– « Toutes les nations m’ont encerclé : / au nom du Seigneur, je les détruis ! »
Ce verset du psaume 117 interloque : de quelles nations est-il question ?
« Elles m’ont cerné, comme des guêpes (– ce n’était qu’un feu de ronces –) : au nom du Seigneur je les détruis ».
David pense à ses ennemis proches, très humains, même s’il a conscience que certains mauvais bougres et invisibles mènent la danse.
Mais les versets qui suivent mettent ce psaume au cœur même de ma réflexion d’aujourd’hui (je ne sais pas encore où elle va me conduire) :
« On m’a poussé, bousculé, on a voulu m’abattre, / mais le Seigneur m’a défendu ».
Bien vite, j’ai oublié le roi David et je me suis vu, comme ce matin juste avant le vrai réveil, pris au piège d’un démon qui voulait assurément ma perte, quoique j’étais le premier à travailler à cette perte et c’était à l’occasion d’une très « banale » prière, un bénédicité pour un repas sous notre tente de l’été. Quelqu’un de très cher n’avait pas voulu que je le prolonge, et il avait bien raison, ce n’était ni le lieu ni l’heure.
En ce rêve, j’ai ressenti à ce moment-là comme après, lors du réveil, monter une colère hors de toute logique comme de toute mesure. Non pas lâchement mais poussé par un réflexe salvateur, je me suis alors enfui, toujours en ce rêve, ou enfoui dans un refuge de solitaire … (Quand j’étais petit enfant, je me souviens d’avoir quelquefois été enfermé dans une sorte de placard sombre, qui ne me déplaisait que dans la mesure où je m’y trouvais bien.) Réflexe ou intuition ou conseil reçu par grâce ? Éviter le pire, mot d’ordre intérieur.
Je décidais alors de m’éloigner, de quitter « ma » maison, de partir loin, avec peut-être pour seul logis ma voiture : je me voyais déjà perdu dans le dédale des routes inconnues, à dormir la nuit dans le coffre, à ressasser obstinément le même et sombre grief. N’avais-je pas raison ? Que pouvait-on me reprocher ?
Une voix soudain surgit en moi, mienne et pas mienne : qui me conseilla de « me » regarder.
Me regarder ? Quelle pensée bizarre ! N’étais-je pas dans mon droit ? Il me semblait impossible de faire ne fut-ce qu’un pas en arrière ! Me regarder ? J’auscultais le mot et sentais venir au-delà de lui comme un piège refermé sur moi.
Mot qui finit par me paraître, non pas ennemi, mais salvateur, car je vis soudain, en gros plan, non mon visage mais ma bouche, arrêtée sur ce mot-là comme un caillou qui ne se rejetait pas ni ne s’avalait ; non, elle n’avait pas raison, cette bouche anathèmiste ! Et moi, je me découvrais faillible et ridicule.
Seulement à ce moment-là mes yeux me découvrirent à moi-même, enveloppé dans mon sac de couchage et dans un état pitoyable. J’avais en si peu de temps vieilli de vingt ans ou plus – et donc arrivé à un âge que je ne désire même pas atteindre, et ce ne sera que poussé par la volonté divine et non la mienne que j’y parviendrai ! (Il est vrai aussi que je n’ai aucune volonté dont me glorifier : de simples tentatives de loin en loin !)
Toute ma colère, comme une boule de feu, se mit soudain à se retourner contre moi ; et je compris illico combien j’avais eu tort, combien je n’avais rien à imposer à l’un quelconque de ceux qui vivent autour de moi. Je commençais à comprendre que j’avais été le jouet de ceux qui n’avaient en vue que de m’abattre !
Rêve, qu’est-ce qu’un rêve ? Ou un songe envoyé par un pédagogue expert ? Je ne sais pas comment cette affaire s’est résolue, mais il est certain qu’une fois debout, je n’eus aucun désir de quitter la maison et je suis donc resté chez moi, toute colère dissipée au point de ne plus savoir qui avait voulu interrompre le bénédicité interrompu.
La lecture du psaume me fit sursauter : pourquoi une telle correspondance ? Il m’est souvent arrivé d’agir ou de penser, en bien comme en mal, et de voir confirmer par la lecture de l’office du matin ce bien ou ce mal. Je me souviens de m’être parfois débattu avec l’oubli de la confession (sans elle je serai devenu un sauvage) : impensable alors l’idée même d’aller communier. Débat sur deux jours, épuisant pour l’esprit, davantage encore pour l’âme. Et le matin Magnificat propose un texte d’un prêtre alsacien du XVIIe siècle qui balaye toutes mes objections : le malade ne doit pas s’abstenir d’aller recevoir Celui qui est descendu de l’Éternité pour le guérir.
J’écris sur ces événements microscopiques pour les garder en mémoire, sachant parfaitement que si quelqu’un vient à les lire il me prendra pour un niais ou un naïf ou un demeuré mental, ce que peut-être je suis. Qu’importe : les signes que je découvre peuvent n’être qu’à mon intention, aide puissante qui ne concerne que ma faiblesse et mes fragilités.