L'imperfection humaine - France Catholique
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La justice de Dieu
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L’imperfection humaine

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Permettez-moi de me livrer à une courte autobiographie, ayant pour but de nous mener à un aspect théologique.

Je souffre, depuis un certain temps, d’attaques de colique hépatique douloureuses (quand un calcul biliaire reste coincé dans le canal cystique et que la vésicule biliaire se contracte pour l’expulser avec la sécrétion normale de la bile). J’ai décidé dès le début de traverser cette épreuve par les affaiblissantes mais rares attaques, plutôt que d’opter pour la chirurgie.

Je n’ai pas eu d’attaques pendant 10 ans, jusqu’à ce dernier lundi de mars où elles m’ont repris, comme pour se venger. Deux attaques dans la même journée. J’ai donc appelé mon médecin. J’ai pris rendez-vous le 3 avril (après plusieurs autres attaques le jour précédent) et il m’a dit : « Il n’y a pas de traitements, ni de remèdes ! Vous devez vous faire opérer ! » Mais avant même que j’ai pu appeler un chirurgien, une autre attaque m’a mis à terre dans la salle d’attente ; une attaque si douloureuse, irradiant mon corps de l’abdomen jusque dans le dos et finalement jusqu’à mon coté gauche (j’ai vu deux couleurs : le rouge et le noir), que c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je n’avais jamais connu la douleur 10 de l’échelle de la douleur auparavant.

Ayant évité l’ablation chirurgicale pendant aussi longtemps, j’étais prêt à la faire moi-même avec un canif sans plus attendre. La douleur s’était déjà calmée (ce qui arrive souvent avec une colique hépatique), aidée par une injection de morphine, lorsque le chirurgien est arrivé. Nous avons accepté de lui laisser la partie « incision et ablation ».

Mais…. l’analyse du sang a montré que le petit caillou n’avait pas, comme il aurait dû le faire, été vers l’intestin grêle, mais était dans le conduit cholédoque, posté dangereusement près du canal pancréatique. Les pancréatites aiguës, causées dans la moitié des cas par des calculs, peuvent vous tuer.

Le chirurgien a donc dit, en haussant les épaules : «  Nous allons faire un IRM pour confirmer que le calcul est bien dans le conduit cholédoque, puis une endoscopie pour pouvoir l’enlever. Ensuite, je vous ferai subir l’opération chirurgicale. »

« Un IRM, comme dans un de ces cercueils ronds » ?

Il hocha la tête.

« Non, répondis-je catégoriquement. Je suis claustrophobe. »

Le chirurgien haussa de nouveau les épaules.

« Alors, nous allons directement faire l’endoscopie, puisque nous la ferons de toute façon si nous trouvions le calcul, bien que s’il y en ait plus d’un et que le gastro-entérologue le rate… »

J’ai subi l’endoscopie le lendemain (un seul calcul a été enlevé du cholédoque), suivi deux heures plus tard par la cholécystectomie par laparotomie.

L’attaque de ce caillou, ajouté à la morphine pour calmer la douleur, l’endoscopie et la cholécystectomie, quatre jours d’antibiotiques forts, l’absence de nourriture et de sommeil pendant trente-six heures et la décision tardive de passer par l’IRM (que je n’ai pas passé finalement) : tous ça infligea un stress énorme à mon corps et mon esprit. J’ai perdu presque cinq kilos en moins d’une semaine.

J’ai eu quatre incisions douloureuses dans mon abdomen où les implants de la cholécystectomie ont été insérés. J’ai payé le prix en terme de douleur postopératoire et fatigue.

Donc maintenant une annonce d’ordre public : j’invite chaque personne diagnostiquée d’un calcul de passer une cholécystectomie en prévention. Et prenez la peine de consulter un chirurgien ; n’utilisez pas de canif.

Mais tout ça n’est pas vraiment le sujet de cet article.

La claustrophobie, ma colère envers « l’échec » de mon corps, et la déception émouvante que j’ai ressentie quand le niveau des enzymes de mon foie après l’opération m’a obligé à rester un jour de plus à l’hôpital ont été, en fait, des problèmes théologiques. Bien sûr, je sais que les phobies aiguës et les urgences médicales ne sont ni morales, ni théologiques par nature. Cependant, une des réactions à celles-ci peut en être une.

Je me suis couché, la nuit après l’opération, pensant aux martyrs qui n’ont pas seulement éprouvé la mort mais aussi la torture. Les histoires des saints martyrs décrivent souvent les pleurs de joie – les hymnes chantés- même les flammes dévorant leurs chairs. Notre précieux Seigneur a enduré trois heures d’indescriptible agonie sur la croix, et pourtant, je ne suis pas capable de supporter vingt minutes pour une IRM.

Pourquoi pas ? Parce que ma foi est faible. Seigneur je crois mais viens à mon aide ! Les lieux étroits et confinés équivalent pour moi à l’enfer. Quand j’ai rendu visite au prêtre de notre église, qui m’a donné le sacrement de l’onction des malades avant l’opération, je lui ai dit : « La claustrophobie est le trou noir du centre de mon âme. »

Une phobie est par définition irrationnelle.

J’ai essayé d’écouter des chants grégoriens sur mon Iphone, mais je l’ai rapidement éteint : trop funéraire. J’ai opté pour un superbe film allemand, Vision, qui parle d’Hildegard de Bingen, mais les flagellations et autres mortifications qu’il subissait, devenaient étouffantes.

J’ai donc attrapé la tablette de lecture, que ma femme m’avait apporté le deuxième jour, et j’ai continué à lire la traduction du Paradis de Dante par Anthony Esolen. Je dois à Tony tout le calme qui m’a envahi pendant le reste de mon confinement.

Dans son introduction, Tony écrit merveilleusement bien ce qui, pour moi, n’est pas un aspect assez apprécié de la promesse chrétienne, à savoir le fait que nos corps nous suivent dans l’Au-delà. Comme Esolen l’écrit, les âmes saintes que Dante rencontre au paradis, «  bien qu’entourées de bonheur, seront encore mieux dotées à la résurrection du corps. » C’est pourquoi les saints deviennent, dans ces retrouvailles, parfaitement humains.

Les penseurs chrétiens les plus brillants renoncent à l’hérésie selon laquelle le Christ était seulement une âme , et son corps seulement une illusion (courant de pensée du docétisme), et que le corps humain (donc la création matérielle en elle-même) est intrinsèquement le mal (courant du catharisme). La résurrection du corps refuse également le vieux dicton qui « dit que tu ne peux pas prendre ce corps avec toi », ce qui est vrai pour d’autres possessions terrestres, mais pas pour la plus importante.

Paul dit que le corps mort et enterré, est une graine :

Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible ; il ressuscite incorruptible. Il est semé méprisable, il ressuscite glorieux ; il est semé infirme, il ressuscite plein de force (1 COR 15 : 42-43).

Je dois m’efforcer à vivre sans peur, si Dieu le veut. En revanche, si je dois vivre avec la peur, alors je dois aussi vivre avec la foi, l’espoir et l’amour.


Gravure : L’empyréenne (Paradis, Chant XXXI) de Gustave Doré (1880)

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Brad Miner est un rédacteur en chef du journal ‘The Catholic thing’, un membre important de l’Institut « Faith and Reason », et un membre du conseil de l’association « Aid to the Church in Need USA ». Il est l’auteur de six ouvrages et l’ancien éditeur littéraire de la « National Review ». Son livre, « The compleat Gentleman », est disponible en audio et en application pour Iphone.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/imperfectly-human.html