Dans la Bible, ce qui se rapproche le plus d’une définition de la foi est le célèbre résumé de l’Épître aux Hébreux. « Mettre sa foi en Dieu, c’est être sûr de ce que l’on espère, c’est être convaincu de la réalité de ce qu’on ne voit pas encore. » (He. 11:1) Au Moyen-Age, il y a eu un important débat pour savoir si cette déclaration correspondait à une définition ou non. Saint Thomas d’Aquin a consacré un chapitre de sa Somme Théologique à cette question.
Thomas d’Aquin conclut que, bien que la définition ne soit pas dans la forme syllogistique correcte, elle équivaut à une définition « informelle ». Il reformule alors ce passage en une définition plus formelle : « la foi est une habitude de l’esprit par laquelle la vie éternelle débute en nous, conduisant notre intelligence à adhérer à ce qui n’est pas encore apparu. »
Thomas d’Aquin apporte là les connotations subjective et objective de l’hypostase – la foi est une habitude ou une vertu de l’esprit, et également le germe implanté de la vie éternelle. Et bien que portant sur une « patrie » invisible, elle apporte le même type d’adhésion ou de conviction que génèrent les réalités objectives rencontrées ici et maintenant. En d’autres mots, c’est la base dans notre vie présente de notre entrée dans la vie éternelle, fournissant au croyant l’évidence de l’existence d’un royaume transcendant.
Cette définition est manifestement paradoxale. Elle est expérimentale, mais pas dans le sens ordinaire. Cela fait référence à l’expérience d’être capable d’aller au-delà de l’expérience sensible. La « substance » ou la « concrétisation » à laquelle se réfère l’auteur de la lettre aux Hébreux est, pour utiliser un langage plus philosophique, un pouvoir ou une « puissance » qui complète les aptitudes naturelles du croyant. L’expérience paradoxale qui en résulte est une rencontre avec « l’évidence » des mystères invisibles auxquels la foi est reliée.
Un chrétien pense aux Apôtres et aux disciples après la Pentecôte, voyageant dans l’ensemble du monde alors connu pour répandre « la bonne nouvelle ». Nombre d’entre eux – ayant connu le Christ, ayant vu ses œuvres, ayant été témoins de sa résurrection, ayant reçu la puissance de l’Esprit – étaient semblables à un journaliste qui vient de dénicher une exclusivité et est impatient de répandre la nouvelle, ou peut-être plus exactement à la femme de l’Évangile (Luc 15:8-9) qui retrouve une pièce perdue qu’elle avait longtemps cherchée et qui sort clamer sa chance à tout son voisinage.
Pour beaucoup des premiers chrétiens, la première source de leur foi a été la prédication du Christ lui-même ou de Jean-Baptiste. Saint Paul indique la source ordinaire du déclenchement de la foi :
« Qui invoque le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc ceux qui ne croient pas pourraient-ils invoquer le nom du Seigneur ? Et comment pourraient-ils croire en Lui, ceux qui n’ont pas entendu parler de Lui ? Et comment pourraient-ils en avoir entendu parler sans un prédicateur ? »
Mais des obstacles barrent le chemin,ainsi que le Christ le met en évidence dans sa parabole du semeur sorti pour semer :
« La semence est la Parole de Dieu. Ceux sur le chemin sont ceux qui ont entendu la Parole, mais le diable survient et arrache la Parole de leurs cœurs afin qu’ils ne puissent pas croire et être sauvés. »
De quelles autres sources est-il possible d’obtenir la foi ? Le Christ propose une alternative. Ceux qui ne croient pas ses paroles peuvent être convaincus par ses « œuvres », c’est-à-dire les signes qu’il propose ; et les disciples qu’il envoie annoncer la venue du Royaume seront aussi reconnus à leurs « signes » – chasser les démons, parler des langues nouvelles, guérir les malades… A ces signes, Paul ajoute le don de prophétie et le don des langues (la glossolalie).
Les signes que le Christ a offert presque exclusivement sont les exorcismes et les guérisons miraculeuses. On peut supposer que ce sont d’abord les signes plutôt que la prédication qui ont suscité la foi de la Cananéenne qui réclame à Jésus les « miettes » après qu’il ait accueilli les Juifs ainsi que la foi du centurion romain qui envoie un messager pour demander à Jésus de soigner son serviteur.
