Ailes - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Ailes

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À quelque distance du pays des Hébreux, et quelques siècles avant la fondation de notre Sainte Église, Platon anticipait nombre de ses enseignements. Il semble marqué par des mystères bien plus profonds que ceux de la religion païenne de Grèce — qu’il ne faudrait pas mépriser.

Considérons-le non pour sa doctrine, mais pour sa perspicacité. Il nous faut ce que j’appellerai une certaine distanciation socratique pour en tirer les leçons. Il crée dans l’esprit de ses lecteurs les outils les plus complexes afin de proposer ses idées; et le lecteur peut facilement prendre pour modèles les idées ainsi présentées.

Ce qui explique la condamnation de Platon parfois prononcée d’hérésie, guère plausible en raison du lieu et de l’époque.

Le grand esprit Origène, venu peu après le Christ, est de même condamné: il n’est pas toujours orthodoxe. Mais l’orthodoxie des fondements de notre foi n’avait alors pas été bien établie. Origène s’incline lui-même avec humilité devant l’autorité suprême de la Sainte Église, d’où jaillira cette orthodoxie — en grande part grâce à la lumière apportée par les questions d’Origène et autres penseurs.

Cette lumière brille encore, et peut servir à aborder les plus hautes et plus saintes questions — et, répétons-le, avec un détachement socratique d’esprit. Origène écrit non pas mensongèrement, mais en vérité, quoique incomplètement. Il est involontairement incomplet.

Et donc, on voit cette tendance moderne (je dirais même « post-moderne ») de condamner Platon et ses écrits pour totalitarisme politique. On l’a souvent accusé d’avoir proposé, dans La République et Les Lois un ordre utopique de dirigisme pour le monde, alors qu’il n’en avait nulle intention. Ses écrits sont des chefs d’œuvre philosophiques.

En l’absence de réserve socratique ou, dirons-nous, d’ironie platonicienne, nous omettons ce qui a un sens réel permanent: un regard profond dans la nature et le comportement de l’homme. Les hommes ont besoin, un immense besoin d’être guidés. Ils ne découvriront pas leur mode de vie dans le laisser-faire [en français dans le texte]. La sagesse attend d’eux humilité et obéissance. De même, l’amour de la sagesse (la philosophie, en son sens premier) ne doit pas manquer aux dirigeants: car eux aussi doivent chercher plus haut, pleins d’humilité, et de soumission.

Par exemple, un livre parfaitement incongru du sincère mais littéralement tordu Karl Popper (The Open Society and its Ennemies — La Société ouverte et ses adversaires) présentait Platon comme le prédécesseur « historique » de Hegel, Marx, et Lénine. C’est le prendre à rebours.

L’Église catholique a une position originale par rapport aux autres religions dans le monde par l’accent qu’elle a mis sur les arts, y-compris la philosophie. Platon était l’ancien promoteur de « l’enseignement par l’art ». Ce qu’en vingt siècles l’Église a mis en pratique.

Elle a toujours orné ses églises avec des œuvres d’art, de la poésie, de la musique de la plus grande qualité, en vue de mettre ses vérités en valeur; elle a décoré ses monastères par la recherche philosophique; elle a été réceptive aux enseignements tout en enseignant. Elle a accueilli les leçons des saints, ainsi que des artistes et penseurs qui ont dépassé les simples mots, réécrivant sans fin son « Gloria » — le fond propre de la religion, que l’on perd si facilement de vue en ce bas monde.

Ces idées me sont venues à la vue d’une lithographie inspirée par le tableau de Georges Braque « L’oiseau et son nid ». Le tableau original était exposé dans l’atelier de Georges Braque à Varengeville. Il l’avait installé sur un haut chevalet ayant appartenu à son père. Et il l’emportait quand, partant en voyage, il quittait son atelier.

Braque et Picasso sont associés dans l’esprit du public comme co-inventeurs du cubisme. Mais leurs intentions étaient radicalement opposées. Une anecdote pour montrer à quel point ils étaient différents: à Vallauris, Picasso avait affiché dans son atelier une immense photo « héroïque » de sa propre tête pour soutenir son inspiration — un exemplaire près de son lit, première chose à voir au réveil, en plus de l’exemplaire dominant son espace de travail.

C’était une des tragédies du vingtième siècle que celui qui en était peut-être le plus grand peintre — car Picasso était pour beaucoup le dessinateur le plus doué depuis Rubens — se prenant pour un dieu et se vénérant comme tel.

Il était atypique à ce sujet. Les grands artistes modernes que l’on cite de l’École de Paris — Matisse, Rouault, Kandinsky, Chagall, Giacometti, les cinq premiers qui me viennent à l’esprit — étaient ce qu’on pourrait appeler « fana-religion ». La plupart étaient des catholiques convaincus.

Je songe à un tableau d’Alfred Manessier, peint l’année de ma naissance: « Paysage aérien » (1953). Je possède une photo de ce tableau pendu à un mur de sa maison. Sa famille est réunie à table sous ce tableau. Au-dessus, l’artiste a accroché un crucifix.

On pense à la décoration de la chapelle de Vence, une des dernières œuvres authentiquement héroïques de Matisse. Très âgé et malade, tout comme, bien avant lui, Michel-Ange, il ne s’en laissait pas distraire.

Alors, que signifie ce grand oiseau de Braque ?

Le grand photographe américain Alexander Liberman lui demandant d’en expliquer le pouvoir hypnotique, Braque répondit simplement: « c’est comme si on entendait le frou-frou des ailes.»

Insistant, Liberman obtint un peu plus. Une citation de Platon: « l’âme… atteignant la perfection, et munie de ses ailes, s’élève…» Elle est purifiée. L’oiseau en vol est un symbole, tout comme la colombe, de l’Esprit Saint.

Pas la « Colombe de la Paix » de Picasso, icône d’un millier d’affiches, employée comme symbole par d’innombrables organismes communistes pour soutenir des causes incontestablement politiques. Car cette colombe est bassement héraldique. Elle ne bat pas des ailes. elle est orgueilleusement brandie, comme la célèbre photo par Korda de Che Guevara — retouchée pour exalter ce psychopathe en héros révolutionnaire.

On peut se servir de l’art, de la philosophie, pour aider l’homme à s’élever vers Dieu; ou inversement à s’enfoncer dans le bourbier de la politique et les humeurs « humanistes ». D’immenses talents seront consacrés au bien ou au mal. Si l’Église n’est pas la première à soutenir l’art, le diable s’en chargera.

Photo : Georges Braque devant L’oiseau et son nid.

Source : Wings