L’humeur à Rome est – n’ayons pas peur des mots – tendue. Selon une source fiable sur place, ce ne sont pas seulement les « Ratzingériens » comme le cardinal Burke qui ont senti passer un vent glacé. C’est aussi le cas de cardinaux plus « modérés » et de membres de la Curie qui ne savent pas quoi faire de ce qui se passe. Et craignent ce qui pourrait arriver s’ils disent ce qu’il ne faut pas, ce qui est difficile à éviter quand les choses sont si peu évidentes.
Dans mon article d’hier, j’ai signalé la rudesse du pape envers les tenants de la tradition, une homélie singulière qui peut être prise comme signifiant que ceux qui ont soutenu l’indissolubilité du mariage étaient d’une certaine manière des légalistes autoritaires et égoïstes. Mais les réponses au pape en privé – au delà des habituels suspects de conservatisme et parmi des personnalités en vue plus neutres – ont été tout autant acerbes : « un dictateur latino », « un Peron », quelqu’un qui aime être sous les feux de la rampe. Et le commentaire peut-être le plus choquant, venant de plus d’un : « sa santé est mauvaise, au moins ça ne durera pas trop longtemps ».
Les directives au commencement d’un rassemblement comme celui-ci pèchent souvent non pas là où les organisateurs pensent que les choses vont aller mais là où ils craignent qu’elles n’aillent pas. L’allocution du pape lors de l’ouverture lundi, évoquant un esprit d’ouverture, pourrait tomber dans cette catégorie. Il y a des personnes bien informées à Rome qui croient que si une réelle ouverture se fait jour, des têtes tomberont. Certaines sont déjà tombées.
Alors, il y a le cardinal hongrois Peter Erdö qui, dans une déclaration préliminaire, a proposé de laisser de côté les questions doctrinales et de se préoccuper seulement des questions pastorales. Un voeu pieux, mais plus facile à dire qu’à faire. Beaucoup d’entre nous se souviennent que le concile Vatican II était un concile pastoral, c’est ce qui avait été dit. Comment se fait-il que tant de gens aient l’impression qu’il a aussi changé la doctrine, ce qu’il a réellement fait dans beaucoup d’institutions catholiques ?
Il est important de voir tout cela dans cette optique. Normalement, un quarteron d’évêques se réunissant pour discuter d’une poignée de questions théologiques de haut vol n’a aucun intérêt pour le monde et très peu même pour la plupart des catholiques. Un journaliste catholique me disait ce week-end qu’il n’était pas vraiment un « suiveur de cour », signifiant par là qu’il ne prêtait guère attention aux intrigues internes au Vatican. Une bonne attitude tant qu’il est question de commérages insignifiants sur qui est ou non bien en cour. Mais de l’enseignement tiré de Vatican II, en raison de l’environnement des médias modernes, ce qui se passe à Rome et la manière dont cela est rapporté peut affecter les catholiques de la terre entière de multiples façons. Les théologiens et les moralistes peuvent alors passer des décennies qui auraient pu être employées plus profitablement à essayer de rectifier des erreurs élémentaires.
Xavier Rynne (i.E. le père Francis X. Murphy) a fait paraître dans le New Yorker durant le concile, une célèbre série de « Lettres de Rome » qui ont créé virtuellement en Amérique ce que Benoît XVI a appelé le « concile des médias », comme s’opposant au vrai Concile que le jeune Ratzinger a suivi, applaudi et aidé à mettre en forme. Une Eglise soucieuse de remplir de façon adéquate sa fonction d’enseignement ne peut de nos jours manquer à reconnaître l’importance de s’assurer que son travail est perçu aussi clairement que possible. A notre époque, chaque mot d’un pape, d’un président, d’un premier ministre ou même de champions sportifs est scruté sans pitié. Bien plus, les médias sociaux sont partout : même le pape prend des selfies à l’heure actuelle, et il sont envoyés partout.
Tout cela est peut-être regrettable, mais quelle que soit l’intention des acteurs principaux, les gens dans et hors de l’Eglise croient maintenant, les médias aidant, que des questions qui étaient réglées et bien connues comme telles durant les deux dernières papautés sont maintenant de nouveau regardées comme « à revoir ». Et la conspiration impie entre les hétérodoxes et les organes de presse flairant un gros coup rend certain qu’il sera diffcile pour le Vatican de garder clair le message.
