la doctrine catholique, mais il a encouragé « les développements pastoraux ». L’archevêque canadien Paul André Durocher, l’un des deux seuls prélats présents à la conférence de presse de mardi, a fait remarquer qu’il fallait avoir l’honnêteté de reconnaître que l’opinion était divisée quant à savoir si un changement pastoral impliquait également un changement doctrinal – et que c’était là toute la question, plus particulièrement durant la dernière semaine du synode.
C’est un des aspects de la vocation chrétienne que de surmonter les divisions, de réconcilier ceux qui sont en désaccord. Et même de pratiquer la miséricorde les uns envers les autres, puisque nous sommes tous pécheurs. Mais cela ne peut arriver que s’il y a à la fois bonne volonté et vérité, vérité sur les choses telles que Dieu les a faites, non telles que nous les avons détériorées. Et si nous n’ignorons pas les fondements de toute pensée humaine valide : le principe de non-contradiction.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/06/the-cooked-the-crude-the-synod/