Le droit de se plaindre, le devoir d’aider - France Catholique
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La justice de Dieu
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Le droit de se plaindre, le devoir d’aider

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Si je devais résumer les défis principaux qui se présentent à la société américaine aujourd’hui, cela donnerait quelque chose comme ça : trop de gens pensent qu’ils ont le droit de se plaindre mais pas d’obligation d’aider.
Loin de moi la suggestion que nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Je dirais même que nous avons une obligation de nous plaindre, mais de nous plaindre de manière responsable. Un des problèmes avec la discussion sur « les droits » est que nous pouvons perdre le sens de l’objet des droits. Par contraste, lorsque nous parlons d’obligations, nous avons en général un meilleur sens de ce à quoi nous sommes obligés et pourquoi.

L’économiste Amartya Sen est réputé pour ses recherches qui montrent que la démocratie et la liberté d’expression aident à empêcher les famines, parce que les gouvernements démocratiques « doivent gagner les élections et faire face à la critique publique, et ont de fortes incitations à prendre des mesures pour éviter les famines et autres catastrophes. » Ainsi, l’une des raisons pour lesquelles nous avons l’obligation de nous plaindre est précisément que le gouvernement soit obligé de reconnaître les problèmes et de rechercher les solutions appropriées.

Si nous comprenons le « droit » de se plaindre dans ce sens, alors ce « droit » s’accompagne alors de diverses « responsabilités ». Permettez-moi d’en suggérer quatre en particulier.

Premièrement, nous avons l’obligation de parler clairement et honnêtement de la situation et de ne pas exagérer le problème. Lorsque tout est décrit comme une « catastrophe » ou un « désastre », il ne faut pas longtemps pour que plus rien ne soit sérieusement considéré comme une catastrophe ou un désastre. Les efforts visant à « capter » de l’aide par une rhétorique excessivement dramatique se terminent généralement par la dévalorisation du discours politique, ce qui conduit chacun à penser que l’autre est seulement en train de crier « Au loup ! ». Lorsque vous avec crié au loup un nombre suffisant de fois, peu importe ensuite de quelle manière vous vous lamentez sur la façon dont les gens devraient « s’occuper plus » des pauvres brebis sans défense : la plupart des gens ne vous écoutent plus. Les gens décrochent et les buts de la complainte publique ne sont plus atteints.

Deuxièmement, nous avons l’obligation de discerner honnêtement et en vérité les causes réelles du problème et de les distinguer des choses qui se sont produites en même temps par coïncidence. L’un des apports les plus précieux du philosophe David Hume est d’avoir établi clairement que, simplement parce que deux évènements coïncident (se produisent en même temps), il ne s’ensuit pas que l’un est la cause de l’autre. Si l’on trouve des polluants dans l’eau du sous-sol et que, en même temps : (A) plus d’immigrants ont afflué dans le canton et (B) on a augmenté les fracturations hydrauliques à plusieurs kilomètres, il ne s’ensuit pas nécessairement que A ou B a causé le problème.
Troisièmement, de manière analogue, étant donné les difficultés inhérentes à la découverte des chaînes de causalité, il vaut probablement mieux que notre première réaction à un problème ne soit pas l’effort d’en attribuer la responsabilité. Assez souvent, ce que nous avons d’abord pensé être la cause du problème ne l’est pas. Et même si une personne ou un groupe peut être désigné comme l’ultime responsable de certain problème, étant donné la complexité des chaînes de causalité, il est tout aussi probable que les personnes impliquées visaient quelque chose de bien, et ont peut-être même fait beaucoup de bien, mais qu’il s’est produit des conséquences imprévues. Quand nous passons beaucoup de temps à reprocher et à récriminer, nous perdons souvent de vue la nature imprévue de la causalité et pire encore, la mesure dans laquelle tout ce que nous projetons est souvent lié à des conséquences que nous ne pouvons pas prévoir.

Enfin, en même temps que nos obligations à nous plaindre de manière responsable, nous avons aussi l’obligation de faire ce que nous pouvons pour aider. Notre tendance dans la société américaine est parfois de nous plaindre : « Pourquoi quelqu’un ne fait-il pas quelque chose ? » Ou : « Comment le gouvernement peut-il être ainsi sans cœur ? Il ne fait pas assez sur ce problème ! » Eh bien oui, il y a un gouvernement ; il a un rôle. Mais là encore, il y a moi, mes amis, mon groupe paroissial et des associations civiques, nous devrions faire ce que nous pouvons.

Dans notre société, les gens paraissent de plus en plus considérer qu’ils n’ont comme obligations que celles qu’ils choisissent, et aucune pour vis-à-vis des problèmes qu’ils n’ont pas expressément choisis (comme les grossesses inattendues, ou les parents atteints d’Alzheimer, ou les enfants immigrants à la frontière). En effet, les gens semblent de plus en plus ressentir ce que le philosophe Martin Heidegger appelait la « l’être-jeté » de l’existence humaine – ce que les Stoïciens appelaient le « destin » -, le fait que nous sommes souvent « jetés » dans des circonstances non choisies et pas entièrement sous notre contrôle.

Le ressentiment est encouragé par l’illusion du contrôle que la science moderne et la technologie fournissent souvent. Nous contrôlons les éléments fondamentaux de la réalité – l’atome et le génome humain – mais nous ne pouvons pas empêcher les indésirables de venir sur notre pelouse ? « Nous pouvons envoyer un homme sur la lune mais nous ne pouvons pas………… » Complétez le blanc. Nous sommes censés être en mesure de dominer le monde autour de nous.

Mais peut-être que certains problèmes ne sont pas du tout comme la fission de l’atome. Quelquefois, le problème consiste à amener les gens à voir les yeux dans les yeux qui a d’abord insisté pour simplement couper les cheveux en quatre. Et pour cela, vous avez besoin de plus qu’un réacteur ou que des arguties du genre habituellement proposé par les grands médias et les blogs thématiques. Vous avez besoin d’un cœur tel celui que nous recommande le Christ au travers de la parabole du Bon Samaritain.

Peut-on imaginer quelque chose que ce Samaritain, parti en voyage ce matin-là, aurait moins souhaité rencontrer qu’un Juif à demi-mort sur le bord de la route ? Et pourtant, trouvant un homme dans le besoin, il s’est montré fidèle au défi que Dieu avait placé sur son chemin. Il y avait nombre de choses dont il aurait pu se plaindre : le manque de sécurité sur la route, le fait que ces impôts extravagants des autorités romaines ne produisaient pas les effets promis, la bêtise des controverses politico-religieuses entre les Juifs et les Samaritains.

Au lieu de quoi, il laisse tomber ses jérémiades, saute à terre, soigne les blessures de l’homme et fait le trajet jusqu’à la ville suivante avec le blessé sur sa monture.

Tableau : Le Bon Samaritain par Aimé Morot (1880)

Source : A right to complain, an obligation to help

Randall Smith est professeur à l’Université de Saint Thomas où il a été récemment nommé à la chaire de Michael Scanlan en théologie.