Cinquante millions d’avortements dénombrés depuis 1973, et parfois il semble que nous ne sommes pas plus près d’arrêter le carnage que nous ne l’étions en ce cruel mois de janvier d’il y a 41 ans. Alors pourquoi les pro-vie étaient-ils si heureux ? Vous pouviez le lire sur leurs visages – leurs visages gelés – cette semaine à la Marche pour la Vie.
Qu’importe le temps, qu’importe le climat politique, les pro-vie n’ont pas hésité à traverser le pays entassés dans des autocars, dormant sur le plancher, juste pour arpenter Constitution Avenue depuis les immeubles du Sénat jusque la Cour Suprême, l’instance qui a pris la décision la plus clivante et sanglante de l’histoire des Etats-Unis.
Et ces manifestants sont heureux.
Même si les avortements se produisent 1,1 million de fois par an – en baisse de 100 000 depuis quelques années, en baisse de 500 000 depuis une décennie – et même si les pro-vie ne sont pas près de renverser l’arrêt Roe, ils sont heureux, ils jubilent presque.
Leur joie naît de leur certitude, sans doute possible, que leur cause est juste. Mais leur joie vient également du pessimisme de l’autre camp. Car il est profondément pessimiste.
A Glengarry Glen Ross, dans le secteur de la publicité, j’ai eu un chef qui disait : « si le type ne fait pas affaire avec vous, la meilleure chose à faire est de lui gâcher sa journée. »
Les partisans de l’avortement n’ont pas eu une bonne journée depuis des années. La meilleure qu’ils ont eu dernièrement, c’est avec cette ridicule manoeuvre d’obstruction de Wendy Davis au Texas, qui a différé un projet de loi pro-vie pour au plus quelques semaines. L’arrêt Roe 1 peut bien rester, les pro-vie ont ruiné d’une autre manière les jours des pro-avortement.
Regardez-les à la télé, et vous voyez des gens harassés, parfois même paniqués alors qu’ils se rendent compte au plus profond d’eux-mêmes que le pays a changé et que la population n’est plus avec eux, si tant est qu’elle l’ait jamais été.
Lors du débat sur CNN cette semaine, le roquet nouvellement à la tête du NARAL 2 a sorti la vieille lune comme quoi une femme ne pouvait obtenir un avortement au second trimestre de la grossesse sans l’agrément d’un médecin pour démontrer combien les lois américaines sur l’avortement sont raisonnables. Bien sûr le « médecin » n’est rien d’autre qu’un Kermit Gosnell, le boucher de Philadelphie 3. Il n’a jamais vu un avortement sans l’approuver et sans en tirer une coquette somme.
En plus de défendre une juste cause et d’avoir la Schadenfreude (en allemand dans le texte – joie honteuse) d’empoisonner les jours de l’autre camp, les pro-vies sont heureux à cause des victoires surprenantes survenues ces dernières années dans les différents Etats. Et ce sont d’authentiques bonnes nouvelles.
Un document tout juste diffusé par l’institut Alan Guttmatcher révèle un tsunami de restrictions législatives sur l’avortement tardif. « Au cours de l’année, 39 Etats ont adopté 141 dispositions relative à la santé et aux droits reproductifs. La moitié de ces nouvelles dispositions, 70 dans 22 Etats, ont pour objet de restreindre l’avortement. »
Selon le rapport, ces 70 restrictions législatives font arriver 2013 en second derrière 2011 et ses 92 dispositions. Et – tenez-vous bien – les 205 restrictions adoptées ces trois dernières années sont plus nombreuses que le total de celles des dix années qui ont précédé.
