Ces derniers jours, j’ai entendu dire que beaucoup de gens sont désorientés par ce qui se passe dans l’Église et dans le monde. Nous sommes entrés dans une de ces périodes dans lesquelles tout, public comme privé, semble devenu incertain. La politique, l’économie, la morale, la spiritualité, les amitiés, les alliances – toutes ces choses et bien plus encore manifestent une inquiétante et nouvelle fragilité. Un magazine laïc que je viens de parcourir pose la grande question en termes hautement philosophiques, question qui semble aussi s’appliquer aux choses de tous les jours : « l’existence devient de plus en plus difficile à concevoir. »
Que faire ? A côté d’une prière fervente et vraie, du jeûne, de l’aumône, nous avons besoin d’être orienté dans ce qui est pérenne : qui sommes-nous, pourquoi vivons-nous ? Sujets ardus, évidemment, mais malgré les apparences, beaucoup de gens aimeraient les aborder, parce que ne pas le faire signifie ne pas être complètement humain.
Les étudiants feront leur rentrée dans les prochaines semaines. Les parents (et nous aussi) qui nous rendons compte de tout ce qui dépend d’une bonne éducation pouvons nous trouver actuellement plus qu’un peu nerveux en raison de ce qui se passe même dans nos meilleures écoles et universités.
Comme guide tonique, je recommande le dernier livre du cardinal Francis George « A Godly Humanism : Clarifying the Hope that Lies Within » (Un humanisme divin : éclairage sur l’espoir qu’il contient) qui vient de paraître et est comme une sorte de testament en regard de son intérêt de toujours – et d’une grande profondeur – pour la vie intellectuelle.
(Petite révélation : j’ai mis la main à l’essai sur la tradition intellectuelle catholique qui ouvre le livre, mais le produit final, page après page, est mis en forme, ciselé et amplifié par le grand homme lui-même – du pur cardinal George.)
Le titre, un humanisme divin, peut sembler paradoxal. Mais c’était un des projets de saint Jean-Paul II que de revivifier un authentique humanisme chrétien, c’est-à-dire une vision de la personne humaine et de sa place dans le monde plus profonde et plus vaste que la vision superficielle et à courte vue qui passe de nos jours pour être l’humanisme. Le cardinal avoue dans les tous premiers paragraphes qu’il avait l’intention de titrer ce livre « Sagesse et condition de disciple », mais, peut-être à la demande de l’éditeur, il y a renoncé pour ce titre plus général.
Et c’est une bonne chose, parce que actuellement, ce qu’il dit est important pour les catholiques bien sûr, mais également pour un public beaucoup plus large. A l’évidence, le cardinal voulait rassembler des choses que bien des gens croient à tort inconciliables : la raison et la foi, l’intelligence et la sainteté et pour finir l’homme et Dieu. Il montre comment ces différentes paires sont liées, en partie en décrivant comment elles ont fonctionné dans sa vie riche et féconde comme prêtre et évêque, mais aussi comment elles sont propres à ce qui est, en toute honnêteté, parmi les traditions intellectuelles et culturelles les plus riches : le catholicisme.
Il y a davantage en jeu :
Les derniers papes ont insisté sur la responsabilité de cultiver les traditions de sagesse de la philosophie et de la théologie, qui sont indispensables à une vie intellectuelle catholique – pour le bien à la fois de l’Église et des cultures dans leur ensemble, qui ont besoin d’être guidées moralement et religieusement. La question de la vérité en matière morale et religieuse doit être examinée dans le contexte de la quête de la sagesse, de la bonté, de la sainteté, à la fois en totale communion ecclésiale et en conjonction avec tous les « hommes de bonne volonté. » La vérité ne peut être reléguée dans une boîte à outils utilitariste, comme les Lumières l’ont fait en Europe, comme si c’était un instrument de domination sociale ou civile. La nature et l’histoire sont toutes deux ordonnées à des fins qui sont inscrites dans leur existence par leur Créateur et Sauveur.
A un niveau plus terre-à-terre, alors que ces grandes idées devraient vraiment guider chacune de nos vies, quand avez-vous entendu pour la dernière fois quelqu’un parler du besoin de sagesse ? Pas d’intelligence, ou de données, ou d’information. Pas de la façon dont toutes les valeurs sont seulement « socialement construites. » De la sagesse. Oui, ce mot nous semble sorti de l’antiquité et il est éloquent que tant se demandent comment une telle chose a jamais existé. Mais pouvons-nous faire sans comprendre la place prise par les différents domaines de l’action et du savoir humains, l’importance à leur donner, surtout à une époque où tout semble en suspens ?
Le point central est de connaître Dieu et de nous connaître nous-mêmes. Le cardinal souligne un passage clef dans l’Écriture (présent dans les trois évangiles synoptiques) qui introduit la dimension « divine » d’un véritable humanisme. Quand Jésus demande aux disciples qui ils croient qu’Il est, Pierre s’écrie, comme tout le monde le sait : « Tu est le Christ, le Fils du Dieu Vivant » :
Jésus répond : tu as raison, mais tu ne l’as pas appris de ta propre expérience. Tu le sais parce que le Père te l’a révélé, et pour cela je vais maintenant te dire, Simon, qui tu es, toi. Tu es Pierre.
Beaucoup d’entre nous sont perdus précisément parce que l’échec à connaître le Dieu Vivant implique que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes correctement. Nous sommes dans l’incapacité de le faire.
C’est un enseignement différent de celui auquel nos pauvres jeunes vont être soumis en retournant à l’école. Et reconnaître le besoin de sagesse ne suffit pas. Nous avons besoin également, comme l’indiquait le titre original du livre du cardinal, de nous faire disciples de cette sagesse.
Même dans le vaudeville de nos actuelles campagnes présidentielles, on parle beaucoup de la différence entre les beaux discours et les actions réelles. Pour aller de l’avant dans la situation délicate où nous nous trouvons, il faudrait former la nouvelle génération non seulement à articuler les mots convenablement (ce qui serait déjà un beau résultat) mais également à jouer la musique.
Si vous voulez savoir comment vous rendre d’ici à là, vous trouverez peu de guides aussi fiables que notre défunt ami, le cardinal Francis George.
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Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington.
Illustration : couverture du livre du cardinal George
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/23/cardinal-georges-final-gift/