Note de la Rédaction : Ces mots ont été prononcés le 5 décembre par leur auteur au Dîner de Gala de la Faculté de Droit Ave Maria à Naples, Floride, en honneur du philanthrope Tom Monaghan.
En France, les gens qui désirent quelque chose s’adressent au gouvernement; en Grande Bretagne, ils se tournent vers l’aristocratie. Aux États-Unis ile se tournent les uns vers les autres.
Pour bâtir nos écoles au travers du pays nous organisions des soirées dansantes, des ventes aux enchères (Cf l’opérette « Oklahoma »), des pique-niques, des loteries, des ventes de tricots et (au moins chez nous, catholiques) des soirées bingo.Ce soir, nous participons à l’une des plus anciennes et solennelles cérémonies américaines: une soirée de collecte de dons. Au lieu de compter sur le gouvernement, c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour réaliser ce qui nous est cher.
Je suis particulièrement, oui, particulièrement honoré de participer à la vente annuelle au profit de la fondation Thomas Managhan pour subventionner les études. Des années durant j’ai surnommé Tom « mon saint milliardaire favori ». Puis la Faculté de Droit « Ave Maria » — et plus encore l’Université — ont conquis Tom. Et maintenant, je le chante comme « mon ex-milliardaire saint préféré ».
Pourquoi M. Monaghan donne-t-il tant? Il est conscient de la fragilité de la liberté et de la foi. La liberté peut disparaître au cours d’une seule génération. Il suffit d’une génération pour mettre aux orties les lois fondamentales de l’Amérique, éteindre les lumières, sortir et fermer la porte. Alors, finie cette merveilleuse aventure.
J’imagine que Tom s’est demandé si ce siècle serait le dernier de l’Amérique. Cette nation est-elle un météore fulgurant ayant brièvement illuminé le firmament, puis maintenant éteint? Ou au contraire le brouillard qui nous entoure est-il une période de transition, heures glaciales, bombes éclatant partout, remparts en flammes? Sommes-nous proches de notre fin, ou d’une renaissance ?
Tom Monaghan, jeune orphelin, formé à la dure école des U.S. Marines, sut de suite quel serait son choix: faire de ces prochaines années une ère de renaissance — pour sa foi et sa patrie. Et il débuta par des études de Droit. Selon Blackstone au début de son livre, la Loi de Moïse est devenue, transmise par Jésus-Christ (pour les Gentils), source et fontaine de tout gouvernement pour tous: « sur ces deux bases, Loi de Nature et Loi de la Révélation, reposent toutes les lois des hommes… Aucune loi humaine les contredisant ne saurait être tolérée.»
Les Pères Fondateurs des États-Unis soutenaient qu’une république ne saurait exister sans liberté, et aucune liberté sans morale; et — pour la plupart des gens — pas de morale sans Dieu. Nos législateurs actuels ne s’y attachent plus. Alors que nos Fondateurs y insistaient. Comme George Washington:
« Il serait vain de prétendre au patriotisme tout en sapant ces deux grands piliers du bonheur de l’humanité, ces devoirs fondamentaux de l’homme, du citoyen [il citait la religion et la morale] . . . . Posons une simple question: qu’en sera-t-il de la sécurité des biens, de la réputation, de la vie, si le sens des devoirs religieux disparaît des promesses ?
Et admettons avec quelque réticence que la morale peut survivre sans religion. Quelle que soit l’influence reconnue à une éducation raffinée des esprits, la raison et l’expérience nous empêchent toutes deux d’admettre que la morale nationale peut suffire à dominer sans les principes religieux.»
Après les horreurs de ce dernier siècle, qui donc soutiendrait que notre république puisse survivre avec une population sans maîtrise personnelle, sans conscience individuelle ?
Quand presque tous les ditoyens se soumettent à une police personnelle, une police officielle n’a pas besoin d’effectifs importants. Pour les populations sans discipline personnelle, il n’y aura jamais assez de policiers dans la rue.