Guttmacher rapporte que « 45 pour cent des restrictions à l’avortement adoptées au cours des trois dernières années se répartissent en 4 catégories : des restrictions ciblées sur ceux qui procurent les avortements, des limites de couverture médicale de l’avortement, l’interdiction de l’avortement après 20 semaines de grossesse, des limitations de l’avortement médicamenteux. »
Parmi les initiatives les plus intéressantes et les plus fructueuses des militants pro-vie gouvernementaux, on trouve les restrictions ciblées sur les avorteurs. Les médecins avorteurs ont tendance à être la lie du monde médical. Leurs installations sont souvent dégoûtantes et ne dépassant pas les normes d’hygiène exigées d’un salon de manucure.
Les pro-vie ont conjecturé à raison qu’obliger ces installations à respecter une sorte de code améliorerait la sécurité des femmes (puisque nombre d’entre elles sont évacuées en ambulance de ces avortoirs) mais surtout entraînerait la fermeture de celles de ces officines refusant d’évoluer.
Cette tactique brillante a entraîné la fermeture de nombre d’avortoirs au Texas et ailleurs. Bien mieux, cela rend possible d’arrêter les avortements sans obligatoirement renverser l’arrêt Roe. Si une femme ne peut trouver nulle part où se faire avorter, l’arrêt Roe est une coquille vide.
Guttmacher catalogue les Etats selon leur « hostilité » à l’avortement, déterminée par l’adoption de quatre à dix mesures de restriction majeure. En 2000, il n’y avait que 13 Etats dans ce cas. Dans le nouveau rapport, 27 Etats sont qualifiés « d’hostiles », incluant quatre Etats « pourpre » ayant voté pour Obama aux dernières élections : la Virginie, l’Ohio, la Floride et la Pennsylvanie.
Comment est-ce arrivé ?
C’est arrivé parce que les joyeux pro-vie n’ont pas gémi face aux obstacles apparemment insurmontables qui se dressaient devant eux : l’arrêt Roe mais également toutes les grandes institutions aux Etats-Unis.
Durant 58 longues années, en commençant avec la délibération Plessy de 1898, les militants des droits civiques ont préparé le terrain, préparé le peuple américain à soutenir le projet, et par là ont rendu possible l’arrêt Brown v. Board of Education. De la même manière – parfois bruyamment, le plus souvent tranquillement, mais toujours avec une insistance joyeuse – les pro-vie ont préparé le terrain et préparé la résiliation de l’arrêt Roe un jour prochain.
Le combat final sera-t-il facile ? Est-il proche ? Le professeur Gerry Bradley de l’école de droit de Notre-Dame ne le pense pas. Et il n’est pas le seul. Cette semaine, il a écrit dans Public Discourse : « le fait étonnant sur lequel toute réévaluation pro-vie doit se concentrer est le suivant : les croyances et les pratiques des Américains sur l’avortement ont digéré la vérité sur l’enfant à naître sans même un haut-le-coeur. Un nombre croissant d’Américains disent qu’ils approuvent l’avortement tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un meurtre.
Les pro-vie ne sont pas des andouilles. Ils savent cela. Ils savent aussi que cet énorme obstacle nommé Roe se trouve en travers de la route. Et la seule façon de s’en débarrasser est un brillant carambolage à quatre boules : Sénat, président, Cour, cas juridique. Et même si Roe est abrogé, la bataille reprendra immédiatement dans la plupart des Etats. Cela, les pro-vie le savent aussi.
Pourtant, vous ne sauriez croire comme ces jeunes gens étaient heureux, marchant avec les pieds gelés durant cette longue manifestation remontant la colline du Capitole. Et il seront de retour l’an prochain. Quoi qu’il arrive.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/happy-people-and-their-just-cause.html
Austin Ruse est le président du C-FAM (institut catholique pour la famille et les droits humains). Les opinions exprimées ici sont celles de M. Ruse et ne reflètent pas nécessairement la politique et les positions du C-FAM.
Photo : parmi les milliers de défenseurs de la vie (à Washington).
- NDT : l’arrêt Roe contre Wade de la Cour Suprême a reconnu l’avortement comme un droit constitutionnel en 1973
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