Orgueil et besoin de compliments. - France Catholique
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La justice de Dieu
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Orgueil et besoin de compliments.

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Quand j’étais petit, mon père nous emmenait, mon frère et moi avec le chien, sur un sommet dénudé pour cueillir des myrtilles. Il n’y avait là rien de bien remarquable. Le plus visible était un dôme radar qui ronronnait par intermittences, guettant, je crois, vers le Nord, les missiles russes au-desus du Pôle. Nous prenions nos gamelles et cherchions, de buisson en buisson touffu, parmi les bouleaux blancs, les lichens, la mousse, les champignons, la boue charbonneuse et les rochers déposés par les glaciers il y a vingt-mille ans. Le chien fourrageait alentour, faisant peur aux serpents, et picorant des baies dans les taillis. Des oiseaux dont j’ignorais le nom, jacassaient alentour. Nous ne jacassions pas. Mon père disait de fermer son bec quand les mains travaillent. Avec ses frères et sœurs, il montait à un endroit qu’ils appelaient « Whiskey Springs » (Source du Whiskey) pour y cueillir des myrtilles ; c’était à l’époque de la grande crise, qui débuta dans notre région de Pennsylvanie avec les années 1930, et dura, dura, comme une crise de malaria. Ils cueillaient des myrtilles car ils avaient besoin de se faire de l’argent. Ils les vendaient en ville, 25 cents le litre, il fallait que les baies soient présentables. Toutes bien mûres, pas de feuilles, pas de brindilles, pas de boue. Ils plaçaient sur le dessus de leurs seaux les plus grosses, celles qu’on trouve, grandes timides, à l’ombre d’une grosse branche, rondes comme les belles gouttes de rosée à l’aube d’une nuit froide. C’était la joie — ils emportaient pour manger du pain italien et des poivrons, et buvaient l’eau de la source. C’était aussi un travail sérieux, autrement dit, glorieux. Mon père m’a raconté tout çà, et moi aussi j’adorais cueillir des myrtilles. De temps en temps j’en glissais une dans ma bouche, mais pas trop souvent. Je voulais récolter mes deux litres avant de rentrer. Nous ne parlions guère. « Elles sont bonnes, par ici.» ou « j’en ai trouvé sept sur une branche.» … Parfois j’entendais à peine mon père quand il nous appelait, alors que nous avions progressé en silence, pendant près d’une heure. Une fois, j’avais alors huit ans, mon père, appuyé à une clôture, bavardait avec un vieillard. Il s’agissait de cueillette de baies. « Les jeunes n’en cueillent plus.» disait le vieil homme. «Tony, que voici, est un cueilleur — dit mon père — un bon, il les cueille comme il faut. » C’était un brin exagéré — jamais je ne les ai cueillies aussi proprement que le faisait mon père. Mais pour moi c’était un immense compliment, à propos de quelque chose d’aussi simple! Bien des années plus tard, j’allais paser à une nouvelle matière principale à Princeton, mon père m’écrivit que j’étais la personne la plus brillante qu’il ait jamais connue. Ce qui aurait dû signifier bien davantage que « Tony, que voici, est un bon ramasseur de myrtilles. », mais non. À l’époque j’ai été plutôt un peu énervé. Alors que l’autre compliment — je m’en souviens encore, au fond de mon cœur. Voici pour moi un mystère. On sait bien que l’orgueil est un péché capital, mais quand mon père a dit ce compliment au vieil homme, j’étais sacrément fier. Et j’aurais été bien ingrat ou insensible si je n’avais éprouvé de la fierté. Quelle différence entre péché d’orgueil et besoin de compliments ? Quand le maître rentre de voyage, nous dit la parabole, et reçoit dix talents contre cinq, il fait éclater les louanges. « Très bien, bon et fidèle serviteur.» Entendre ces mots, n’est-ce pas pour le serviteur la meilleure des récompenses? Il est inondé de la lumière de son maître. « Entre dans la joie de ton maître.» dit le seigneur. J’aime lire les Écritures en d’autres langues, car l’étrangeté des mots m’aide à saisir l’étrangeté du message, et on ne sait jamais si les ressources, ou les limites, d’une autre langue apporteront un éclairage là où sa propre langue a laissé de l’ombre. Voici ce qu’entend un Gallois « Da, was da a ffyddlawn ! » mot-à-mot: « bien, bon et fidèle serviteur» Le tout simple mot « da » est à la fois adjectif et adverbe. Le serviteur est bon, car il agit bien. C’est l’essentiel qu’on souhaite entendre. « Bien. » dit le Père, et ce compliment sous-entend l’invitation « Entre dans la joie de ton maître.» Car seul le Père est bon. Le flatteur est un menteur, un ennemi. Il susurre que je suis bon quand je ne le suis pas, car il veut me tromper, s’emparer de ma confiance, pour me détruire. Dès le début Satan était un flatteur et un meurtrier, disant: « Vous serez tels des dieux. » Mon père me disait que j’étais la personne la plus brillante qu’il ait jamais connue, et, maussade, je n’éprouvais aucune gratitude. Mais qu’est-ce que çà pouvait faire? Je ne me suis pas fait. Mon père ne m’a pas fabriqué. Trois grammes de cervelle au-dessus de la moyenne peuvent aussi bien séparer qu’unir. Un homme aux bras robustes peut tout aussi bien débroussailler un champ que massacrer un homme. Churchill avait l’art d’emporter les foules. Hitler aussi. Mais quand mon père disait : « Voici mon fils, qui récolte les myrtilles.» c’était immense pour moi, car je voulais lui faire plaisir. Je voyais que ce que nous faisions était bien, et je lui étais reconnaissant de nous avoir montré comment faire. Il ne m’aurait pas montré s’il n’avait pas porté attention à moi, et je n’aurais pas si bien appris sans me soucier de lui. On ne se l’est jamais dit, mais c’était ainsi. Jésus nous dit d’être humbles, et déclare: « nous sommes des serviteurs sans valeur.» et c’est bien vrai. Mais c’est une vérité que seul un serviteur aimant pourrait énoncer — tout en espérant, en étant persuadé, que le Seigneur, qui accepte de faire appel à notre travail dira qu’il nous apprend à espérer entendre: « Da, was da a ffyddlawn!» Bien, bon et fidèle serviteur. Source : Pride, and Praise-Desire Photo : Myrtilles.