M. Monaghan attendait des contributions intellectuelles originales de la part de la Faculté de Droit Ave Maria. Tocqueville n’avait-il pas remarqué qu’un jour viendrait où les catholiques seraient les meilleurs analystes des principes propres à la Loi Américaine? M. Monaghan nous a confié un devoir: Mettez en valeur l’héritage intellectuel que la foi catholique lègue à la loi. Dans cet héritage figure :
● Un organisme mondial : le premier organisme mondial de l’histoire de l’homme est l’Église datholique. « Allez enseigner toutes les nations.» Pas seulement une populaton, une race, une tribu, mais tous les hommes, partout. « Catholique » [Grec : universel] est un mot plus ancien que « Mondial ».
● Une Loi internationale : devant le bâtiment des Nations Unies à New York est érigée la statue de Francisco de Vitoria, O.P., fondateur de la loi internationale moderne.
● Droits de l’Homme pour tous : ainsi que l’a merveilleursement exposé Mary Ann Glendon [diplômée de Harvard] dans son exposé sur le Déclaration Universelle des Droits de l(Homme, les penseurs tant catholiques que juifs ont ouvert la voie à un nouveau langage universel pour les droits de l’homme, comprenant la famille et autres entités autrement importantes que les États.
● Droits naturels : les tout premiers écrits traitant de droits naturels dans l’hémisphère Américain ne viennent pas de Hobbes, Locke, Hooker [philosophes, XVIIIème s.] ou de Jefferson, Madison [politiciens, XVIIIème s.], ou de Marshall, mais de Bartolomé de las Cases (1484 – 1566). Certains hommes sont voués par nature à l’esclavage et méritent d’être tenus comme esclaves, selon Aristote. Comme l’a remarquablement noté Lewis Hanke dans son ouvrage » Aristotle and the American Indians » [Aristote et les Indiens d’Amérique], le Frère Bartolomé ne pouvait plus le supporter.
● Comment les inégalités servent l’égalité : Tocqueville s’émerveillait de la savoureuse ironie avec laquelle les catholiques mieux que les autres mettaient en valeur l’égalité entre les hommes, même sous le régime féodal, et avec l’aristocratie et les inégalités sociales. Le roi s’agenouillait à la même table de communion que ses serfs. Le Dieu Tout-puissant et infini n’était pas impressionné par la fortune ou la situation de quelque humain, quelle que fût l’opinion que celui-ci eût de lui-même. Les hommes devant Dieu ne sont que poussière. Ou, tendrement entourés, ils sont frères et sœurs par le sacrifice du Christ.
● La primauté de la société civile : plus proche de nous, Dans « Man and State » [L’homme et l’État] Jacques Maritain dégage la primauté de la société civile sur l’État en des termes qui avaient précédemment incité certains pays à signer la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme car elle mettait en avant la protection des petites institutions devant l’autorité des États.
● L’association, première loi de démocratie : Tocqueville a écrit que la première règle de démocratie réside dans le principe d’association. Il remarque les traditions catholiques médiévales dépassant le simple individu par une multitude de confréries, fraternités, guildes et associations. Issue de la nécessité, l’habitude de s’associer est réapparue en Amérique, où la société s’est constituée à petite échelle par l’association de voisins s’entraidant, puis se formant en villages, en cités, en États, et ce n’est qu’après cent cinquante ans que s’est créée l’Union des États; les Américains Unis ne sont pas grands en tant qu’individus, mais en formant des communautés créées de toutes pièces.
● L’être et la personne : la pensée catholique a donné son élan à la distinction entre l’être et la personne. Ce crayon qui dépasse de ma poche, le chien de la famille, le hêtre dans le jardin — çà existe, ce sont bien des êtres. Les personnes ont bien plus de facultés et de responsabilités que tous les autres êtres, et ont l’immense dignité du choix de leur destin. Considérant leur passé, les personnes peuvent réfléchir et choisir de changer de comportement. Considérant leur futur devant une vertigineuse multitude de pistes à suivre, il leur faut faire le meilleur choix. Être ne confère aucune dignité, à la personne échoit la dignité de réfléchir et de choisir. Les animaux ne fondent pas de républiques. Seuls les humains, capables de réflexion et de choix, le peuvent.
● L’origine de « Liberté – Égalité – Fraternité » : Jürgen Habermas, un Allemend athée, eut l’honnêteté et le courage d’admettre en public (lors d’un débat avec le Cardinal Ratzinger) que cette devise des Lumières, « Liberté! Égalité! Fraternité! avait son origine dans les principes Juifs et Chrétiens. Aucun penseur païen ne s’y attachait. Certes pas à la fraternité, ni non plus aux deux autres concepts.
