Au début du dix-neuvième siècle, le philosophe allemand G.W.F. Hegel, citant Diderot dans son ouvrage Phénoménologie de l’esprit, décrit la façon subtile dont Les Lumières venues de France apportent un changement radical dans la vision du monde :
Les Lumières, telles une atmosphère invisible et subtile, se sont insinuées petit à petit dans les secteurs respectables et ont rapidement pris le contrôle de tous les organes et entrailles de l’idole sans méfiance. Et alors, « un beau matin, elles bousculent du coude l’idole de leurs contemporains, et crac ! Boum ! L’idole est renversée. » Par un beau matin, sans effusion de sang, alors que l’infection s’est propagée dans tous les organes de la vie spirituelle et culturelle, et que seule la mémoire conserve encore la momie du précédent état d’esprit, comme une histoire qui s’achève, d’une façon ou d’une autre. Le nouveau serpent à la sagesse divine qui a été élevé afin d’être adoré se révèle, quand on s’en approche, avoir simplement quitté sans douleur sa vieille peau ridée.
Hegel, déçu par les Lumières comme beaucoup de ses contemporains, décrit dans un chapitre ultérieur comment ces changements subtils et apparemment non sanglants ont conduit à la Terreur et à la guillotine.
La façon dont la mentalité contraceptive a envahi le monde moderne est analogue. Le cousin de Darwin, Francis Dalton, menant le mouvement eugéniste, Margaret Sanger apôtre du contrôle des naissances pour réduire le nombre de « défectueux », la conférence anglicane de Lambeth en 1930 qui modifie le rejet traditionnel par les chrétiens des méthodes contraceptives, l’acceptation croissante de la contraception dans le protestantisme dominant, l’affaire Griswold v. Connecticut trouvant une nouvelle ambiguïté dans la Constitution en ce qui concerne la vie privée, et pour finir la découverte de la pilule contraceptive. Tout a changé dans les années 60 et de nombreux catholiques, pendant le concile Vatican II attendaient que l’Eglise suive.
Mais alors, patatras ! Le pape sort Humanae Vitae, renouvelant la constante tradition chrétienne de condamnation de la contraception, ignorant apparemment le changement radical ayant pris place dans le monde occidental autrefois christianisé. Des catholiques ont été choqués, des centaines de théologiens ont publié une pleine page de protestation dans le New York Times, de nombreux évêques et prêtres ont soulevé des objections ou ont tergiversé. L’autorité de l’Eglise était mise en question. La « conscience » dissidente de l’individu est devenue le « nouveau serpent de la sagesse divine ».
Et nous sommes actuellement témoins des inévitables effets collatéraux annoncés par le pape Paul VI et certains d’entre nous se tordent les mains au vu de « l’infection » qui a « gangrené tous les organes de la vie spirituelle et culturelle. » Submergés partout par des évocations du « fait accompli », des chrétiens fervents forment ici et là des structures (incluant des catacombes internétiques telles The Catholic Thing), espérant inverser quelques unes des conséquences les plus détestables de la révolution sexuelle.L’avortement est sans conteste l’un des plus horribles développements moraux. Et les opposants convaincus ont conçu de nombreuses stratégies pour stopper son développement : restriction de l’avortement après les deux premières semaines si une gémellité est soupçonnée, ou limitation aux vingt premières semaines, ou à la période précédant les battements de cœur fœtaux ou la capacité du foetus à ressentir la douleur. Ou la stratégie obligeant légalement les femmes enceintes à voir l’échographie de leur enfant ou à attendre 24 heures de délai avant d’avorter. Ou la stratégie d’œuvrer pour un amendement constitutionnel, ou de rendre les lois sur l’avortement du ressort des Etats.
De même – concernant la transformation judiciaire et légale de la sodomie en mariages légaux et institutionnalisés – des spectateurs choqués unissent leurs efforts pour tenter de remettre à l’endroit ce monde désaxé : il faudra peut-être séparer les rôles gouvernementaux (NDT : ils sont officiers d’état-civil) et religieux des prêtres afin qu’ils ne soient pas contraints à célébrer des mariages homosexuels ; ou nous devons prendre des initiatives en légiférant pour protéger les boulangers-pâtissiers, les fleuristes et les photographes qui ont une objection de conscience à collaborer à un mariage homosexuel ; et peut-être, en dernier ressort, devrions-nous restreindre le mariage à deux adultes, ou même à deux êtres humains, pour prévenir d’autres dérives.
Mais toutes ces mesures sont équivalentes à réarranger les chaises longues sur le pont du Titanic aussi longtemps que la contraception est quasi universellement acceptée – tout particulièrement la pilule, qui en usant d’hormones artificielles place des jeunes femmes en parfaite santé en parodie de ménopause, mais est prônée pour « la santé des femmes » en dépit de multiples effets secondaires physiques et émotionnels (présentés dans un de mes articles antérieurs).
Car la contraception implique un « droit » au sexe sans procréation – prétendument un droit moral protégé légalement par cette « ambiguïté » de la Constitution découverte par la Cour Suprême – le droit à la vie privée.
Et les conséquences de l’affirmation de ce droit sont inévitables. Comme le démontre le cas Hobby Lobby, toutes les adeptes de la contraception ne veulent pas étendre le droit moral et légal au sexe sans procréation à la mise à mort du tout-petit qu’elles viendraient accidentellement à concevoir, en dépit d’un usage méticuleux de contraceptifs. Il y a de nombreux niveaux dans le péché. De nombreux voleurs professionnels regimberaient à poursuivre leur activité si cela impliquait mort d’homme. Mais beaucoup d’adeptes de la contraception, persuadées de leur droit nouvellement découvert de ne pas être encombrées d’une progéniture, porteront ce droit à sa conclusion ultime.
De même, des adeptes de la contraception dans les liens conjugaux vont renâcler à reconnaître les liaisons homosexuelles comme des mariages institutionnalisés de validité équivalente au leur. Mais en raison d’une logique défaillante, elles ne voient pas que ces homosexuels ont tout autant droit au sexe non procréatif qu’elles réclament.
Les critiques catholiques reprochent souvent aux prêtres et évêques de ne pas davantage donner de la voix pour condamner l’avortement et la légalisation du mariage homosexuel. Certains le font. Mais l’action la plus fondamentale et courageuse serait une condamnation concertée de la contraception. Parmi les politiques, Rick Santorum s’est exprimé fermement sur ce problème, de même que la conférence des évêques des Etats-Unis et certains évêques. La voix la plus importante cependant, devrait être les paroisses, sur la « ligne de front ». Comme l’archevêque Chaput en a lancé le défi à ses prêtres dans le journal diocésain, « si les prêtres ne prêchent pas le message de l’Eglise sur la contraception, le Ciel perd des âmes. N’ayez pas peur. Quand Jésus prêchait la vérité, il a perdu des gens. Mais petit à petit, il en a gagné bien davantage. Gardez courage dans le Seigneur. »
Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’université de Marquette. Il a écrit plusieurs livres.
Illustration : couverture du Time magazine d’avril 1967 traitant de la pilule contraceptive
source :http://www.thecatholicthing.org/2015/08/22/what-lies-beneath-contraception/