J’ai récemment déjeuné avec une amie revenue au catholicisme. Désormais fervente catholique, elle a conservé la tournure d’esprit évangélique, ardente et les pieds sur terre, acquise lors de son escapade en protestantisme — une des nombreuses raisons qui me font apprécier sa compagnie.
Ce jour-là elle voulait savoir pourquoi rien n’avait été fait à propos des politiciens qui soutiennent l’avortement et autres pratiques en totale contradiction avec la foi, et peuvent se présenter au public avec leurs auto-portraits de catholiques. Selon elle, bien des protestants en sont scandalisés, et en arrivent à considérer l’Église catholique comme plutôt « relax » en ce domaine.
Nous avons discuté du Canon 915 fréquemment cité, qui précise que « ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion.» [Cf Vatican, Droit canon]
Alors que je parlais de la crainte des évêques de plaquer un caractère politique à l’Eucharistie en refusant de donner la Sainte Communion en de tels cas,, une pensée m’a saisie : ne serait-ce pas en s’interdisant d’appliquer le Canon 915 qu’on aboutirait à ce résultat, et même à pire — on collerait la politique sur la foi.
Et comment donc ?
La plupart des gens considèrent la politique comme l’art de promouvoir le bien commun. D’une part, ce n’est pas une activité en droite ligne, car elle nécessite des négociatons et des compromis en vue d’un résultat aussi bon que possible dans une situation donnée et en raison du nombre d’individus et d’opinions à prendre en compte. D’autre part, on ne peut jamais accepter de compromis sur un principe. Les principes auxquels on est attaché ne devraient jamais être touchés par la négociation en politique, même à l’occasion d’un scrutin. Ces principes dominent le débat. Ils doivent demeurer fermement sacro-saints dans nos cœurs et nos esprits quand nous sommes confrontés à des situations épineuses où on ne peut obtenir qu’un résultat médiocre, par exemple un vote restreignant les avortements sans pour autant les interdire.
On devrait attendre des gens s’engageant en politique qu’ils énoncent les principes selon lesquels ils envisagent d’agir. Une fois élu, même le catholique le plus idéaliste constatera vite l’impossibilité de rédiger un texte de loi compatible avec la loi naturelle en toutes circonstances. Mais en même temps cette personne ne peut certainement pas abandonner les principes de la loi naturelle. Ces principes fourniront les objectifs incontournables vers lesquels tendre tous les efforts dans une situation politique particulière.
Bien qu’on dise parfois qu’on ne peut légiférer sur la morale, vous pouvez toujours essayer de trouver une loi qui ne porte pas atteinte aux principes moraux de quelques uns, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Comme Vatican II l’a confirmé, l’Église reconnaît « la légitime autonomie de la sphère politique ou civile en regard de celle de la religion et de l’Église — mais non dans le domaine de la morale.»
C’est la raison pour laquelle l’Église laisse par principe l’activité politique aux laïcs tout en leur donnant des guides clairs sur les principes de la morale. C’est le rôle des laïcs, et non du clergé, de sanctifier le monde en insufflant autant que possible les valeurs chrétiennes dans le cadre temporel. C’est pourquoi les prêtres ne sont pas autorisés à se présenter à des mandats électifs.
Il ne s’agit pas d’imposer des doctrines qu’on ne connaitrait que de révélation divine mais simplement de faire appel à la loi morale naturelle accessible au cœur de chaque humain afin de vivre en bonne entente. Membre de la création de Dieu, chacun est soumis aux règles de cette loi. Saint Paul précisait que tous nous tenons cette loi inscrite dans nos cœurs. Cette loi nous est plus ou moins évidente, selon l’état de notre conscience.
Pour étayer cet argument on pourrait rappeler que toutes les civilisations ont introduit dans leur législation certains aspects des commandements (C.S. Lewis cite des exemples de ce qu’il appelle « Tao universel », preuve de cette morale transculturelle, dans un appendice à son grand ouvrage « The Abolition of Man » — l’abolition de l’humanité). C’est justement accompagner le fait d’être un homme.
Une prime pour les catholiques : l’Église catholique a médité sur ces commandements au fil des millénaires à diverses occasions, et donc les catholiques ont une vision plus nette de la loi morale naturelle grâce à la sagesse acquise d’une longue expérience.
Reconnaissant le rôle de la morale en politique, l’Église reconnaît aussi qu’elle ne peut rester silencieuse quand des principes de la loi morale sont mis en cause, particulièrement quand ses propres enfants sont impliqués. La morale, c’est son affaire, même si elle n’a pas à jouer un rôle dans l’action politique.
Quand des principes moraux sont piétinés, elle doit réagir. Quand ses propres enfants otent de leur discours ces mêmes principes, elle doit leur apporter toute l’aide possible, en toutes circonstances. Ce soutien a un double but : ramener les fautifs sur le droit chemin, et protéger les innocents du scandale. Quant au scandale, plus l’erreur sera facile à répandre, plus grave il sera. Réagir autrement serait abdiquer le rôle attribué par le Christ à Son Église : guider Son troupeau.
Si les évêques hésitent à agir en raison d’une situation « politique », ils donnent au public l’impression que les principes moraux de l’Église ont aussi un caractère intrinsèquement politique. Il se peut donc qu’en refusant d’appliquer un des remèdes disponibles — le Canon 915 — en refusant la Communion aux politiciens catholiques qui s’entêtent dans leurs déclarations opposées à la loi morale, l’enseignement de cette loi tourne à la politique.
Et le pire pourrait survenir : laisser paraître certaines questions morales brûlantes comme de simples problèmes politiques pourrait bien en faire autant de la foi catholique.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/does-inaction-politicize-the-faith.html
NDT: je lis ces jours-ci dans la presse US quelques déclarations d’évêques insistant sur l’interdiction de communier — Canon 915 — notifiée à certains politiciens (Mme Pelosi, présidente du groupe Démocrate au Congrès, et le sénateur Durbin, Illinois, par exemple).