Des signes miraculeux nous sont-ils encore donnés pour soutenir la foi ? Il y a occasionnellement des « révélations privées », ou des guérisons miraculeuses comme à Lourdes, où des équipes de médecins examinent les cas de guérisons présumées suite à un bain dans l’eau de la source. Il y a aussi le ministère d’individus exceptionnels tels le Padre Pio de Pietrelcina (1910-1968) dont l’intercession a obtenu de nombreuses guérisons inexplicables ; ou encore des miracles publics exceptionnels dont sont témoins des dizaines de milliers de personnes – comme le miracle du soleil à Fatima en 1917, ou les apparitions publiques de la Vierge Marie à Zeitun, en Égypte, en 1968 et 1969, qui ont été enregistrées et sur lesquelles le gouvernement a enquêté.
Le scepticisme envers les miracles est commun à notre époque, même parmi les théologiens chrétiens, pour qui un miracle semble une intervention divine injustifiée et déplacée dans les lois de la nature. Pas mal de croyants semblent penser qu’ils n’ont pas besoin de miracles pour affermir leur foi. L’origine souvent méconnue de cette vision des choses se trouve dans le sentiment antichrétien des Lumières, au 18e siècle.
Comme l’observe Frank Tipler : « L’idée que le miracle viole les lois de la physique a été introduite dans le monde anglophone par les déistes, dont l’objectif était de nier la Résurrection et l’Incarnation. Si un miracle viole les lois physiques, si la Résurrection et l’Incarnation violent les lois physiques, alors les déistes peuvent utiliser la preuve solide que les lois physiques ne sont jamais violées comme témoignage contre la Résurrection et l’Incarnation. Hume [dans son traité sur les miracles] ne fait que prolonger et développer cette stratégie déiste. »
Quoi qu’il en soit, les signes ne sont pas une condition sine qua non de la foi. Jésus a même mis en garde contre une trop grande dépendance aux signes.
Quelles sont alors les sources principales de la foi de nos jours – des sources qui puissent inspirer le même enthousiasme que celui des premiers chrétiens ? Ont-elles changé ? Théoriquement, la technologie a fait de tels progrès que l’Évangile peut maintenant être proclamé dans le monde entier grâce à la radio, la télévision par satellite, l’internet, les médias sociaux, etc.
Les obstacles pratiques semblent cependant insurmontables. Comment communiquer la Bonne Nouvelle aux aborigènes, aux analphabètes, aux isolés, aux individus sous régimes dictatoriaux qui interdisent la libre parole, aux individus sous l’emprise de sectes qui déforment et vicient la parole de Dieu et/ou répandent de violentes rivalités sectaires et/ou utilisent la force pour empêcher d’entendre parler du Verbe de Dieu ? Sans parler des laïcs entourés d’une famille, d’amis, de collègues et d’une culture imprégnées des « bonnes nouvelles » alternatives (à savoir que la science a toutes les réponses et que l’orthodoxie scientifique devrait être la mise à l’épreuve des croyances) ? Comment l’Évangile pourrait-il être transmis à ceux plongés dans nos sociétés progressistes et industrialisées, qui sont simplement trop occupés pour écouter ?
Les Écritures et la prédication sont toujours les sources principales. Mais ce serait peut-être une erreur de trop insister là-dessus. D’autres sources pourraient être plus efficaces pour certaines personnes. Par exemple, l’étude de la nature, si elle n’est pas une des sources les plus importantes de la foi, est certainement un auxiliaire important à toutes les époques puisque « depuis la création du monde, les attributs de la puissance éternelle et de la divinité de Dieu peuvent être compris et perçus à travers ses œuvres. »
Dans le monde contemporain, avec la croissance exponentielle du savoir scientifique, cette source peut devenir plus importante qu’elle ne l’a été par le passé. Comme Saint Paul le mentionne, la condition préalable à la foi est d’en venir à croire que Dieu existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent. La contemplation de la nature semble un chemin vers la foi que beaucoup empruntent au sein de la communauté scientifique. La notion d’un Concepteur peut être le point de départ vers la croyance en la divine providence et en la vie éternelle.
La foi est décrite par Saint Paul comme une vision brouillée de la divinité : « A présent, nous voyons indistinctement, comme dans un miroir, mais ensuite ce sera face à face. A présent, je connais imparfaitement, mais ensuite je connaîtrais en plénitude comme je suis pleinement connu. » Il y a une variété de « miroirs » dans lesquels nous pouvons voir des reflets fragmentaires de Dieu. Des signes de la divinité, de son pouvoir et de sa créativité sont visibles dans la nature, note Saint Paul, à moins d’être un enragé des Lumières qui par une étrange trituration des méninges ne voit plus dans la nature que le travail incroyable de la Chance vue comme substitut de la divinité.
