En un peu moins d’un an, les catholiques qui espèrent un relâchement désastreux de la doctrine de l’Église et de la pratique pastorale sur le mariage ont fait de remarquables progrès pour atteindre leur but. En octobre dernier, l’assemblée extraordinaire du synode des évêques sur la famille et la très controversée relatio post disceptationem (rapport après la discussion, diffusé à la mi-temps de la rencontre) ont permis des pas importants dans cette direction. A présent, un débat confus et plein d’acrimonie entre catholiques, témoigne de ce qui a déjà été fait. Si l’on en passe par ce que souhaitent les promoteurs du changement , l’assemblée « ordinaire » du synode en octobre prochain et le document post-synodal du pape François un peu plus tard, procéderont à une conclusion qu’ils considéreront comme un succès.
Sans aucun doute, s’ils réussissent, d’autres éléments des enseignements de la morale catholique seront visés, exactement comme l’a été celui sur le mariage, et spécialement l’indissolubilité. En fait, dans une mesure importante, c’est déjà en train d’arriver. Il est donc doublement important pour les catholiques traditionnels de comprendre les arguments qui sont avancés en faveur du changement.
A mon avis, ils se réduisent à trois.
D’abord, les orthodoxes, dans certaines circonstances, autorisent les divorcés remariés à accéder à la communion, même si leur premier mariage n’a pas été déclaré nul. Puisque les orthodoxes le font, pourquoi pas nous.
Ensuite, l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage n’est pas ici remis en cause. Nous ne parlons que de pratique pastorale, pas de doctrine.
Troisièmement l’enseignement est vrai, mais c’est un idéal, pas une norme, et il est irréaliste et déraisonnable d’insister pour que des gens ordinaires vivent systématiquement à la hauteur de tels idéaux. L’Eglise se doit de montrer de la compassion aux personnes qui ont des problèmes, plutôt que de les charger du poids de règlements qu’il leur est impossible de respecter.
Prenons ces arguments un par un. D’abord, les orthodoxes autorisent les divorcés remariés à communier. La meilleure réponse à ceci est aussi la plus simple : Et alors ? Il est facile de penser aux nombreux domaines où les autres Églises croient et font des choses contraires à ce que croit et fait l’Eglise catholique. Est-ce qu’il s’ensuit que les autres Églises ont forcément raison et l’Église catholique forcément tort ?
Oui, l’Église catholique a des choses à apprendre des autres Églises (de même que les autres Églises ont à apprendre de l’Église catholique). Mais la raison pour laquelle on devrait se débarrasser des croyances et des pratiques catholiques pour adopter celles de quelqu’un d’autre doit être plus rigoureuse que simplement « Ils le font donc nous aussi ».
C’est ainsi, surtout parce que le changement envisagé amènerait l’Eglise à s’aligner avec la sagesse conventionnelle de la culture laïque. Dans la situation actuelle, le changement pour lequel on plaide fonce la tête la première dans la déclaration frappante du Christ comme quoi celui qui répudie son conjoint pour en épouser un autre est « coupable d’adultère » (Mt XIX 9). Assurément, c’est un argument de plus de poids que « Ils le font, donc nous aussi. »
En ce qui concerne l’idée qu’il ne s’agit pas de doctrine mais de pratique pastorale, ce raisonnement ne tient pas. La doctrine et la pratique pastorale ne sont pas identiques mais sont inséparables. Comme l’a dit récemment Mgr Timothy Dolan, cardinal de New York, « La doctrine et la pratique pastorale sont indissolublement liées » Et qui plus est, a-t-il ajouté : « Le but de la pratique pastorale est de présenter fidèlement la vérité de l’Evangile avec exactitude, comme une bonne nouvelle aux familles d’aujourd’hui. »
C’est exact, il y a vraiment des cas difficiles — particulièrement des femmes qui n’étaient pas responsables de l’échec de leur premier mariage, qui se sont remariées pour pouvoir élever leurs enfants, et qui maintenant sont profondément malheureuses de ne pas avoir accès aux sacrements. C’est pour elles que les règles et procédures des reconnaissances en nullité ont besoin d’être révisées, de même qu’il est légitime d’offrir à ces personnes toute la sollicitude pastorale que l’Eglise est capable de proposer. Mais rien de tout cela ne devrait se faire au détriment de l’intégrité de la doctrine
Enfin, il y a l’idée que l’indissolubilité est un idéal et non une norme. Cet argument dit que dans la vie de tous les jours, les gens n’arrivent pas à réaliser leur idéal vu que celui-ci montre comment les choses devraient être dans un monde idéal, alors que celui dans lequel nous vivons ne l’est manifestement pas. Dans ces conditions, non seulement l’Eglise peut, mais doit donner généreusement des permissions aux gens qui n’arrivent pas à atteindre l’idéal de l’indissolubilité, plutôt que de les punir pour n’avoir pas fait quelque chose qu’il est injuste de leur imposer.
Il ne faut pas s’attendre, toutefois, à entendre dire : « l’indissolubilité du mariage est un magnifique idéal, mais c’est seulement un idéal, et l’on ne peut pas attendre des gens ordinaires qu’ils puissent le vivre. » C’est une manière trop brutale de s’exprimer. Mais on en voit déjà le principe à l’œuvre dans la manière dont on enseigne la contraception. Elle est souvent traitée comme « un idéal mais pas une norme » à l’instar du discours religieux populaire.
Le grand avantage qu’offre cette approche à ceux qui l’acceptent est de leur permettre de dire en toute sincérité qu’ils acceptent la doctrine — de la contraception, ou de l’indissolubilité ou de toute autre sujet — tout en lui déniant son caractère obligatoire. Si cette approche est acceptée en ce qui concerne l’indissolubilité, elle s’étendra vite à d’autres sujets du genre mentir pour dissimuler une honnête erreur, avoir une brève liaison adultère, avorter un fœtus très handicapé, tuer un prisonnier en temps de guerre pour faire parler d’autres prisonniers, et moult autres choses.
Dans une comparaison mémorable, le pape François a décrit l’Église comme un hôpital de campagne qui traite les blessés de guerre. Toutefois, il faut remarquer qu’il a développé cette métaphore de façon significative, dans son discours à la fin du synode d’octobre, quand, en même temps qu’il fustigeait la rigidité, il mettait en garde contre « la tendance destructrice à une bonté excessive (buonissimo – qui serait peut-être mieux traduit par sensiblerie). Celle-ci, au nom d’une trompeuse pitié, panse les blessures sans les avoir d’abord soignées et traitées ; elle traite les symptômes et non les causes et les racines du mal. » Et le Pape déclare que « c’est la tentation des bonnes âmes, des craintifs et aussi des soi-disant progressistes et libéraux ».
Qu’ils le reconnaissent ou non, voilà ce que font les promoteurs d’une doctrine affaiblie et d’une pratique pastorale déformée pour trouver des excuses aux catholiques divorcés qui se sont remariés sans avoir plaidé la reconnaissance en nullité. Espérons qu’ils n’y arriveront pas !
Illustration : «Le Christ et la femme adultère » par Lucas Cranach le Jeune, c. 1540.
Traduction de Why “relaxing Pastoral Practice” is a bad Idea