Dans son opinion sur l’affaire Hobby Lobby, le juge Samuel Alto écrit que « les propriétaires des entreprises ont des objections religieuses à l’avortement, et que d’après leurs convictions religieuses les quatre méthodes contraceptives sont abortives… Ils ont une conviction religieuse sincère que la vie commence à la conception. » Selon l’Acte de rétablissement de la liberté religieuse (RFRA), c’était suffisant pour gagner, et maintenant encore. Mais il peut ne pas en être ainsi dans l’avenir si ceux qui défendent ces croyances ne montrent pas pourquoi il est raisonnable de les maintenir.
Pourquoi ? Considérez la différence d’opinion du juge Ruth Bader Ginsburg qui cite des exemples d’autres « croyances religieuses » que peuvent avoir des propriétaires d’entreprises de bonne foi.
Cette dérogation que le Tribunal octroie aux employeurs qui ont des objections religieusement fondées à l’usage de certains contraceptifs s’étendra-t-elle à des employeurs qui ont des objections religieusement fondées à la transfusion (Témoins de Jéhovah) ; aux antidépresseuirs (Scientologie) ; aux médicaments dérivés du porc, incluant l’anesthésie, les transfusions et les pilules enrobées de gélatine (certains musulmans, juifs et hindouistes) ; et aux vaccinations (Christian Science, entre autres) ? D’après l’avocat de Hobby Lobby, « chacun de ces cas…devrait être évalué pour lui-même… en employant la notion d’intérêt impérieux – avec les moyens les moins contraignants ». Ce n’est pas d’un grand secours pour les tribunaux inférieurs liés par la décisions d’aujourd’hui.
Le Juge Ginsburg fait intervenir ces contre-exemples précisément parce qu’ils sont fondés sur des croyances que la plupart des gens considéreraient comme déraisonnables. Bien que, comme elle le note, l’avocat de Hobby Lobby se réfère à « l’intérêt impérieux – si les moyens les moins contraignants sont employés » (RFRA), comme le principe qui permettrait aux tribunaux futurs de s’opposer à des contre-exemples comme ceux qu’elle cite, elle n’est pas convaincue que ce principe soit exploitable soi. Car « il y a un intérêt prépondérant … à dégager les tribunaux de la tâche d’évaluer les mérites relatifs de revendications religieuses diffèrentes…ou la sincérité de telle ou telle croyance religieuse alléguée. »
Mais on ne voit pas bien comment les juges peuvent en réalité l’éviter quand sont en jeu des revendications et des pratiques qui s’éloignent des perceptions de la culture dominante. Considérez par exemple les cas impliquant l’enseignement de la Science-Création ou du Design Intelligent dans les écoles publiques, les ordonnances qui interdisent pour Santeria le sacrifice d’animaux, l’éducation Amish obligatoire, la pratique Mormon de la polygamie, et l’objection de conscience des non-théistes. Aucun de ces cas ne pourraient avoir été résolu sans une évaluation par la justice des mérites des revendications et pratiques religieuses et leur effet sur le bien public.
Dans le cas Santeria par exemple la Cour suprême soutint qu’une loi qui n’était pas applicable généralement ou neutre, qui visait la pratique religieuse, était inconstitutionnelle à moins qu’elle ait subi un examen strict et rigoureux. Dans le but d’engager cette évaluation, un tribunal devrait calculer si l’intérêt du gouvernement est « impérieux ». Mais comment peut-on le faire sans évaluer à un certain moment les mérites des revendications religieuses en question ? Après tout, cela fait une différence si la loi en examen criminalise l’usage du vin de communion ou le sacrifice d’un enfant. En d’autre termes le caractère « impérieux » de l’intérêt du gouvernement des convictions de ceux qui font le jugement quand à ce qu’ils estiment raisonnable et du bien public.
Dans chacun de ces cas les tribunaux (ou les attorneys qui en débattaient) employaient croyances ne venant pas de révélation dans le but de déterminer (ou de défendre ou critiquer) le caractère raisonnable des revendications et des pratiques religieuses en question.
Dans les cas de la Creation Science ou du Design Intelligent, c’était le statut non scientifique des théories en examen qui finalement les coula. Dans le cas Santeria ce fut l’application inconsistante du principe par le conseil municipal qui fut essentiel pour la victoire de l’église : le but annoncé par le conseil – santé et sécurité et mettre fin à un traitement cruel des animaux – n’a pas semblé être sincère, car les ordonnances ne visaient pas d’autres formes de meurtres d’animaux ou ou de questions de santé dans ces pratiques
Les Amish furent autorisés à refuser de participer à certaine éducation obligatoire parce que, entre autres choses, ils « réussissaient à préparer leurs enfants d’âge universitaire à devenir des membres productifs de la communauté amish…leur système d’enseignement qui crée des capacités en rapport direct avec leurs rôles d’adultes dans la communauté amish… est idéal et peut-être supérieur à l’éducation ordinaire des high school
L’interdiction fédérale de la polygamie mormon dans les Territoires, selon la Cour, n’a pas violé la Clause de libre exercice, car le Congrès peut criminaliser des actions même si elles s’appuient sur une justification religieuse, si ces actions sont « en violation des obligations sociales ou si elles menacent le bon ordre »
Dans les cas d’objection de conscience non-théistes, la Cour justifia l’extension aux non-théistes des protections d’un statut fédéral qui textuellement limitait les objecteurs aux théistes en soutenant que « les croyances de l’objecteur athée occupent certainement dans la vie de cet individu une place parallèle à celle remplie par…Dieu chez les personnes de religion traditionnelle. »
Il semble donc que les tribunaux vont, que cela plaise ou non, émettre sur les revendications et pratiques religieuses des jugements qui seront guidés par la prise en compte incontestée de ce qui est considéré comme raisonnable (incluant ce qui est considéré comme le bien public)
C’est pourquoi ceux qui ont des convictions comme ceux des propriétaires d’Hobby Lobby ne peuvent ignorer l’influence qu’exerce sur la formation intellectuelle des juges la perception de ce qui est raisonnable que leur donne le contexte culturel. Cette perception, comme je l’ai déjà affirmé dans cette page, suppose qu’il s’agit réellement de deux sujets qu’on prétend incommensurables – foi et raison – plutôt que de deux réponses contraires à la même question : l’embryon est-il l’un d’entre nous ? C’est pourquoi le juge Ginsburg et une génération de jeunes juristes (certains d’entre eux siégeront au tribunal fédéral) considèrent les convictions d’Hobby Lobby comme un discours en dehors du rationnel
Si les amis d’Hobby Lobby ne réfutent pas cette perception – en portant la discussion dans ces juridictions extérieures au tribunal et qui forment réellement le mode de raisonnement des juges, dans les revues de culture et de droit – un tribunal pourra à l’avenir conclure, comme pour un propriétaire d’entreprise appartenant à la Christian Science, qu’une conviction sincère n’est pas suffisante.
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Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études sur les rapports de l’Eglise et l’Etat à l’Université Baylor
http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-unavoidability-of-reasonable-religion.html
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Photo : charriot amiche. Les Amiches sont-ils raisonnables ?