Vers la fin de ma carrière comme commentateur de presse écrite – j’ai tenu quinze ans, et au Canada ! – j’ai écrit un article en réponse aux nombreux lecteurs qui m’avaient posé une question constructive.
« Que devrions-nous faire ? », m’avaient-ils demandé.
Quel avis « pratique » pouvais-je donner à ceux qui partageaient mon étrange point de vue sur la vie afin qu’ils contribuent à améliorer leur ville, leur pays ou leur planète ?
Naturellement, de tels lecteurs devaient être étranges, tout comme moi.
Cette originalité était fort bien exprimée dans une des innombrables doléances officielles émises à mon encontre, ou plus habituellement à l’encontre du journal pour sa persistance à m’employer. Il était présumé que j’étais « non seulement conservateur, mais chrétien, et pas seulement chrétien mais catholique. »
(La plaignante en question ne cherchait pas à faire de l’humour. Elle pensait réellement que publier un écrivain catholique dans un journal laïc était un scandale de premier ordre ; une violation de la loi de séparation de l’Église et de l’État ; encore aggravée par ma reconnaissance publique du délit.)
Bien sûr, même au Canada, il y avait des gens de mon bord. Et ces derniers écrivaient souvent des lettres d’encouragement, ou des lettres exprimant leur propre désespoir quand à l’avenir de tout ce qu’ils considéraient comme sacré.
Parmi mes propres doléances, il y avait, disons, mes collègues les plus libéraux, des nababs bavards du négativisme. Pour être juste, c’était souvent un négativisme défensif : car côté positif ils étaient déterminés à protéger les avancées de l’Etat-Nounou contre les empiétements caustiques de la vérité et de la réalité. Attaquer le messager était souvent pour eux le seul recours.
Restons positif, ai-je pensé. J’ai décidé de présenter « un plan en dix points. » J’ai expliqué que chacune de mes suggestions pratiques ne nécessiterait aucune action politique. Pourtant, chacune d’elles pourrait être accepté comme « impératif catégoriel » kantien, dans le sens où, si chacun (ou au moins un nombre considérable de gens) les appliquait, notre monde deviendrait meilleur.
J’ai un auditoire différent avec The Catholic Thing : beaucoup moins de « témoins hostiles. » Je parie que beaucoup d’entre vous ont déjà goûté la plaisanterie. Il y avait une espièglerie cachée dans mon « plan en dix points. »
Car c’était en fait une paraphrase des Dix Commandements, écrite dans le jargon journalistique moderne. J’avais essayé d’être malin en dissimulant légèrement un « agenda secret » plutôt évident.
Je m’imaginais réellement que quiconque tant soit peu éduqué verrait où j’allais au plus tard dès le troisième point et s’investirait alors dans la plaisanterie.
En effet quelques-uns l’on fait. C’est le nombre de ceux qui ne l’ont pas fait qui m’a surpris : qui m’ont écrit pour se plaindre que mes suggestions étaient réactionnaires et dangereusement mal avisées – les deux premières scandaleuses ; mais l’essentiel du reste répréhensible également.
C’est ainsi. Je suis préparé, avec Saint Paul et les autres, à affronter une certaine opposition. Il y en avait peut-être moins, à son époque, sur le sens de ces Dix Commandements, que nous ne pourrions en trouver de nos jours, car dans le monde antique, il semble y avoir eu une souscription générale à l’idée de Dieu, ainsi qu’à des « hauts » et des « bas » en matière morale.
Et de fait, il existe dans toutes les cultures que j’ai rencontrées une certaine notion de « décence de base », avec des points communs importants. L’idée qu’il faille, par exemple, honorer ses parents, est largement répandue ; le meurtre, le vol, l’adultère, et ainsi de suite, sont tout autant sujets à être réprouvés par le cheikh de al-Azhar, le Dalaï-lama ou le Préfet de la Signature Apostolique. Il y a peut-être quelques divergences sur les images taillées.
Sur le nom et la nature de la Déité, nous sommes dans un débat théologique titanesque, mais même là il y a un remarquable consensus sur l’unité finale des choses ; et au-delà qu’une « singularité » correspond à cette unité et que les caractéristiques fondamentales de ce Dieu singulier peuvent être assez bien estimées.
Sur le chapelet musulman, ou Tasbih, par exemple, quatre-vingt-dix-neuf caractéristiques d’Allah sont énumérées (trois fois un chapelet de trente-trois perles, réparties en trois sections de onze). Consultez le mode d’emploi, et je crois qu’un chrétien, un hindou ou un confucéen ne trouverait pas d’objection majeure sur ce point, et peut-être même pas d’objection du tout. Nous pouvons plus ou moins être d’accord que Dieu est Dieu ; qu’il est miséricordieux, compatissant, saint, omniscient, bienveillant, sage, et ainsi de suite.
Et des athées, que puis-je en dire ? Il y a toujours eu des athées. Les anthropologues en ont découvert des preuves dans les sociétés tribales les plus primitives. Mais Staline lui-même se référait fréquemment à Dieu dans ses discours, et tenait pour acquis que tout le monde comprendrait ce qu’il voulait dire par cette figure de style.
Eh bien je pense quelquefois que les athées ont une meilleure vision de Dieu que les croyants, se tenant comme ils le font à une grande distance. Ils peuvent voir plus clairement ce qu’est ce qu’ils ont décidé de refuser d’admettre. Ils sont trop loin pour que l’arbre leur cache la forêt.
Mais évidemment leur refus est borné, et de ce fait inintéressant.
Maintenant, je ne m’attends pas à ce qu’un de mes lecteurs qui n’aurait pas suivi un cours d’étude comparative des religions soit capable de réciter le Tasbih, même dans le désordre, ou en anglais au lieu de l’arabe. Cela demande un travail de mémoire. Mais les chrétiens vivant dans des pays musulmans, qu’ils soient ou non capable d’accomplir cette prouesse, sauraient ce que fait un musulman quand il le récite, et décèleraient immédiatement une paraphrase [de cette récitation].
Je voudrais dire également que dix points sont plus facile à mémoriser que quatre-vingt-dix-neuf. (Et que deux points sont encore plus faciles, si l’on s’en tient à l’évangile de Matthieu.)
Je que je trouve ahurissant, c’est que nous soyons arrivés à une époque où non seulement les Dix Commandements sont niés, mais où une partie considérable de la population n’a même pas idée de ce qu’ils puissent être. Et cela nonobstant leur aptitude à lire et à écrire, qui n’est plus l’apanage d’une élite. Et qu’ils peuvent voter, et tout le reste.
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David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur au Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : « Moïse et les Tables de la Loi », par Claude Vignon, vers 1650 [musée des Beaux-Arts de Rouen]
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/07/the-ten-suggestions/
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