Puisque les humains sont créés à l’image de Dieu, des visions plus ou moins claires de l’amour de Dieu, de sa puissance et de sa sagesse se trouvent chez nos voisins, à moins de les regarder avec les lunettes de la haine ou de l’indifférence. Et un chrétien qui médite sur la vie et les actions de Jésus en arrivera à voir la preuve de la divinité.
Bien que le doute soit compatible avec la recherche des objets exacts de la foi, la vision indistincte du divin qui nous parvient par « les reflets de miroir » de la foi peut être affranchie du doute, tout comme lorsque nous regardons le reflet d’une personne et que nous nous lamentons du flou et du manque de luminosité de l’image sans douter pour autant de qui est représenté.
Une autre caractéristique de la foi est une ouverture à la puissance divine. Dans les Évangiles, ceux qui recherchent une guérison miraculeuse sont enjoints d’avoir la foi comme préalable à la guérison. Une telle ouverture peut aussi être un état habituel, un abandon à la divine providence, qui se manifeste particulièrement dans les moments où une aide humaine n’est pas envisageable ou quand les croyants se privent volontairement de leur subsistance ordinaire.
Dans son autobiographie, le yogi Paramahansa Yogananda décrit une étape dans sa progression, quand avec un compagnon et les encouragements de leur directeur spirituel, ils entreprennent un voyage sans argent et sans mendier pour fortifier leur confiance en la divine providence. Dans une épreuve de la foi quelque peu analogue, des étudiants se préparant à la prêtrise chez les Jésuites sont souvent envoyés en voyage sans argent, dépendant de la gentillesse d’étrangers ou d’opportunités d’emploi rencontrées en chemin.
A côté de cette ouverture passive au pouvoir de Dieu, la foi peut prendre la forme d’une ouverture à la possibilité de participer activement aux manifestations de la puissance divine. La référence la plus spectaculaire et cette promesse stupéfiante que Jésus adresse à ses disciples : « Amen, je vous le dis, si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à cette montagne ‘va d’ici à là’ et elle vous obéirait. Rien ne vous serait impossible. »
Les commentateurs des Écritures des premiers temps ont presque toujours pris ces propos au sens métaphorique, comme référence aux grandes choses qui peuvent être accomplies au service de Dieu en fonction de son propre degré de foi. Mais Saint Grégoire le Thaumaturge (« le faiseur de miracles ») est réputé avoir déplacé une montagne pour faire place à une église au 3e siècle. Dans l’Église Orthodoxe, il y a des exemples de ces mots pris littéralement. Au 4e siècle, un saint orthodoxe, le vénérable Marc, l’anachorète d’Athènes, est réputé avoir déplacé une montagne dans la mer. Et dans l’hagiographie des coptes orthodoxes, Saint Simon le Tanneur, au 10e siècle, défié par le calife musulman Al Muizz, aurait déplacé la montagne Mokattam comme preuve de la supériorité du christianisme sur l’islam. Inutile de dire que si d’aussi puissantes manifestations de foi avaient encore lieu de nos jours, le choix d’une religion ne serait pas difficile pour ceux qui cherchent.
Enfin, la foi se manifeste activement dans une courageuse persévérance face à la mort et contre les forces du mal, comme illustré par les paroles de Jésus à Simon Pierre : « Simon, Simon, vois, Satan vous a réclamé pour vous passer au crible comme le froment mais j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas ; quand tu sera affermi, affermis tes frères. »
L’ultime manifestation de l’affermissement causé par la foi est bien sûr le courage et la patience inébranlables des martyrs qui endurent des souffrances extraordinaires aux mains des opposants à la foi. Dans les conditions actuelles, ce type de témoignage est très répandu au Moyen-Orient mais pourrait bien devenir de plus en plus proche de nous.
[Ces article est un extrait adapté d’un livre du professeur Kainz paru en 2010 : L’existence de Dieu et l’instinct de foi.]
Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’université de Marquette.
Illustration : « Saint Paul prêchant sur l’Aréopage » par Léonard Porter, 2010
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/05/16/the-faith-of-christians/