François, l’écrivain prolixe - France Catholique
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Pâques. La foi des convertis
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François, l’écrivain prolixe

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Nous avons récemment célébré le 150e anniversaire du discours de Gettysburg de Lincoln, un message que certains d’entre nous connaissent encore par cœur et que nous ne pouvons pas relire sans être à nouveau émus.

C’est pendant la même semaine qu’a paru l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium du pape François. Le Saint Père y fait retentir les cymbales et les trompettes de la joie de l’Evangile en invoquant Isaïe : « Pousse des acclamations et des cris de joie ! » Le pape Jean-Paul II a préparé la voie ; le pape Benoît a proclamé la nécessité de s’engager plus sérieusement dans la nouvelle évangélisation ; et il semblerait que le pape François, avec son goût de l’action, soit en train de donner à ce projet un caractère plus urgent.
Le Saint Père accepte les critiques sincères, et je suis donc certain qu’il ne s’offusquera pas si nous faisons remarquer que, dans sa longue exhortation qui compte plus de 200 pages, il ne montre pas la même force de concision que Lincoln à Gettysburg. Ni, malheureusement, la même clarté. Bien sûr, il a voulu couvrir une gamme de sujets plus vaste. Et, au passage, il a quelques accents vibrants, par exemple contre le relativisme moral, notamment le relativisme auquel peuvent être enclins même les agents pastoraux quand ils s’abstiennent de porter des jugements moraux.

Toutefois, il est regrettable que le pape François montre surtout son aptitude à la concision dans les sujets au cœur de la « guerre culturelle » qui clive depuis quelque temps notre vie politique et nos vies personnelles. Robert George est satisfait de voir que le pape défend de nouveau le mariage traditionnel, mais dans ce document papal qui comprend 286 paragraphes, le mariage n’en occupe qu’un seul. Et c’est un paragraphe où il ne cherche pas à expliquer l’argument moral qui n’a pas été invoqué dans les tribunaux et assez rarement proclamé en chaire.

Sur l’avortement, le pape soutient avec justesse que « la défense de la vie à naître est étroitement liée à la défense de tous les autres droits de l’homme ». Car on ne saurait traiter avec désinvolture la condition de la « personne humaine » présente dans le sein de sa mère sans diminuer de la même manière la condition et les droits de toute personne humaine.
Mais le Saint Père passe rapidement à une autre remarque :

« Il est vrai aussi que nous avons peu fait pour accompagner comme il convient les femmes qui se trouvent dans des situations si dures que l’avortement se présente à elles comme une solution rapide à leur profonde angoisse, en particulier quand la vie qui croît en elles est la conséquence d’une violence ou dans un contexte d’extrême pauvreté. Qui peut ne pas comprendre ces situations si douloureuses ? » [par.215]

Rien de ce que le pape dit dans ce paragraphe n’autorise l’avortement dans de telles conditions. Mais étant donné qu’il a déclaré, comme tous le savent, qu’il s’abstenait de prononcer des jugements, quoi d’étonnant si les lecteurs voient dans son silence sur ce point un pardon tacite anticipé des avortements qui résoudraient le problème ?

Le pape François n’ignore pas que ces cas sont ceux dans lesquels la position de l’Eglise a été la plus difficile à expliquer. C’est à cet égard que s’impose un enseignement. Il aurait pu rétracter ses paroles antérieures et dire : « Je comprends la peine des gens qui ont enduré de grandes souffrances, pourtant nous devons tous lentement mais sûrement laisser la joie de la foi revivre comme un appui discret mais solide, même dans la plus grande détresse ». Mais il a préféré rester silencieux sur ce sujet, même après avoir soulevé la question.

On nous a dit cette année que les positions du pape sont beaucoup plus « nuancées » qu’il n’y paraît dans les interviews transmises par les journalistes. Mais il a écrit cette exhortation en son nom propre et, vu la longueur du texte, il avait amplement la place d’être aussi nuancé que le sujet le demandait. Ce qu’il a produit c’est un gros document qui manque à notre grand regret de nuances sur les questions touchant au mariage et à l’avortement.

Dans certains milieux, ce qui a fait surtout grincer des dents ce sont les sections d’Evangelii Gaudium consacrées à l’économie. Et pourtant le pape a pris soin de signaler que « l’option pour les pauvres » est « une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique ». Ce qu’il veut pour les pauvres c’est qu’on engage un authentique dialogue avec eux, car ils ont beaucoup à nous enseigner. D’après lui, ils sont peut-être plus proches « des souffrances du Christ. Il est nécessaire que nous nous laissions évangéliser par eux ».

Et pourtant il balaie ses propres précautions quand il fulmine contre « l’autonomie des marchés » et leur « main invisible », comme si les tenants les plus éminents de l’économie libérale avaient jamais séparé « le marché » des contraintes morales de la loi. La loi est toujours là pour fixer les bornes en matière d’offre et de demande que doivent respecter les gens honnêtes.
Le pape François célèbre la capacité de rénovation des Evangiles. Mais le charme de la nouveauté qu’il envisage c’est la poursuite illusoire d’une « meilleure répartition du revenu », dépouillé de ses sophismes moraux et des dégâts qu’elle permet. Il court le risque de ramener les apôtres de la théologie de la libération et leur évangile de la redistribution. Ce n’est pas le Second Avènement que nous attendions.

Une société honnête s’efforce toujours de protéger au mieux les défavorisés et les infirmes. Ce qui n’est pas la même chose que prétendre savoir ce que doit être le « juste salaire » d’un docteur, d’un sportif ou d’un plombier.
Je souhaiterais demander au Saint Père que, la prochaine fois qu’il réunira ses conseillers pour s’aventurer dans le domaine moral de l’économie politique, il appelle aussi Michael Novak au secours. Ses recommandations seraient à la fois avisées et respectueuses.


Hardley Arkes est le Ney professeur de jurisprudence à Amherst College. Son ouvrage le plus récent s’intitule Constitutional Illusions&Anchoring Truths : The Touchstone of the Natural Law. Le volume II de ses audioconférences tirées de The Modern Scholar, First Principles and Natural Law peut désormais être téléchargé.