Toute ma vie d’adulte, je l’ai passée dans les Media, et j’ai fait beaucoup de critiques: de livres, de films, et de programmes de télévision. En conséquence, j’ai acquis une certaine familiarité avec l’éventail des thèmes créatifs abordés, allant du grandiose à l’horrible, et comme beaucoup de gens qui font la même chose que moi, j’ai du goût pour les deux.
Mais il y a environ une dizaine d’années, j’ai commencé à perdre mon goût pour deux des genres les plus populaires : l’horreur et la comédie. Je me réfère principalement aux versions contemporaines de chacun.
Psychose d’Hitchcock demeure un des films que j’admire le plus, et je l’ai probablement vu six fois. (Ce n’est rien. J’ai vu les aventures de Robin des Bois, – la version de 1938 avec Flynn et de Haviland – au moins cinquante fois !) Et j’aime les premiers films de Woody Allen, bien que je sois spécialement amateur des comédies délirantes des années 1930, telles que « L’histoire de philadelphie » bien qu’elle date seulement de 1940.
Comme beaucoup de lecteurs et de critiques, j’aime bien un bon policier. La première œuvre que j’ai dévorée étant enfant, est la série des Sherlock Holmes. D’autres très bons auteurs, y compris le sacro-saint G.K. Chesterton, en ont tâté, ou se sont même consacrés à inventer des énigmes, et des détectives pour les résoudre, mais je n’ai jamais été tout à fait sûr – pour ne citer que le cas de sir Arthur Conan Doyle – que l’auteur admirait plus son détective ou son tueur, Holmes ou Moriarty.
Il y a quelques années,- un certain nombre, en fait car le passé se sauve à toute vitesse – J’ai eu la chance de rencontrer Thomas Harris. Il est le génie littéraire qui a inventé le malfaiteur le plus remarquable du dernier demi-siècle : Hannibal Lecter. Je recommande la lecture de « Le silence des agneaux ». En fait le livre est meilleur que le film, bien que la performance d’Anthony Hopkins en Dr Lecter pour laquelle il a eu un oscar, ait été vraiment remarquable, en particulier pour sa réserve et son impassibilité. Ce film a été nominé dans tous les domaines importants à la 64° remise des Oscars.
Quand Harris a écrit son troisième livre sur Lecter, « Hannibal », cela a été – si j’ai bien compris – sa manière de tuer la série sans pour autant tuer le psychiatre cannibale. (Le mal ne finira-t-il jamais ? Eh bien non.) Hannibal et Clarice Starling (jouée par Jodie Foster dans le « silence des agneaux » et par Julianne Moore dans la version filmée de Hannibal) s’en vont dans le coucher de soleil (eh bien, en Argentine) ensemble.
L’agent du FBI et le tueur en série qu’elle a poursuivi s’installent ensemble dans une hacienda bien à eux. Monsieur Harris s’attendait – du moins c’est ce que je crois – à ce que les gens (peut-être même des producteurs de cinéma) en aient tellement assez de ces atrocités qu’ils cesseraient de réclamer plus d’épisodes et de nouveaux volets. (C’est la raison pour laquelle Mademoiselle Foster a refusé de reprendre le rôle.)
Mais Dino de Laurentiis, qui a acheté les droits sur ce personnage, a décidé de faire un volet (avec ou sans la contribution de Harris) et c’est pourquoi Harris a écrit « La montée d’Hannibal » qui a donné naissance au film du même nom. C’était une bonne idée, en vérité : Comment Hannibal était-il devenu Hannibal ?
Quand j’ai rencontré Monsieur Harris, je n’ai pas eu l’occasion de faire moi-même le détective en l’interrogeant, pour avoir une idée de sa vision du monde: de ses opinions politiques, de ses préjugés, de sa foi ou de son absence de foi. Je peux dire que je l’ai trouvé absolument délicieux, un homme intelligent et chaleureux. J’ai admiré sa conviction, si évidente dans le « silence des agneaux » que le mal existe vraiment et ne peut pas toujours être attribué à une maladie mentale.
C’est pourquoi je ne le blâme pas pour la récente adaptation télévisée de son livre « le dragon rouge » de la série Lecter, qui est diffusée en ce moment pour deux saisons sous le nom de « Hannibal ». Le nom est devenu une marque. Combien de parents donnent à leurs fils ce prénom de nos jours ?
Le nom de Harris apparaît au générique, mais – d’après ce que je sais,- il n’a pas grand-chose à voir avec les séries télévisées qui ramènent le réseau de télévision à un niveau supérieur de violence, de sang qui coule, et – je dois dire – de dépravation. Je ne les ai pas regardées quand elles ont été diffusées sur NBC, mais je viens de terminer un marathon des saisons un et deux, et je suis assez affecté par ce que j’ai vu pour éprouver le besoin d’écrire à ce sujet.
Mais pour être honnête, c’est un des programmes les mieux écrits, les mieux mis en scène, et les plus visuellement éblouissants que j’aie jamais vus à la télévision américaine. Vous connaissez probablement Mads Mikkelsen (en Lecter) par son rôle de bandit (Le Chiffre) dans Casino Royal. C’est mon candidat pour le meilleur rôle de très mauvais garçon dans le meilleur film de James Bond. Le visage anguleux de Mikkelsen, et ses yeux aux lourdes paupières… cela seul suffirait à faire monter l’audiomètre d’Hannibal sur les chaînes câblées payantes. Hugh Dancy et Laurence Fishburne sont aussi superbes comme détectives.
Tous les mystères policiers, bien qu’il y ait peu de mystère dans Hannibal, sont dans un certain sens des contes moraux, ou du moins devraient-ils l’être. Peut-être que dans la saison trois, l’espèce de justice immanente qui était un produit de base à Hollywood viendra écraser Hannibal Lecter. Il est certain que quelqu’un doit arriver à tuer ou à capturer ce filsdepute avant qu’il ait tué et mangé encore dix ou cent êtres humains.
Les histoires de meurtres, depuis « Le cœur révélateur » jusqu’au « Grand Sommeil » se sont presque toujours terminées de manière à ce que la justice soit rendue – et pas avec le dos de la cuiller! Il semble pourtant que jusqu’à maintenant, seul Dieu pourra livrer le méchant Lecter à sa punition, parce que Hannibal est simplement plus doué que n’importe qui, toujours à deux, non à dix pas devant les types sympathiques dont les vertus personnelles sont d’ailleurs discutables. Une des « leçons » d’Hannibal, c’est que pour attraper un tueur, il se peut qu’on doive soi-même être un tueur. Et même ainsi…
C’est rare de voir des ténèbres dans lesquels il n’y a absolument aucune lumière. C’est cela la dépravation de Hannibal. Jouant le rôle d’un démon, Lecter parle de Dieu, mais seulement pour s’en moquer.
Mais il y a une lumière qui brille dans les ténèbres, même si de nombreux cinéastes ne sont plus capables de la voir. Et s’ils ne le peuvent pas c’est peut être parce que la noirceur elle-même, ou lui-même, leur a donné du talent – en échange de leur âme.
Traduction de « The impenetrable darkness of Hannibal »
Phoro : M. Miner (à gauche) et Thomas Harris en 2006