Des arguments pour penser l'Europe - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Des arguments pour penser l’Europe

Se comprendre européen est-il plus difficile aujourd’hui que lors du déclenchement de la Guerre de 1914 ? Bien au contraire ! L’Europe des nationalismes, de l’antisémitisme, du colonialisme s’était forgé un faux destin impérial. À trop se confier à la puissance que leur conférait la révolution industrielle, les Européens avaient perdu en quelque sorte leur esprit et leur âme. Aujourd’hui l’identité de l’Europe, nourrie de la mémoire longue des peuples, est plus dynamique, plus métissée, plus fragile peut-être, qu’il y a cent ans. N’est-ce pas ainsi qu’elle redevient européenne, c’est-à-dire toujours en mouvement et ouverte sous le double effet de sa racine grecque et de sa greffe biblique ? C’est en tirant les leçons de plusieurs séminaires du Pôle de recherche du Collège des Bernardins, et en comparant les attentes des Européens à celles d’autres peuples du monde, que le père Antoine Guggenheim nous livre une réflexion personnelle inédite où une « théologie pour profanes » se fait servante de l’expérience des sciences de l’homme et de la réflexion des acteurs. » à méditer en ces temps d'élections européennes.
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Par-delà les replis nationalistes et par-delà les clivages politiques, on a l’impression que les Européens sont déboussolés, que l’aspiration, le désir de paix qui a engendré la construction européenne n’est plus une aimantation commune. Quel diagnostic portez-vous ?

Un désir de paix, de liberté et de justice sociale a traversé les peuples européens après la Deuxième guerre mondiale. À l’Ouest, des hommes et des femmes issus de la Résistance ou ayant fait la guerre ont insufflé à la construction européenne un esprit humaniste. Mais des nations ont été coupées en deux, congelées ou finlandisées par Yalta. Et l’on parle de 70 ans de paix : quelle amnésie ! C’est cela qui passe mal.

L’Europe a été niée comme unité géographique et politique pendant plus de 40 ans. Les Européens sont déboussolés parce qu’on n’a pas su leur dire le sens historique et spirituel de la « réunification » progressive de l’Europe depuis 1989. Le binôme « élargissement » et « approfondissement » qui a été employé pour décrire la construction européenne après 1989 faisait miroiter des avantages économiques et démocratiques. Ce n’est pas rien. Il ne faisait pas de référence à l’histoire européenne ni à la « communauté de destin » des nations européennes. C’est pourtant l’histoire et la mission de l’Europe qui lui donne sens, comme l’a écrit Edgar Morin au début des années 1990 dans son Penser l’Europe.

Les références à l’esprit européen continuent de manquer dans le discours des responsables, spécialement en France, où une laïcité mal comprise exténue la parole publique. C’est pourquoi j’ai repris la tâche et le titre de Morin vingt-cinq ans plus tard. Il faut mobiliser l’imaginaire et la mémoire des peuples, car la construction européenne est un élément de leur identité et de leur destinée.

De façon paradoxale, la globalisation n’est-elle pas l’occasion historique pour l’Europe de retrouver son âme faite d’un dynamisme d’intégration et de métissage ?

La globalisation est une chance politique, économique et culturelle pour tous les peuples du monde. Elle est aussi un défi, comme tout mouvement qui relativise les frontières et déplace les limites. Une Europe qui reconnaît son identité ouverte, née de la pensée grecque, de la sagesse des grands monothéismes et de l’humanisme agnostique moderne, peut aborder la globalisation avec un optimisme raisonnable. Elle peut aussi reconnaître son rôle et sa responsabilité pour que la globalisation soit un événement spirituel, une rencontre des peuples et des personnes.

L’Europe, selon son génie propre, peut aider à résister à la double tentation opposée d’une massification de l’humanité, ou d’une intolérance antimoderne, qui séduit aujourd’hui les esprits apeurés par le changement dans tous les coins du monde.

Comment faire travailler ensemble sur ce projet commun les différents acteurs de la vie publique (politiques, entrepreneurs, intellectuels, chercheurs, religieux…) et les différentes générations (jeunes, seniors…) sans laisser la question européenne uniquement aux mains de technocrates ou de banquiers qui, dans leur légitime préoccupation, occupent l’espace déserté ?

La construction européenne, comme tout ensemble vaste et complexe, a besoin de régulations démocratiques, industrielles et sociétales adaptées à ses besoins et c’est la responsabilité des élites de les imaginer. Il nous faut des administrateurs, des entrepreneurs et des chercheurs. Mais l’Europe ne se délègue pas puisque l’esprit européen, c’est l’idée que chacun contribue d’autant mieux au bien commun et au progrès de tous qu’il peut librement s’engager dans un projet d’accomplissement personnel. Cette manière de mettre l’individu et sa réalisation à la base de la vie sociale s’appelle depuis l’Antiquité européenne : l’humanisme !

C’est l’humanisme qui relie en Europe les valeurs de la tradition à celles de la modernité. Le projet humaniste prend en Europe des formes diverses selon ses sources d’inspiration.

