La papauté d’après Vatican a pris dans ses manifestations publiques un style très différent de ce qui était le cas avant le Concile. C’est le pape Paul VI qui, avec ses voyages variés et son discours à l’ONU, initia le passage d’une présence plus réservée à une présence beaucoup plus visible sur la scène mondiale.
Les voyages beaucoup plus nombreux du pape Jean-Paul II et sa personnalité très ouverte et dramatique ne firent que développer la chose. A l’époque je fus partisan de cette évolution, mais même alors je n’étais pas totalement à l’aise en pensant que cela pouvait affecter non seulement la papauté elle-même mais aussi son impact sur les évêques, individuellement et collectivement. Aujourd’hui je suis vraiment inquiet de l’impact de ce nouveau style papal, non seulement sur les évêques catholiques mais aussi sur les discussions œcuméniques avec des partenaires tels que les Eglises orthodoxes d’Orient.
Le personnage public du pape François, son comportement familier, ses homélies quotidiennes, ses remarques improvisées et ses interviews déjà très nombreuses donnent à la papauté, virtuellement, la première place dans les nouvelles qui concernent l’Eglise. Ses remarques les plus insignifiantes et les plus légères sont diffusées sans faire de distinction et sont parfois interprétées comme si elles avaient le poids d’une encyclique. Il semble être constamment « en scène » dès que les medias sont concernés, et les différents medias aujourd’hui sont bien plus importants que tout ce qui existait pendant le pontificat de Jean-Paul II.
Nous avons maintenant non seulement les grandes entreprises de médias mais aussi les innombrables blogs, tweets, magazines on line etc. C’est cette combinaison du développement des medias et cette particulière personnalité, familière et diserte, du Pape, son penchant à parler sur n’importe quel sujet d’actualité, qui cause un problème pour l’équilibre entre le Pape et le collège des évêques, et pour les relations œcuméniques de l’Eglise.
Qu’on me permette d’expliquer pourquoi, en commençant par le domaine œcuménique. Les hiérarchies orientales se sont toujours grandement inquiétés – c’est en réalité une véritable peur – de la primauté du Pape sur l’épiscopat.
Cette peur n’a fait que s’accroître à l’âge des mass medias et avec un pape qui utilisait constamment les ondes et les autres medias pour exprimer non seulement l’enseignement de l’Eglise mais ses opinions personnelles sur n’importe quel sujet.
Personne d’autre ne peut se mesurer à cette présence universelle qui vraiment submerge celle de toute autre figure religieuse. Cela doit être un problème pour les hiérarchies des églises orientales.
Une interprétation commune des voyages et des pèlerinages de Jean-Paul II était que, d’une manière très réelle, non seulement il rassurait ses frères évêques qui pensaient comme lui mais aussi passait par-dessus la tête de ces évêques qui demeuraient, dans le meilleur des cas, silencieux sur des questions critiques doctrinales et morales. Nous ne savons pas ses intentions, mais que sa présence dépassât grandement celle de n’importe quel évêque est indéniable. Et d’une certaine façon, cette primauté pouvait réduire ou peut-être réduisait réellement la propre autorité et l’enseignement des évêques dans les églises locales.
Les hiérarchies orientales sont sûrement conscientes de ce problème potentiel dans leurs propres Églises. C’est exactement ce qu’elles ont craint pendant des siècles : que la primauté romaine déséquilibrât leur mode de relation personnelle et peut-être ecclésiale avec leur peuple, sinon leur autorité comme patriarches et évêques. Aujourd’hui ils vivent aussi dans un monde de nouveautés technologiques en matière de communications ; et un pape qui en public ignore la réserve présente une menace, qu’il en ait ou non l’intention.
Deuxièmement, en ce qui concerne les évêques de l’Eglise occidentale, je crois que nous pouvons déjà voir l’impact d’une papauté plus visible et sûre d’elle-même dans la façon dont les évêques exercent leur propre direction. Il semble que les évêques ont désormais adopté un nouveau style et préfèrent attendre et voir ce que le pape dit ou fait avant de prendre une décision.
En d’autres termes, laissons le pape porter le poids d’enseignements difficiles, et les évêques le soutiendront. L’enseignement du pape est devenu si dominant que l’opinion du pape aujourd’hui sur quelque sujet que ce soit est souvent considérée comme comparable à la doctrine, et même les hiérarchies nationales semblent être très hésitantes dans leur direction.
Ce développement a gravement affecté l’Église après le Concile – ironie, puisque le Concile lui-même souhaitait trouver un certain équilibre entre le collège des évêques et l’autorité du pape.
Par exemple le pape Paul VI a supporté certainement tout le poids de l’enseignement sur le contrôle des naissances. Combien d’évêques de par le monde se sont levés dans la période entre la clôture du Concile et la publication d’Humane Vitae pour déclarer que l’enseignement de l’Eglise sur la contraception ne pourrait pas changer ? Etaient-ils réellement dans le doute sur toute cette question de la contraception, qui avait été universellement condamnée depuis le début, simplement parce que le pape avait réuni une commission papale pour étudier la pilule et dire si elle tombait ou non sous le coup d’une condamnation ? Pouvons-nous imaginer les Pères du concile restant silencieux, jusqu’à ce que le pape ou le Concile prennent la parole sur les hérésies christologiques ou d’autres questions doctrinales ou morales ?
C’était un signe des temps – l’affaiblissement de la fonction d’évêque – qu’aucun évêque n’ait parlé comme un Athanase pour défendre l’enseignement moral constant de l’Eglise. Quel résultat différent aurait-on sans aucun doute obtenu si les évêques avaient parlé. Leur silence avant et après a contribué lui-même à la crise très réelle à laquelle nous avons maintenant à faire face sur une foule de questions morales.
Je pensais que le pape Benoît s’écartait quelque peu de cette figure papale dominatrice. Bien sûr c’était par nature une personnalité très réservée, mais je suis convaincu que c’était aussi parce il reconnaissait que, sans le savoir, cette présence très visible, constante et dominante des papes sur la scène mondiale n’était pas entièrement bonne ni pour les hiérarchies locales et leur sens de responsabilité pour l’Eglise, ni pour les espérances œcuméniques pour l’unité éventuelle de l’Orient et de l’Occident.
Dimanche 23 novembre 2014
Source : Wanted : A More Reserved Papal Style
Le Père Mark Pilon , prêtre du diocèse d’Arlington, Virginie, est docteur en théologie sacrée de l’Université Santa Croce de Rome. Il a été président de Théologie systématique au séminaire de Mount st.Mary et ancien rédacteur du magazine Triumph.