La présence du Premier Ministre israélien aux manifestations du 11 janvier a écrasé toutes les autres. A tort ou à raison ? La question se repose à l’occasion de l’invitation qui a été adressée à Benyamin Netanyahou par le Congrès américain le 3 mars prochain, deux semaines avant les élections générales en Israël. Le Parti républicain qui, désormais, contrôle le Congrès en a décidé ainsi sans concertation avec le Président ni avec la minorité démocrate qui pourtant bénéficie toujours de la grande majorité du vote juif aux États-Unis. Bibi Netanyahou avait eu l’audace, contre tous les usages, avant les élections à mi-parcours, de déclarer qu’il voterait républicain. Le parti lui renvoie l’ascenseur. Les républicains voteront Netanyahu le 17 mars.
Qu’en est-il de la France ?
La France s’abrite derrière deux axes de défense : la parenté socialiste avec Shimon Peres, et avant lui Ben Gourion et Golda Meir, héritage politique qui n’est plus mais qui n’avait pas empêché le général de Gaulle en 1967 de décréter la séparation, le divorce ; le consensus européen qui passe par la reconnaissance de l’État palestinien. Bref la France en tant que telle n’a plus rien à dire aux représentants actuels de l’État d’Israël. C’est le constat que fait le philosophe franco-israélien disciple de Pierre Boutang, Michaël Bar-Zvi, dans son récent ouvrage Israël et la France. L’alliance égarée (éditions les Provinciales). Israël n’attend pas de la France qu’elle en reste à l’émancipation des juifs comme individus à la Révolution française. Les attentats antisémites en France ne s’en prennent pas à la République, ni à la démocratie, ni à la paix en Palestine. Ils s’en prennent à la loi, écrit Ben-Zvi, à la loi française, à la loi de la République, loi d’origine judéo-chrétienne, au Juif comme Juif.
Le malentendu est profond : ce n’est pas que les Juifs aient leur place en France, c’est que, comme l’a dit le Premier ministre français, « sans les juifs de France, la France ne serait plus la France ». On n’a sans doute pas mesuré la portée de cette phrase dont on n’a retenu que l’effet rhétorique. Effet de manches ? Que nenni ! La France, selon Bar-Zvi, est juive dans ses fondements, en un sens très différent de celui d’Édouard Drumont quand il écrivait La France juive. Oui, dit Bar-Zvi, la France est juive ou elle n’est pas.
Le problème n’est pasn une fois de plus et encore, la légitimité de l’État d’Israël mais la légitimité de la France. Si vous avez été gêné par la présence de Bibi Netanyahou à Paris le 11 janvier, si vous l’avez trouvée trop voyante, ostentatoire, si vous avez été choqué par ses appels à la montée des juifs français vers Israël (Alya), vous n’avez rien compris aux liens qui unissent la France à la destinée du peuple juif.
Et à ce que Israël attend de la France exclusivement en Europe : qu’elle y défende l’honneur juif. Car personne ne le fera à sa place. Voilà un rôle à la mesure de la France. Moins il y a de Juifs en Europe, plus il doit y avoir de France pour parler au nom des absents, des morts, des exilés, et des vivants en Israël. Il est heureux que Paris, après tant d’avanies antisémites ou antisionistes, compte autant encore pour un homme comme Benyamin Netanyahou, entièrement aligné sur les communautés juives américaines. On devrait se féliciter que le Premier ministre israélien ait vécu aussi intensément sa journée parisienne jusqu’à voler la vedette non seulement à Mahmoud Abbas et au roi de Jordanie mais encore à Angela Merkel et David Cameron. C’est une juste et utile remise en ordre des priorités françaises autant qu’israéliennes. Il serait bon qu’à partir de cela on puisse rebâtir une relation saine entre les deux pays par la redécouverte de leurs profondes affinités spirituelles. Claudel, Bernanos, Maritain, mais aussi le général Koenig, Jacques Chaban-Delmas ou Jacques Soustelle, n’auraient pas travaillé en vain et autant côté israélien.