Hier, j’ai regardé, contrairement à mon habitude, les reportages sur les inondations dans le sud-est de la France : sans doute, jusque-là, je m’y refusais par lassitude à voir et revoir en surimpression, saison après saison, des images sans cesse identiques de fleuves répandus sur les terres labourées, de cascades ravageant routes et voies ferrées, faubourgs et quartiers de périphérie et autres lotissements affreux ; crainte encore d’entendre indéfiniment répétée la toujours semblable même plainte ; de voir couler tant et tant de larmes devant les caves embouées, les meubles détruits achetés de la veille, sans oublier les maisons crevassées, les murs fissurés, les toits affaissés ; saisir des regards éplorés devant les photos gardiennes des plus heureux souvenirs ; les objets d’art, hérités d’un plus ou moins lointain passé, bons pour la déchetterie ou la poubelle … J’avais éprouvé tant de fois le sentiment insupportable de ne rien pouvoir, de n’être qu’un voyeur triste infiniment mais incapable d’apporter la moindre consolation à ces foules de naufragés, de femmes au bord du désespoir, d’hommes ruminant une sourde et vaine colère.
J’ai pourtant hier voulu regarder cette surabondante moisson d’images toutes démontrant l’extravagance de ces catastrophes multiples et semblables : avec ces quatre morts dont la mère d’une petite fille qui viendra sans doute la rejoindre, que son cadavre soit un nom retrouvé : à moins se dit-on parfois, tellement l’être humain répugne à accepter une telle fin, qu’un « miracle » vienne adoucir cette sinistre suite de malheurs.
J’essayais de calculer le nombre des victimes qui, pour la deuxième et troisième fois depuis le printemps dernier ont eu à revivre la même désolation : et si j’ai assisté à ce « spectacle » effrayant, c’est parce que je voulais savoir si réellement c’est le destin qui s’est imposé à tous ou bien s’il n’existe pas de causes humaines à cette accélération des désastres.
Plusieurs jours des trombes d’eau ont rendu les sols incapables d’absorber de telles pluies diluviennes ; des ruisseaux, enserrés dans d’étroits goulets ou canaux, ne pouvaient que sortir à grande vitesse de leurs rives et gagner par toutes les issues possibles le « grand large » des champs ; les haies d’autrefois faisaient barrages : n’existant plus, les eaux – les « précipitations » ! – ne sont plus freinées, plus « engrangées » par les sols ; les surfaces goudronnées, totalement imperméables, gagnent sans cesse du terrain : alors, chaque rue devient très vite un vrai torrent, chaque aire de stationnement dégorge aux alentours …
Discutant ce matin avec Claude-Henri Rocquet, nous nous ébahissions de cette flambée trangique, si imprévisible (ou non ?). Je lui disais que l’on ne pouvait pas se satisfaire de cet ‘imprévisibilité’ : toujors il faut des causes à tout malheur. Et ne pas se satisfaire de l’une ou de l’autre.
Exemple : on nous a montré des lotissements situés en pleines zones innondables ! Toutes les maison étaient les pieds dans l’eau. Mais aucune n’a été construite sur pilotis !
Il me dit : « Écris sur ce que l’on peut penser comme solutions ! » Mais suis-je un spécialiste ? Non, je ne puis qu’appeler nos responsables politiques à comprendre qu’ils n’ont pratiquement rien fait depuis des lustres pour « protéger » ce qui est protégeable. Mettre en œuvre de véritables solution pensée par des techniciens avertis.
Il y a toujours eu des inondations : les Parisiens de l’an 1910 ont vu leur ville transformée en lac ! Photos stupéfiantes… Je prends cet exemple parce qu’il l’un des rares qui fut suivi d’une véritable action de protection : les lacs d’Orient et du Temple, sur la Seine près de Troyes, avec le lac du Der, sur la Marne, protègent d’une façon efficace la ville de Paris contre le risque d’une telle répétition. Bénéfice, après avoir dépensé : sont supprimés les dégâts des eaux qu’auraient produits des inondations telles celles de cette semaine.
Après la dernière guerre mondiale, les gouvernements cherchaient à lancer des « Plans » ; ils finirent par avoir, auprès des économistes, mauvaise réputation. Pourtant, s’il existe bien un argument justifié pour concevoir à nouveau des sortes de « Grands Plans » étalés sur le nombre d’années nécessaire, c’est celui de la sécurité à la fois des personnes et des biens face à des intempéries aussi colossales que celles qui viennent de frapper le Sud-Est de la France.
On crée des voies de détournement autour des villages et des villes pour que les voitures et les camions ne les traversent plus : ces communes y ont gagné un degré de sécurité depuis longtemps oublié, en même temps que le silence et la pureté de l’air : aussi le sommeil ! Pourquoi ne pas accompagner ces voies de contournement avec des réseaux d’écoulement susceptibles de transfuser l’excès des eaux d’un bord à l’autre des agglomérations ? Quand on songe au coût des réparations sans cesse à reprendre aujourd’hui, il me semble que telles installations à demeure seraient plus ou moins rapidement rentabilisées. Je ne crois pas que de telles études ne soient pas à la portée de nos ingénieurs … (On me dira que, vu le volume des eaux déversées par ces précipitations à caractère tropical, il serait difficile de mettre en place des instruments vraiment efficaces… Qu’en sait-on ? Les Hollandais, en leur Pays-Bas, ont fait sans doute bien plus que ce qui serait ici nécessaire.)
J’ai lu, il y a quelques années, que l’on avait imaginé d’enfouir, dans un sous-sol profond, d’immense volumes de gaz : pourquoi ne pas chercher toutes les solutions imaginables, qu’elles paraissent absurdes ou non – on a constaté parfois que des idées folles s’étaient plus tard révélées très intelligentes – donc toutes les solutions susceptibles de retenir l’eau ? Par exemple, le temps que celle en aval s’évacue…
Souvenir peut-être absurde ; un jour, à la suite d’une inondation, j’avais cherché à « inventer » des barrages à la mesure des maisons, même si je pense que les « pilotis » seraient l’une des solutions les meilleures. Bien sûr, l’esthétique des villes en serait transformée : et sans doute l’on ne pourrait songer à cette formule que dans les périphéries et tous autres lieux susceptibles de recevoir des maisons et des immeubles « à pattes ». Les architectes seraient ravis d’avoir à rendre une telle solution agréable à voir.
Mais comment établir des « barrages » pour maison culs-de-jatte ? Là, plusieurs spécialistes seraient à mettre à l’œuvre : charpentiers, métallos, électriciens, maçons, car le barrage en question devrait glisser dans des gaines étanches de haut en bas des murs de chaque côté des passages, de façon à fermer radicalement l’entrée du garage comme du portail… Avec commande électrique à l’intérieur de la maison comme sur le téléphone mobile…
Les terrains inondables relèveraient systématiquement des maisons surélevées : une fois l’étude faite des différents types de dangers qui pourraient les menacer (notamment le long des côtes de la Vendée…). Les voitures stationneraient entre les pilotis : maisons protégées même lors de ce que l’on nomme désormais « phénomène corrézien ». Etc., etc..
Je suis sûr qu’à mon exemple l’inventivité des Français ouvrirait des perspectives étonnantes ; peut-être nous libèrerait-elle des pavillons uniformes qui font des lotissement des quartiers où règne un sombre ennui.