● Qu’est-ce que la liberté? : la liberté n’est pas la possibilité d’agir selon son plaisir — c’est bon pour les animaux. La liberté pour l’homme est la faculté d’agir comme on le devrait. Les animaux n’en ont pas conscience, les humains, oui.
● Le droit à la liberté de religion est d’évidence obligatoire : Jefferson et Madison [deux des « pères » des États-Unis] ont tous deux montré que toute créature consciente a un devoir de reconnaissance envers son Créateur. Tous deux placent la liberté religieuse en tête de ce devoir fondamental. Le devoir d’une créature envers son Créateur est si intense que nul ne peut s’interposer. Le Décret sur la liberté religieuse de Vatican II fonde également la liberté religieuse sur cette obligation.
Proposer pour le Droit une philosophie d’inspiration totalement chrétienne à la Faculté de Droit Ave Maria, tel est le but de Tom Monaghan. Temps et lieu sont propices à faire avancer ce grand projet qu’aucune Faculté de Droit n’a abordé jusqu’à présent. Le devoir de réussite vient d’être confié à cette Faculté. Juste quand notre pays en désarroi en a un besoin urgent. Tout comme notre foi catholique.
Je concluerai ce soir par une histoire, celle du Dr. Joseph Warren, le médecin qui mit au monde les enfants d’Abigail Adams et de nombreuses autres mamans. [NDT: une anecdote de la guerre d’indépendance]. Le Dr. Warren faisait partie des « Minutemen » [NDT: volontaires prêts à intervenir « à la minute » pour soutenir la lutte contre les Anglais] de Lexington, il prit alors une balle dans le cuir chevelu. Deux mois plus tard, venant d’être élevé au grade de Major Général de l’Armée Continentale, il apprit que 1.500 patriotes s’étaient emparés de nuit de la butte de Bunker et s’y étaient retranchés en silence.
À l’aube, des bataillons de « Vestes rouges » [forces anglaises] mettaient Charleston en feu et les flammes jaillissaient de 500 maisons, établissements et églises. Le souffle coupé, Abigail Adams regardait d’une hauteur voisine, et entendait la canonade des navires tirant cinq heures durant sur le butte Bunker. Pendant ce temps, le Docteur Warren, alors Major Général, galopait vers Boston et, à son arrivée, prenait position au bas de la butte Bunker.
Les insurgés Américains firent ce jour là preuve de leur discipline. Ils brisèrent deux vagues d’assaut de 3.500 soldats britanniques, neutralisant 70 à 90% des compagnies d’élite des « Redcoats », qui perdirent plus de 1.000 tués. Puis les Américains tombèrent en panne de munitions.
Alors que l’armée continentale faisait retraite, les dernières unités restèrent dans leurs tranchées repoussant les britanniques au corps-à-corps. C’est là qu’on vit pour la dernière le Major Général Joseph Warren abattu par une balle. Les officiers britanniques le décapitèrent et portèrent sa tête au Général Gage.
Tom Monaghan l’a bien reconnu, la liberté est toujours le bien le plus précaire. Elle peut être balayée au cours d’une seule génération. Toutes les générations doivent en décider. Et ce qui vaut pour l’Amérique vaut pour la foi catholique. Quand le Seigneur reviendra trouvera-t-Il sur terre au moins une personne encore fidèle à Son enseignement ?
Tout comme Tom Monaghan, Joseph Warren a déclaré aux hommes du Massachsetts :
« Notre pays est à présent en danger, mais il ne faut pas désespérer. La réussite de l’Amérique dépend de vous. À vous de prendre les décisions sur lesquelles reposent le bonheur et la liberté de millions d’enfants à naître. À vous de passer à l’action selon vos mérites.»
Et maintenant, déclarons ouverte la séance d’enchères — pour soutenir la haute mission de cette Faculté bénie. Et pour rendre hommage à Thomas Monaghan.
6 décembre 2014.
Source : America: Near Its End or a New Beginning?
Photo : Thomas Managhan à l’Université Ave Maria.