Hier à Rome, au collège nord-américain, dans une conférence parrainée par Crux, le nouveau site web catholique du Boston Globe, le cardinal australien George Pell a fait observer qu’il allait se montrer quelque peu « ecclésiastiquement incorrect ». Il a noté le haut niveau de déliquescence de la famille, pas seulement dans les pays développés mais dans le monde entier, et les situations très délicates qu’un évêque consciencieux rencontre très rapidement. « Moi aussi je pourrais être tenté d’espérer que le Christ ait été un peu plus indulgent au sujet du divorce, a-t-il conclu. Mais Il ne l’a pas été. Et je tiens avec Lui. »
Peut-être la formulation la plus abrupte sur tout le sujet qu’affronte le synode, avec ce qui a émergé si vite cette semaine.
Le cardinal Thimothy Dolan, de New York, a participé au même colloque. Sa contribution la plus intéressante a peut-être été de présenter le canevas du travail de chaque jour, un canevas qu’il a contribué à élaborer. Le synode s’ouvre chaque jour par des prières bien sûr, suivent quelques minutes de lecture et de méditation des Ecritures. Les évêques et les autres fonctionnaires de l’Eglise écoutent alors un des couples catholiques invités à faire une présentation. C’est seulement ensuite qu’ont lieu les interventions plus formelles et les remarques spontanées.
Selon différentes sources, beaucoup des discours de ces premiers jours se sont focalisés sur un langage différent et une approche plus « graduelle » afin d’atteindre les gens. Le cardinal Dolan a rendu clair que les évêques étaient conscients que cette nécessaire adaptation de l’ancien langage que les gens ne comprennent plus ne devait pas être une excuse pour « contourner » la vérité. (Bien que la vérité soit dite, c’est exactement ce qu’il a fait quand un journaliste de Crux l’a interrogé à propos de sa décision d’être Grand Maréchal au prochain défilé de la Saint Patrick, au cours duquel il a accepté que les gays participent pour la première fois.)
Le cardinal Dolan s’est référé à l’ouverture de Vatican II, quand le pape Jean XXIII a sollicité une façon similaire d’exprimer la Foi en termes plus convaincants, plus efficaces, plus évangéliques dans le monde moderne. Vues les ambivalences qui ont suivi le concile, l’exemple n’est pas très heureux.
Mai la question du style était déjà apparue dans le plan de travail, dans Instrumentum laboris, auquel nous nous sommes référés plusieurs fois dans ces pages sur le synode. Le cardinal Dolan a même répété que ce document déplore que le langage de la loi naturelle ne semble plus compréhensible dans la culture contemporaine et que par conséquent les vérités de la loi naturelle doivent être présentées via un autre langage.
C’est possible. mais c’est quand le langage biblique le plus spécifique est en jeu que l’ensemble du projet semble se mettre à errer en raison de sa tentative de trouver un idiome plus moderne. Il n’est pas nécessaire de reprendre ici les doléances comme quoi le vocable péché a disparu – jusque tout récemment, les messes en langue vernaculaire commençaient généralement par une reconnaissance « des moment où nous avions échoué à vivre pleinement de l’Evangile ». C’est seulement la nouvelle traduction de la messe qui nous a forcé à reconnaître de nouveau que « nous avions gravement péché ».
Remarquer cela, ce n’est pas faire une fixation sur la notion de péché, mais faire l’observation la plus évidente sur la discussion que nous entendons et sur le Jésus auquel le cardinal Pell déclare vouloir adhérer. Dieu n’avait pas besoin de venir dans le monde et de mourir d’une horrible mort sur une croix si tout ce que nous faisons, nous autres pauvres créatures humaines souffrantes, n’est rien de plus que « faire de pauvres choix ». Personne n’est allé aussi loin avec des mots en vue de ce résultat, mais il est difficile de ne pas percevoir que les choses ont été poussées à ce point de dérive pour n’effrayer personne. Et dans ce processus, la perception de la nécessité de l’action salvifique du Christ n’a-t-elle pas été également occultée ?
L’Eglise désespère-t-elle pour ses nouveaux membres ? J’avoue trouver étonnant que le cardinal Dolan et d’autres aient trouvé nécessaire de déclarer qu’il n’y a pas de « sentiment de panique », plutôt une certaine légèreté d’esprit au synode. Ca ne m’était pas venu à l’esprit, mais maintenant que quelqu’un a nié que ce soit le cas, je m’interroge. Est-ce que cela ne couve pas juste sous la surface. Et peut-être même au-dessus. Sans doute pas une vraie panique, ce qui n’est jamais bon, mais un sentiment d’urgence face à la gravité de la situation.
De plus, séparer la doctrine et le langage qui exprime cette doctrine n’es pas un processus aussi ingénieux que certains semblent le penser. John O’Malley, abondant historien de Vatican II, a écrit à propos de la révolution qui a accompagné l’appel de Jean XXIII pour un nouveau langage :
Il y avait en jeu deux visions différentes du Catholicisme : des commandements aux invitations, des lois aux idéaux, de la définition au mystère, des menaces à la persuasion, de la contrainte à la conscience, du monologue au dialogue, de la domination au service, de la clôture à l’ouverture, de la verticalité à l’horizontalité, de l’exclusion à l’inclusion, de l’hostilité à la camaraderie, de la rivalité au partenariat, de la méfiance à la confiance, de l’immobilité au mouvement, de l’acceptation passive à l’engagement actif, de la recherche de la faute à l’appéciation, de la prescription aux principes, du changement de comportement à l’appropriation intérieure.
Bien sûr, les deux éléments de chacune de ces paires d’opposés appartiennent à une vision entièrement catholique, les « deux ensemble » a-t-on souvent dit est la marque du catholicisme, contrairement à « l’un ou l’autre ». Dans le Nouveau Testament, le Christ commande et menace tout autant qu’il invite et persuade. Les paroles du fondateur du christianisme sont à la fois exigeantes et consolantes, pas simplement l’une ou l’autre, comme on l’a reconu depuis longtemps. La question qui surgit est : pouvons–nous être fidèles et cohérents vis-à-vis de Lui si nous supprimons la moitié de ce qu’Il était ?
Au colloque de Crux, le cardinal Pell a conclu que : « si nous nous taisons, nous ne pouvons pas nous plaindre de ne pas être entendus. » Ce sont là de sages paroles sur la façon dont l’Eglise s’adresse au monde, et le cardinal Pell a conseillé aux personnes présentes, particulièrement aux évêques, de ne pas avoir pour but d’agir afin d’éviter les ennuis et les projecteurs de médias. Mettre Dieu sur la place publique est une partie de la mission de l’Eglise, même si c’est inconfortable.
Nous pourrions ajouter qu’ils ont la même responsabilité de Le présenter tout entier, et non la partie la plus « charmante », aux catholiques. Personne ne dit que c’est une tâche facile à notre époque, et le tâtonnement actuel peut-être bon dans la mesure où il aide à trier ce qui est utile ou pas. Mais on peut espérer que le Synode se préoccupe plus de questions pratiques, qu’il compte davantage sur l’évangélisation telle qu’elle a été toujours pratiquée que sur un langage magique pour faire le travail.
Le pape l’a suggéré plusieurs fois. C’est du cardinal Newman : Cor ad loquitur, le coeur parle au coeur. Et pour vraiment parler, le coeur doit avoir quelque chose d’urgent à dire.
Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing.
illustration : le cardinal Pell « adhérer à Jésus en matière de divorce
source : http://www.thecatholicthing.org/synod_report/synod_report/synod-day-4–do-we-have-anything-urgent-to-say.html