Désormais, nous sommes tous au courant du sort de Kim Davis, employée administrative dans le comté de Rowan, Kentucky, qui a refusé de mettre sa signature sur des certificats de mariage émis par le gouvernement, comme le réclamait la loi. En conscience, elle ne pouvait pas apposer sa signature sur un document qui certifiait officiellement quelque chose qu’elle considérait comme faux, à savoir que deux personnes du même sexe pouvaient – en principe, former une union maritale Voilà ce qu’elle dit :
Emettre une licence de mariage qui est en conflit avec la définition divine du mariage, avec mon nom apposé au certificat, violerait ma conscience. Ce n’est pas une question facile pour moi. C’est une décision du ciel ou de l’enfer. Pour moi, c’est une décision d’obéissance… C’est une question de liberté religieuse qui est protégée par le premier Amendement,
la Constitution du Kentucky, et l’Acte de restauration de la liberté religieuse du Kentucky. Notre histoire est remplie d’arrangements pour faciliter la liberté religieuse et de conscience des gens.
A l’instar du professeur de mathématiques qui refuse de dire à ses élèves que 2+2=5 alors que son directeur lui ordonne de l’inclure dans son programme, Madame Davis ne pouvait pas, et c’était une question de conscience, accepter de dire par sa signature qu’une union de même sexe est matrimoniale. Le mariage, bien sûr n’est pas une question de mathématiques, mais les axiomes métaphysiques qui font paraître évidents à certains les mariages entre personnes de même sexe, et à d’autres une impossibilité ontologique, sont précisément la cause de nos divisions sur ce sujet. (C’est ce que je démontre au chapitre 7 de mon prochain livre : Prenons les rites au sérieux : Loi, politique et raison de croire).
Devant la résistance de Madame Davis, un juge fédéral l’envoya en prison, et elle y est restée cinq jours, jusqu’à ce qu’on la relâche mardi dernier.
Naturellement, il en est résulté une tempête de commentaires, allant de l’évaluation mesurée et prudente des choix légaux de madame Davis par Eugène Volokh, au monologue intérieur difficile à capter de Luma Simm, et au flot d’articles du blog de Rod Dreher, intéressants, provocateurs et réfléchis. (Le cas Davis est presque idéal, au sens platonique du terme, comme « appât pour Dreher ». En effet il réside au centre du tourbillon sur l’homosexualité, la guerre des cultures, une sudiste d’une petite ville, une espèce d’élite stéréotypée de fondamentalisme chrétien, et un temps de prison. Les seules choses qui manquent sont la Divine Comédie et une vision de Wendell Berry). Citons aussi les paroles de R.R.Reno, l’éditeur de First Things, qui a fait écho aux sentiments de bien des traditionalistes religieux : « J’ai de la sympathie pour Kim Davis…Dans sa situation, j’aurais fait la même chose. »
De nombreux commentateurs ont soutenu que Madame Davis aurait dû démissionner de son poste puisque le mariage pour les personnes de même sexe fait maintenant partie de « la loi du pays ». Il est certain que cela lui aurait permis d’éviter de violer sa conscience sans encourir la colère du juge fédéral. Mais cela aurait communiqué à ses compatriotes l’idée que les vrais chrétiens, sans mentionner les juifs et musulmans pratiquants, sont le genre de citoyens qui, à cause de leurs croyances et de leur pratique
religieuses, ne sont pas des candidats corrects pour le service public.
Une démission aurait été un acte d’apartheid civique auto-imposé, quelque chose que la tradition américaine de liberté religieuse a toujours traité comme le dernier recours, à n’utiliser qu’après que les citoyens et les fonctionnaires de bonne volonté ont épuisé toutes les tentatives d’arrangement raisonnable.
C’est pourquoi beaucoup d’entre nous, libéraux ou conservateurs, nous regardons avec une fierté patriotique le statut fédéral de l’objection de conscience : Acte de restauration de la liberté religieuse ( RFRA), et nombreux jugements de la Cour Suprême tels que Thomas contre Review Board (1980) Ce qui a fait, dans notre vie publique, la place à ce type de diversité religieuse qu’une société libre et ouverte ne peut pas ne pas susciter.
Aucun doute, la situation avec madame Davis est différente. Après tout, elle est un officier d’état civil élu, quelqu’un qui a certains devoirs qu’elle doit exécuter du fait de son poste. Ces autres jugements, bien qu’ils aient été provoqués par des cas qui mettaient en cause des actions du gouvernement ou l’appropriation de bénéfices publics (par ex. la traite militaire, l’assurance chômage, l’école publique obligatoire) ne mettaient pas en cause des agents du service public dans l’exercice de leurs charges officielles.
Si le cas de Madame Davis est différent, ce n’est pas parce que la législation du Kentucky ne peut pas appliquer avec justice ces principes dans la future législation, pour faciliter le service d’officiers publics tels que Madame Davis.
C’est différent parce que pratiquement personne, jusqu’à tout récemment, n’avait jamais pensé que les données de notre culture commune — nos convictions partagées en ce qui concerne le bien, la vérité et le beau — nature du mariage et vertu personnelle inclues — deviendraient elles-mêmes des sujets contestés, et qu’il en résulterait des factions sectaires aussi convaincues d’avoir la vérité que ne l’étaient les Baptistes, les Anglicans, et les Quakers des débuts de l’Amérique.
Au moins, ces sectes partageaient-elles une culture commune. Elles savaient à quoi servaient le mariage et le sexe. (Et à propos, c’est pour cette raison que les Mormons au XIXe siècle n’ont pas pu être accueillis. Ils rejetaient la culture commune)
Aussi la question pour nous aujourd’hui est celle-ci : Est-il possible dans l’Amérique contemporaine de maintenir une culture commune — sans orthodoxie, sans données incontestées, à propos de la nature du mariage, du sexe et de la famille — qui nous permettrait d’accueillir des fonctionnaires tels que Kim Davis ? C’est une grande question qui va affecter certaines de nos compréhensions fondamentales de l’ordre politique américain. Et voilà pourquoi, quel que soit votre avis sur ses choix, Kim Davis est importante.
10 septembre 2015
Traduction de Why Kim Davis matters
http://www.thecatholicthing.org/2015/09/10/why-kim-davis-matters/