« Jusqu’à ma rencontre avec le cardinal Bergoglio à Buenos Aires – peu de temps après ma conversion – ma vie avait été un vrai gâchis. Et je n’oublierai jamais l’impression que j’ai eue de me trouver devant un homme qui m’aimait et m’avait toujours aimé ».
A mesure que les événements de la canonisation se déroulaient, ce qui frappait le plus, c’était que l’atmosphère à Rome ne reflétait pas la politique habituelle de l’Eglise qui oppose gens de gauche et de droite, progressistes et conservateurs. Un fervent élan de catholicisme universel semblait unir les deux papes en voie de canonisation et les deux papes qui concélébraient, et transcender toutes les différences passagères.
Nous devons nous souvenir du caractère universel de l’Eglise – cette Eglise qui a des fidèles aux quatre coins du monde et qui est capable de choisir ses plus hauts responsables dans des pays aussi divers que l’Italie, l’Allemagne, la Pologne et l’Argentine.
Si j’ai cité plus haute la déclaration saisissante d’une personne qui a réformé sa vie, s’est convertie au catholicisme – et se trouve être aussi une éminente personnalité politique qui ne voudrait pas que cette expérience soit rendue publique – c’est parce qu’elle me semble cadrer avec un certain nombre d’autres épisodes de ces extraordinaires journées.
Comme je l’ai écrit auparavant dans ces colonnes, j’ai passé ce week-end dans la cabine d’EWTN commentant pour la télévision le déroulement des canonisations – c’est-à-dire que j’avais un point de vue privilégié mais guère la possibilité de me mêler à la foule. Pourtant, même de cette hauteur, certaines données étaient évidentes.
Comme c’est toujours le cas à Rome lors d’événements de ce genre, on est toujours surpris par la propension des hommes à se rassembler – la joie que procure un grand rassemblement pour une importante célébration spirituelle – et le profond recueillement qui règne même au milieu de vastes foules. Par moments, je me laissais envahir par cette ferveur catholique et par la très belle musique que joua le chœur du Vatican pendant toute la cérémonie qui dura plus de deux heures.
Et en fait : en quel autre lieu une manifestation commencerait-elle par une litanie des saints remontant à plusieurs siècles et merveilleusement chantée en latin ? Ou par ce credo, chanté également en latin par des voix sublimes égrenant phrase après phrase un chapelet de croyances qui ont persisté pendant deux millénaires et inspiré des milliards de vies de multiples manières ?
Beaucoup prêtèrent spécialement attention à l’homélie que le pape François prononça à propos de ses deux grands prédécesseurs. Il voulait vraiment faire passer un message à leur sujet. Il rappela que le pape Jean XXIII était le grand pape de « l’obéissance » (docilità) aux voies dans lesquelles nous conduit l’Esprit Saint de façon imprévisible.
Il faut d’autant plus retenir cette expression que la traduction officielle de l’homélie a, comme c’est souvent le cas, mal rendu les paroles du Saint Père. Un traducteur a apparemment pensé qu’il était plus normal en anglais de présenter Jean XXIII comme le pape de « l’ouverture » – ce mot passe-partout vide de sens et dangereux qui semble généreux mais nous emmène en fait dans un domaine vague.
Il ne faut pas accorder trop de poids à quelques mots d’une brève homélie, mais c’est bien ainsi que le pape François a parlé du grand saint Jean XXIII. Il serait bon que l’Eglise universelle les proclame et les prenne à cœur après toutes ces années où le message de Jean XXIII a été dénaturé.
Quand le pape François a invoqué saint Jean-Paul II, il a commencé par observer que Jean-Paul voulait être connu comme le « pape de la famille », et la foule qui avait été jusque-là très tranquille a réagi par un tonnerre d’applaudissements spontanés. Un fait peu important en soi peut-être, mais qui indiquait peut-être aussi que de nombreux fidèles veulent voir cet aspect de l’héritage de saint Jean-Paul II honoré et pris en compte.
Mon érudit collègue de la télévision, père Gerald Murray de New York (qui a écrit ses émouvantes réflexions personnelles sur Jean-Paul II hier sur notre site), a signalé que l’héritage de Jean-Paul II sur la famille ne devrait découler que de son énergique encyclique Familiaris Consortio de 1981.
Beaucoup d’entre nous qui s’occupent des questions de famille et de culture sont préoccupés par le synode sur la famille qui doit se réunir en octobre de cette année. Notre inquiétude ne découle pas tant des sujets dont l’Eglise discutera au cours du synode que de la manière dont divers groupes – les divorcés, les gais, les lesbiennes etc. – tireront parti de medias laïques bien disposés à leur égard pour essayer de faire monter la pression en faveur du « changement ».
Le pape François a terminé son homélie dimanche en faisant observer qu’il était « particulièrement heureux de souligner [le désir de Jean-Paul II de rester dans les mémoires comme le pape de la famille] puisque nous sommes en train de cheminer avec les familles vers le synode sur la famille. C’est sûrement un chemin que, du haut des cieux, il guide et soutient. Puissent ces deux nouveaux saints et pasteurs du peuple de Dieu intercéder pour l’Eglise, afin que pendant ce cheminement de deux ans vers le synode elle puisse rester ouverte à l’Esprit Saint dans sa pastorale de la famille. »
On pensera peut-être qu’il est exagéré de déduire tout un programme de ce moment de célébration, devant les reliques des deux nouveaux saints, sous le ciel de Rome qui coopéra de son mieux en s’abstenant de pleuvoir jusqu’à la fin de la cérémonie. Pendant ce week-end, des amis argentins à Rome m’ont assuré que mon interprétation n’était pas fausse – étant donné surtout l’énergique défense de la famille exprimée par le futur pape François contre un gouvernement hostile dans son pays natal.
Et il est peut-être aussi rassurant de constater que Jésus-Christ qui est toujours le même – hier, aujourd’hui et demain – inspire désormais également la pensée et les projets de l’Eglise à travers la vie de ces nouveaux saints qui ont su résister sans peur à la modernité.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/yesterday-today-and-tomorrow.html
Photographie. L’équipe d’EWTN : Raymond Arroyo, le père Gerald Murray et Robert Royal
Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith& Reason Institute de Washington (D.C.). Son dernier ouvrage est The God that did not Fail : How Religion Built and Sustains the West.