Il revient donc à chaque Européen de construire l’Europe quotidienne « au ras des pâquerettes » comme une dimension de son projet de vie… La construction européenne ne se délègue pas !

Vous êtes prêtre, théologien, disciple de Celui qui a dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Comment concevez-vous votre rapport et celui des Églises, des religions, à cette construction commune ?

Je crois profondément que le christianisme, et le catholicisme en particulier, sont beaux et utiles en particulier parce que ce sont des religions qui se placent dans une logique d’incarnation. L’engagement politique des catholiques est une nécessité de foi et une fidélité historique. Il implique ses risques, comme le montre l’histoire, et demande du discernement. La modernité issue des Lumières, qui est encore la nôtre et dont nous bénéficions tant, sans en faire notre seul salut, a comporté un long moment d’isolement des catholiques en France. La Révolution leur a demandé de rester dans la sacristie et ce retrait a semblé à l’intransigeance de beaucoup de catholiques une juste punition infligée volontiers à la République laïque ! La séparation légale est devenue une séparation mentale.

Derrière la boutade, entendez un appel relayé par tous les papes aux fidèles laïcs — plus qu’aux clercs : oui, des catholiques de France et d’Europe s’engagent dans les tâches politiques et prennent leur part de responsabilité dans la cité, non pas pour faire tomber les gouvernements : ils n’en ont pas de remplacement ! Mais pour promouvoir les grandes querelles de l’Homme et de son avenir, au premier rang desquelles, je crois, se trouve la construction d’une communauté des Nations unies d’Europe.

Hier, le pape François, aujourd’hui, l’Italie, interpellent les Européens pour que le drame humanitaire des réfugiés soit pris en compte par l’Europe elle-même. Justement, ne touchons-nous pas à ce qui fait l’âme de l’Europe et qui est susceptible d’enthousiasmer les jeunes générations ?

Le pape François, à son tour, nous appelle à nous engager en faveur du respect des droits et des personnes des réfugiés, même en situation irrégulière : c’est évident ! Il s’agit d’un appel de la conscience droite qui n’obère en rien, mais au contraire stimule la responsabilité des États et des citoyens de bâtir une politique migratoire juste et de la faire respecter par des accords entre États négociés dans le respect des lois internationales. Le Pape et la conscience nous interrogent aussi sur la politique migratoire de l’Europe.

Quel accueil pour les étrangers réguliers et leur descendance européenne ? L’hospitalité, comme premier des droits et des devoirs de l’homme, est-elle une dimension de notre politique migratoire ? Avons-nous un comportement conforme à notre éthique en matière migratoire ?

Quelles figures s’imposent à vous lorsque l’on prononce le mot « Europe » ?

Je pense aussi bien aux grands personnages de l’Antiquité, du Moyen Âge que de la modernité : Aristote, Sénèque, Gamaliel ou Paul ; Averroès, Maimonide ou Thomas d’Aquin ; Machiavel, Spinoza ou Voltaire. Il faudrait nommer des artistes : Dante, Mozart, Richard Strauss. Mais aussi des entrepreneurs, des savants et, pourquoi pas, des chefs de guerre. Pour les modernes, on connaît les Pères fondateurs : Adenauer, De Gasperi, Schuman… Et tant d’anonymes !

Les Bernardins ont créé un lieu de liberté où des hommes et des femmes ayant des histoires et des engagements très différents peuvent prendre le temps de réfléchir aux questions vitales et proposer, dans le dialogue, des solutions. Votre livre en est-il l’un des fruits ?

Mon livre est le fruit de ce que la pratique des séminaires du Pôle de recherche du Collège des Bernardins produit dans l’esprit d’un théologien qui se laisse renouveler par le travail interdisciplinaire avec des chercheurs et des praticiens de différents horizons. C’est le croisement des expériences qui apprend au prêtre et à l’enseignant que je suis, depuis sept ans, que la recherche est une patiente écoute des richesses de l’humanité.

Dieu parle la langue des hommes. Le théologien peut le savoir abstraitement, ou dogmatiquement : mais l’expérience l’enseigne autrement. L’Église peut sortir aujourd’hui de la sacristie : elle est très attendue, si elle parle la langue commune sans prétendre tout savoir et tout juger. Elle a beaucoup à y gagner pour comprendre et annoncer son message, car c’est ainsi qu’elle ressemble le plus à Celui à qui elle rend témoignage, comme le répète souvent le pape François. Mais qui écoute vraiment le pape ?

Des propositions concrètes pour l’Europe ?

J’en ai écrite plusieurs à la fin de mon livre ! Je les résumerai ainsi : si nous croyons que l’Europe est en crise, c’est que nous avons une haute idée de son idéal et de son avenir. Prenons donc le temps de réfléchir et d’interroger : qui es-tu Europe ? Que dis-tu de toi-même ? Nous ne serons pas déçus !

http://www.paroleetsilence.com/Antoine-Guggenheim_auteur_174.html