C’est une raison pour laquelle la décision du Vatican de limiter l’information donnée chaque jour sur le déroulement du synode est étrange. Vous pourriez comprendre que c’est un moyen de « contrôler le message », d’empêcher que des groupes triturent une phrase ici et là et cherchent à influencer les participants au Synode. Ou peut-être a-t-on pensé que les participants avaient besoin d’une certaine intimité pour mener à bien leur travail. Qui peut savoir ?
Nous savons que le Vatican s’est ravisé et a décidé de permettre que la première séance soit télévisée (ovus pouvez la voir en italien). Toutes les autres séances, sauf celle de clôture, seront à huis clos. Mais venant d’une Eglise qui a parlé de plus grande transparence et de plus grande ouverture, cela me choque comme plus qu’erroné, complètement nul.
Je le dis non en raison d’une frustration due aux nouvelles restrictions, mais en raison de l’expérience. Quand j’ai couvert le conclave qui a élu le pape François en 2013, l’une des choses les plus frappantes pour moi ayant vécu trente ans à Washington, a été la rapidité avec laquelle des conversation supposées privées -même les présentations des cardinaux ayant juré de garder le secret lors du rassemblement général qui a précédé le conclave – s’étalaient dans la presse italienne. Nous avons des fuites aussi à Washington, des petites, une goutte par-ci par-là. A Rome, on croirait qu’ils utilisent une lance à incendie.
Peu après le conclave de 2013, un cardinal m’a dit en privé qu’il était stupéfait que l’intervention du cardinal Raymundo Damasceno Assis, de Brasilia, ait été publiée dans la presse le lendemain, malgré les efforts du service de sécurité du Vatican pour assurer un caractère privé aux présentations. « Et le plus fort, c’est qu’il parlait sans texte. J’étais assis près de lui et il parlait, sans rien de préparé. Quelqu’un a dû l’enregistrer puisqu’il n’y avait pas de texte à dérober. Son intervention a paru le jour suivant, mot pour mot autant que je puisse en juger. »
A Rome, il n’est pas secret que les cardinaux et d’autres hauts fonctionnaires du Vatican ont « leurs » journalistes avec qui ils organisent des fuites, sachant que que certains collègues qu’ils affrontent ont leur propre source d’information travaillant sans relâche à modeler la perception du public sur ce qui se passe. Cela arrive durant les conclaves. Cela arrivera, avec un plus grand foisonnement de commentaires, à mesure que se déroule le synode, doté de moins de mesures de sécurité.
Le secrétaire général du synode des évêques, le cardinal Baldissera, qui dirige les débats, a parlé hier dans ses remarques préliminaires d’un « esprit de liberté et de sincérité » et a recommandé avec insistance qu’une « large liberté d’expression doit aussi caractériser cette assemblée synodale, parce qu’exprimer ses convictions est toujours positif tant que cela se fait de manière respectueuse, aimante et constructive. »
Comme nous l’avons vu dans la résistance publique sans précédent d’éminents cardinaux aux changements pastoraux proposés, des dialogues autres que calmes et respectueux sont tout sauf évitables, même derrière des portes closes. Et nous en entendrons également très bientôt parler.
Rome est un lieu de commérages. Mais c’est typiquement au sujet de politique de bureau dont la plupart des gens ne se soucient pas beaucoup. D’habitude, on peut les ignorer sans dommage. Pas cette fois. Des injures publiques de cardinaux. Des critiques acerbes contre le pape. Des remarques désagréables sur sa mauvaise santé et sur un règne possiblement écourté.
A notre époque, cela n’a jamais été si loin.
Robert Royal et rédacteur en chef de The Catholic Thing.
ilustration : le cardinal Baldisseri et le père Lombardi, porte-parole : liberté et sincérité
source : http://www.thecatholicthing.org/synod_report/synod_report/synod-day-2-openness-leaks-and-fear-of-frankness.html
Annexe :
AU COEUR DU SYNODE. JOUR 2. Interview avec le cardinal Chibly Langlois, Haïti
– Quel était le message de votre homélie ce matin?
– Quelle est la situation de la famille en Haïti?
– En Haïti qu’attendez-vous de ce synode?
http://synod14.vatican.va/content/sinodo/it/sinodo2014/events/event.html/content/sinodoevents/it/2014/10/7/aucoeurdusynodejour2interviewaveclecardinalchiblylangloishati