Du mauvais usage du concept de dignité - France Catholique
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La justice de Dieu
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Du mauvais usage du concept de dignité

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Le mouvement pour la vie garde vivante la mémoire de l’avocat et chirurgien McCarthy Demere à cause de sa sagesse et de son humour pimenté par son agréable accent nasal bien de Memphis. Nous avions l’habitude de dire de lui que, à défaut de vous sauver grâce à son talent de chirurgien, il pourrait toujours écrire votre testament. Il avait mis son humour sardonique au service de sa lutte contre le mouvement déjà actif depuis quarante ans en faveur du « suicide assisté » et de la « mort dans la dignité ». McCarthy répétait que cette expression (« mort dans la dignité ») lui évoquait Fred Astaire, avec smoking et noeud papillon, fusillé en plein milieu d’une pirouette.

Mais, comme d’habitude, derrière la plaisanterie se cachait un argument très sérieux: le noble terme de dignité était invoqué à tort pour dissimuler ce qui était en fait un assassinat. Et pourtant cette objection élémentaire à propos du concept de « dignité » a échappé à quelques très bons écrivains, tant progressistes que conservateurs. Un de mes amis, à l’esprit très large et très ouvert, a écrit un livre consacré à la question de la « dignité » et affirme que cette qualité est ancrée dans le cœur des êtres humains. Il n’explique pas si cette dignité découle de la nature des « sujets moraux » capables de distinguer le bien du mal, et il ne retient certainement pas comme fondement de sa thèse l’affirmation de Lincoln comme quoi « rien de ce qui a été façonné à l’image et à la semblance de Dieu n’a été mis au monde pour être… avili et ravalé au niveau de la brute ». La « dignité » est afférente aux êtres humains et pourtant, on ne sait trop pourquoi, elle n’est pas afférente aux êtres humains encore renfermés dans l’utérus.

Cette omission frappante réclame une justification : pour quelles raisons priver ainsi du manteau de la « dignité » une catégorie entière d’êtres humains, en les privant du même coup de la protection de la loi ?
Mais à l’autre bout de la gamme des opinions politiques, d’autre amis à moi ont jugé que le terme « dignité » prenait une résonance sinistre à cause de son emploi par Anthony Kennedy dans une série d’affaires d’homosexualité et de mariages de personnes du même sexe. Kennedy a eu recours de façon persistante au terme « dignité » pour asseoir sa thèse que la relation homosexuelle est protégée par la constitution de tout reproche et jugement défavorable. « Les personnes vivant une relation homosexuelle peuvent réclamer l’autonomie dans ce domaine », écrit-il, et ces « choix, expressions essentielles de la dignité et de l’autonomie de la personne sont l’essence même de la liberté protégée par le quatorzième amendement ».

Dans une récente déclaration, certains de mes amis ont à juste titre tenté de susciter une opposition à l’opinion du juge Kennedy dans l’affaire Obergefall de mariage homosexuel. De plus, dans leur exposé des graves défauts et dangers que comporte cette opinion, ils se sont inquiétés « d’une jurisprudence inusitée et mal définie en matière d’identité et de dignité. »
Mais supposons un moment que quelques juges commencent à se référer à l’interprétation, selon Jean-Paul II, de la « personne humaine », à la fois sujet et objet des lois. Comprendre la nature de cet être humain doué de raison et d’une âme qui ne se décompose pas en même temps que son corps, c’est comprendre pourquoi la loi s’efforce de prévoir des protections pour la vie et la liberté de cette personne. La Constitution parle de « personnes », mais n’utilise jamais l’expression « la personne humaine ».

Les partisans d’une lecture au pied de la lettre seraient-ils offusqués si les juges s’efforçaient de dégager, grâce à cette expression, la vraie dimension morale des personnes que la Constitution veut prendre en considération et protéger ? Le juge Harry Blackmun nous a démontré l’interprétation qu’on pouvait donner du mot « personne » figurant dans le texte. Il a découvert que les « personnes » mentionnées dans la Constitution étaient les électeurs potentiels, les personnes susceptibles d’occuper une charge, les individus accusés et reconnus coupables de crimes, voire extradés pour cette raison et toute personne « tenue à un service ou à un travail dans un Etat».

Blackmun tire de ce catalogue la conclusion implicite que les « personnes » doivent être parvenues au stade « postnatal » ! Le terme ne saurait s’appliquer aux foetus. Là encore, comme dans le cas de « dignité », le terme a été employé sans aucun jugement moral expliquant pourquoi, du fait de la simple suppression d’un adjectif, une catégorie entière d’êtres humains se trouve exclue de la protection de la loi.

Le défunt Robert Bork a suscité une vague d’hostilité quand il a exprimé des réserves au sujet du droit à la « vie privée ». Ces termes ne figurent pas dans la Constitution et pourtant ils ont servi à tort à définir de nouveaux droits à la contraception et à l’avortement. Mais selon Bork, la Constitution prévoyait de nombreuses revendications au titre de la vie privée. Car une société libérale imposait une limite à la portée de l’autorité publique, en reconnaissant implicitement l’existence du privé. Et ce domaine privé pouvait facilement et à juste titre être envahi quand il devenait le lieu d’activités criminelles et de véritables meurtres.

Bork était préoccupé par le mauvais usage du concept de vie privé fait par des juges trop libéraux. En l’occurrence, le problème ne résultait pas du fait que les termes « vie privée » n’étaient pas employés dans la Constitution, mais du fait qu’ils étaient invoqués à de mauvaises fins. Et pourtant c’est le problème qui a toujours empoisonné la jurisprudence conservatrice. Les conservateurs ont si peur des erreurs de jugement moral qui peuvent être commises qu’ils préfèrent éviter complètement toute appréciation morale, exercice qui relève un peu trop – horreur ! – de la « loi naturelle ».

Le remède est apparemment « sola scriptura » : il faut s’en tenir au texte de façon mécanique, comme si les mots du texte ne pouvaient jamais être employés abusivement. En ce qui concerne le « mariage », les juges conservateurs se plaignent que le mot ne figure pas dans la Constitution ; mais ils n’ont rien à dire sur l’essence et le sens du mariage. Et on se demande : combien de temps faudra-t-il aux avocats aguerris pour que ces leçons portent leurs fruits ?

Mardi 25 août 2015

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Photographie Robert Bork


Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/25/frightened-by-dignity/

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Hadley Arkes est le professeur Ney de jurisprudence à Amherst College. Il est également le fondateur et le directeur de l’Institut James Wilson des droits naturels et de la fondation de l’Amérique basé à Washington. Son dernier ouvrage s’intitule Constitutional Illusions &Anchoring Truths : the Touchstone of the Natural Law. Le volume II de ses audioconférences tirées de The Modern Scholar, First Principles and Natural Law peut à présent être téléchargé.