L’attentat perpétré contre le siège de Charlie Hebdo par des fanatiques musulmans à Paris cette semaine a brièvement réveillé en moi les émotions et impulsions éphémères d’un journaliste de la presse à sensation. C’était un scoop, mais bien mieux, cet attentat nous visait « nous ». Il fallait immédiatement réagir, écrire, dire quelque chose ! Sans même prendre le temps de la réflexion.
Dans les bureaux de l’hebdomadaire satirique lui-même, la réaction fut plutôt « étouffée » (j’emploie à dessein les termes que les rédacteurs eux-mêmes auraient pu utiliser). Les principaux responsables, dont l’illustre rédacteur en chef et quatre célèbres dessinateurs, étaient tous morts. Mais dehors, les rues se remplissaient de dizaines de milliers de personnes arborant des badges « je suis Charlie » et d’autres insignes marquant leur solidarité.
Autant que je puisse en juger, les fanatiques ont réussi leur pari. Les hommes qu’ils considéraient comme des blasphémateurs ont été exécutés. La France entière s’est arrêtée pour méditer l’événement. Et les musulmans ont été rejetés en bloc comme des parias. Toutes ces conséquences avaient été prévues.
Les terroristes étaient peut-être des psychopathes, mais comme tous ceux qui ont vu les brèves images vidéo de la fusillade l’auront constaté, ils étaient bien entraînés. Ce n’était pas une opération en série de plus, du type d’autres attentats récents en France, ceux, par exemple, de musulmans déséquilibrés fonçant avec leur véhicule sur la foule.
Cette opération avait été bien planifiée et organisée et donne une idée de ce qui peut nous attendre à l’avenir, quand des tueurs aguerris quitteront le « khalifat » de Syrie et d’Irak pour regagner leurs foyers en Europe et en Amérique. Ils sont impitoyables et savent que tel n’est pas notre cas. Cela leur donne un avantage en plus du choix des armes.
« La défense de nos valeurs » a suscité un flot d’inepties. Ce qui sert directement la cause des fanatiques parce qu’ils savent que nous n’en avons pas. Ils veulent accentuer les contrastes entre croyants et non-croyants ; ils veulent persuader leurs frères musulmans, surtout les jeunes, que le blasphème est notre seule défense et qu’on peut en venir à bout.
Ils veulent que les jeunes musulmans installés en Occident se sentent isolés, afin de jeter de l’huile sur le feu. Ils veulent amener la police qui les poursuit à pénétrer au cœur même des ghettos musulmans qui lui réserveront un accueil des plus hostiles.
En France et dans le monde entier, les organisations musulmanes modérées qui recommandent la tolérance n’ont pas tardé à condamner les attentats. Elles ont appris à réagir rapidement. Elles ont aussi appris à ne pas proférer de condamnations ambiguës. Si, selon elles, Charlie Hebdo était une revue de mauvais goût qui ridiculisait souvent et grossièrement leur Prophète, ce n’était pas le moment d’en parler.
Mais embarrasser les « modérés » constitue une autre conséquence voulue des attentats. Le message adressé aux jeunes tourmentés par leurs hormones est le suivant : « Nous arrivons à nos fins, pas eux ».
L’élément le plus décourageant de ce que nous intitulons mal à propos notre « guerre au terrorisme », c’est la réaction de ces imbéciles d’occidentaux qui disent « il ne s’agit pas de l’islam », alors qu’ils savent fort bien que c’est effectivement et uniquement de l’islam qu’il s’agit.
A présent, les tenants du « politiquement correct » rejettent toutes les phraséologies. Ils sont piégés parce qu’ils n’ont pas de valeurs à défendre, et donc aucun moyen de comprendre les gens qui veulent les annihiler. Ils sont déjà annihilés, et les musulmans fanatiques le savent aussi. En fait, ils en savent bien davantage sur nous que nous-mêmes sur eux, à cause de notre aveuglement volontaire.
Au lieu de valeurs chrétiennes positives qui correspondent aux valeurs musulmanes à tous égards (qu’elles concordent ou qu’elles s’opposent), nous leur présentons un vide. Notre « liberté » s’articule en termes purement négatifs, comme, au nombre des droits de l’homme, le « droit » de se permettre tout type de licence, « tant que cela ne nuit pas à autrui » dans un sens purement immédiat et matériel.
Prenons, par exemple, une couverture de Charlie Hebdo de 2010. La caricature représente le pape Benoît XVI brandissant un préservatif et déclarant « Ceci est mon corps ». Un des gestes de provocation typiques du magazine. Bien ciblé. Mais pas vraiment un blasphème parce que, dans notre monde occidental moderne, le blasphème n’existe pas.
Les Occidentaux n’ont pas de Dieu qu’on puisse outrager par un blasphème, excepté cette minorité encore chrétienne qui comprend pour la plupart qu’il faut être chrétien pour blasphémer.
Quand François Hollande, le président de la République française, s’est rendu au siège de Charlie Hebdo après le massacre, il n’a pu que prononcer un tas de clichés. C’était comme une visite de politesse faite à des morts.
On pourrait dire d’un ton dégagé qu’il est impossible de museler la presse libre; mais c’est tout à fait possible, et c’est ce qui s’est passé. Elle est aussi prête à se museler elle-même, comme nous le constatons dans les nombreux médias qui ont soigneusement flouté les dessins de Charlie Hebdo « susceptibles d’offenser les musulmans ».
Sauf quand elle emboîte le pas à la masse, la « presse libre » est en général timorée. La seule (et unique) raison pour laquelle j’admire les défunts rédacteurs et caricaturistes de Charlie Hebdo c’est qu’ils n’étaient pas des lâches. Ils ont vraiment déclaré « vous devrez nous tuer pour nous faire taire », en toute connaissance de cause. Leur attitude provocatrice vis-à-vis des musulmans fanatiques s’était renforcée après l’attentat à la bombe dans leurs bureaux en 2011.
Ils nous ont donné l’exemple, à nous, les catholiques.
L’islam est une force positive. Ses adeptes ont des convictions et nombre d’entre eux sont prêts à lutter pour les défendre. Les fanatiques peuvent être véreux, mais leur cause ne relève pas de l’intérêt personnel. Ils ont vraiment l’intention de conquérir l’Europe – cette conquête qui n’a pas été terminée au VIIe siècle – et leurs tactiques et stratégie ne sont pas mal conçues.
A chaque nouvel attentat, ils inspirent davantage de respect et gagnent davantage l’appui des jeunes musulmans. Chaque coup qu’ils frappent rend un son creux dans le ventre mou d’un Occident en pleine décadence. Nous ne voulons même pas reconnaître que nous sommes en guerre, tant notre défaite est complète.
Mais, comme ils le comprennent, la vraie bataille n’oppose pas l’islam à une vacuité morale absolue. Celle-ci est trop facile à gagner. Non, la bataille oppose le Christ à Mahomet, c’est la seule qui puisse les obliger à être sur la défensive; la seule dans laquelle leurs propres enfants peuvent se retourner contre eux.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/01/09/je-ne-suis-pas-charlie/
Photographie Le rédacteur assassiné Stéphane Charbonnier en 2011. Sur la caricature de la couverture Mohamed dit : « Cent coups de fouet si vous ne mourez pas de rire !
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un collaborateur du Ottawa Citizen. Il connaît très bien le Proche et le Moyen-Orient. L’adresse de son blog, Essays in Idleness, est davidwarrenonline.com.