Michael P. Foley (un collaborateur occasionnel de ce site) vient de publier un livre des plus opportuns sur l’une des caractéristiques qui distingue les catholiques de certaines autres religions (voire de la plupart d’entre elles) : le fait que nous apprécions l’alcool.
Drinking with the Saints : The Sinner’s Guide to a Holy Happy Hour [Trinquons avec les saints : guide à l’usage du pécheur à l’heure sacro-sainte de l’apéritif] est un livre enjoué sur un sujet sérieux. Il ne fait aucun doute que la consommation d’alcool (une activité moralement neutre en elle-même) peut agréablement accompagner les plaisirs de l’amitié, mais aussi plonger sans remède dans la misère et l’isolement.
Je tiens tout cela de mon expérience personnelle. Ma maison est un endroit accueillant où l’hôte (moi) est un légendaire expert en cocktails (cf. la recette de mon « Cristo Rey »), mais en grandissant (il y a de nombreuses années et bien loin d’ici) j’ai vu ma (par ailleurs) sainte mère sombrer lentement dans les vapeurs d’un alcoolisme dont seule la mort l’a sauvée.
En ce qui concerne mes propres fils, je leur ai prêché l’importance d’une consommation modérée d’alcool, bien qu’ils sachent que l’idée selon leur père d’une tempérance bien comprise ferait probablement s’évanouir un méthodiste traditionnel. Mais les plaisirs que donne l’alcool sont tels qu’il importe de les protéger des excès qui peuvent transformer l’élixir en toxine.
Le livre de MIchael Foley présente certains des éléments communs à tous les ouvrages sur la bière, le vin et les alcools, mais ce qui le rend exceptionnel c’est sa structure fondée sur l’année liturgique. Dans les annexes on trouve une liste alphabétique des cocktails, mais aussi des fêtes religieuses et des saints.
Par exemple, j’ai cherché mon saint patron, Bernard de Clairvaux, dont la fête est célébrée le 20 août et trouvé trois pages fascinantes d’histoire et de légende, illustrées par l’un des nombreux tableaux représentant la « lactation de Bernard » (lactatio Bernardi), une scène dans laquelle notre Bienheureuse Mère, nourrice de l’humanité, fait tomber quelques gouttes du lait de son sein dans la bouche du grand saint (le catholicisme est beau et étrange). Certaines des recettes des boissons recommandées pour fêter saint Bernard sont à base de lait et trop sucrées pour moi (je préfère l’amer !) mais il y a aussi une digression intéressante sur la bière des trappistes.
Les trappistes sont issus de l’ordre des cisterciens et par conséquent grandement redevables à saint Bernard. Parce qu’il vient d’être publié, Drinking with the Saints mentionne même la toute dernière ale trappiste qui ne vient ni de Belgique ni des Pays-Bas, mais de l’Abbaye Saint Joseph de Spencer (Massachusetts), seulement vous aurez bien de la chance si vous en trouvez une bouteille. On peut se procurer plus facilement des bières de l’Abbaye Ovila, produites en partenariat par les bénédictins de l’Abbaye de New Clairvaux (Californie) et la Sierre Nevada Brewing Company et donc pas vraiment fabriquées par une abbaye comme le sont les grandes bières et ales trappistes, c’est-à-dire dans les monastères eux-mêmes.
La section sur Saint Bernard se termine par une énumération des liqueurs cisterciennes, et elles sont très nombreuses.
La meilleure manière de consulter Drinking with the Saints est peut-être de suivre l’ordre chronologique. Des signets vous aident à trouver chaque mois. Pour aujourd’hui, la Sainte Monique, la très patiente mère de Saint Augustin, qui est aussi la patronne des « mariages difficiles et des enfants décevants », Foley recommande un cocktail « la Veuve joyeuse » : gin, cinzano dry, bénédictine, absinthe, avec des orange bitters et un zeste de citron. Si vous avez une préférence pour le vin, des vins sardes d’un négociant en vins Cantina Santa Maria la Palma sont recommandés.
Dans une digression sur le vignoble, l’auteur signale que la Sardaigne est le lieu de naissance d’Eusèbe, le grand historien et combattant de l’arianisme. Foley note qu’Eusèbe fut tellement harcelé sa vie durant par les hérétiques qui croyaient que le Fils n’est pas consubstantiel au Père que « l’Eglise vénère traditionnellement Eusèbe comme martyre, bien qu’il soit mort à un âge très avancé dans son lit après des années d’exil ». C’est certainement une raison de lever son verre à sa mémoire- le jour de sa fête, le 2 août.
Le 4 mai est également la fête des saints Sacerdos (mort en 720) et Florian (mort en 250). Pour honorer Sacerdos il faut du vin de la Garonne et Florian, un soldat romain converti au christianisme, mérite un cocktail spécial, le «Pompier amer ». Florian était autrichien, ce qui pourrait sembler rendre un peu incongru un cocktail à base de rhum avec de la grenadine et du jus de lime, mélange typiquement Nouveau Monde, si ce n’est que l’une des fonctions de Florian dans la Légion romaine était celle de soldat du feu.
Il n’y a pas d’entrée pour mon anniversaire en automne – c’est un autre bon usage du livre : associer les anniversaires avec des breuvages catholiques – mais quand j’étais un petit garçon, nous reportions presque toujours mon anniversaire jusqu’à Halloween, jour pour lequel Foley recommande deux cocktails « diaboliques » mentionnés ailleurs dans son livre : Black Devil (rhum, vermouth doux et une olive noire) et les Moustaches de Satan (gin, vermouth dry et vermouth doux, jus d’orange et curaçao). Certains, de toute évidence, préfèrent le sucré au bitter.
Foley raconte une anecdote amusante à propos de la coutume du trick or treat [coutume respectée le jour de Halloween : donnez-moi un bonbon ou je vous joue un tour]. Son père sortait avec ses enfants qui transportaient leurs sacs, mais lui se munissait d’un assez grand verre : « Tandis que les enfants recevaient un bonbon dans la maison d’un ami, mon papa souriait et tendait son verre ». Il ajoute que, heureusement pour la sobriété de son père, les Foley n’avaient pas beaucoup d’amis.
A côté de mon plutôt imposant bar domestique j’ai casé une demi-douzaine de manuels de cocktails tout écornés, dont le plus utilisé est The Joy of Mixology du grand Gary Regan où vous pouvez trouver d’excellentes recettes, l’histoire des cocktails eux-mêmes et des directives sur l’art de préparer un cocktail.
Je vais ranger Drinking with the Saints de Michael Foley à côté de Joy of Mixology de Regan, pas seulement pour les recettes, mais aussi pour les toasts en mémoire des saints qu’un bon chrétien devrait avoir présents à l’esprit quand il déguste des breuvages catholiques. Prosit !
Lundi 4 mai 2015
Photographie: Drinking with the Saints; The Sinner Guide to a Holy Happy Hour
Brad Miner est un des rédacteurs principaux de The Catholic Thing, directeur de recherche du Faith & Reason Institute et membre du conseil d’administration d’Aid to the Church in Need USA. C’est un ancien rédacteur littéraire de la National Review. Son livre, The Compleat Gentleman, est disponible en audiolivre et iPhone app.
Pour aller plus loin :
- Catholique toujours : la contribution de Michael Novak
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
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