Perpétuellement ignoré des sondeurs - France Catholique
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La justice de Dieu
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Perpétuellement ignoré des sondeurs

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L’autre jour, Austin Ruse remarquait que les laïcs sont sondés en prévision du prochain synode extraordinaire. Je dois avoir manqué ma copie.

Je ne suis pas étonné. Je lis chaque jour des sondages sur toutes sortes de choses — le pourcentage d’approbation pour l’Obamacare, le taux de confiance dans le président, et combien s’inquiètent des dysfonctionnements du site web dédié à la santé. De tels sondages sont réalisés à peu près tous les jours, nous révélant très exactement (avec une précision inférieure au dixième de pour-cent) ce que pensent les Américains. Et cependant, quand les sondeurs veulent savoir « ce que pensent les Américains », ils ne m’interrogent jamais. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je suis pourtant un Américain. Mais je suis perpétuellement ignoré des sondeurs.

Non seulement je n’ai jamais été sondé, mais je n’ai même jamais vu un sondeur ! Où ces gens traînent-ils ? A la sortie des prisons ? Dans les centres commerciaux ? Dans les bureaux du New York Times ? Quoi qu’il en soit, je suis toujours ailleurs. Mais c’est très bien.

Les sondages sont ennuyeux, mais acceptables en matière politique parce qu’à la toute fin, je vais voter, et, en ce qui me concerne, le scrutin du vote est le seul sondage qui a de l’importance. Sinon, étant perpétuellement ignoré, je n’ai rien à dire. Hormis qu’en ce qui concerne les sondages, beaucoup dépend non seulement de qui vous interrogez mais de ce que vous demandez. Dans quelle proportion aimez-vous le président ? Dans quelle proportion vous méfiez-vous des Républicains ? Je trouve ces sondages perpétuels agaçants, mais en fin de compte, je continue d’aller voter.

Le sondage est une autre affaire quand il se rapporte à l’enseignement de l’Eglise. Ce n’est pas tellement que je veux avoir mon mot à dire sur ces questions – qui suis-je pour cela ? Ce qui m’inquiète est ceci : ayant toute ma vie enseigné la théologie, j’entends beaucoup de commentaires qui sont – comment le dire avec délicatesse – pas tout-à-fait bien informés, pourions-nous dire, au sujet de l’enseignement de l’Eglise, venant de gens se prétendant catholiques.

Pourquoi l’Eglise déteste-t-elle la sexualité ? Détester la sexualité ? Vous pourriez penser qu’une Eglise qui compte plus d’un milliard de membres ne pourrait être accusée de haïr la sexualité. Ce serait plutôt le contraire. En fait, lorsque j’étais enfant, un petit protestant bon teint, j’ai plus souvent entendu l’accusation inverse : les catholiques ne savent pas se contrôler, c’est pour cela qu’ils ont tant d’enfants. Des gens ne pensant qu’au sexe mais haïssant le sexe : y a-t-il une logique là-dedans ?

Les gens avides de cette sorte de sondage en matière sexuelle devraient réfléchir à ce qui se passerait si on interrogeait les catholiques sur une foule d’autres problèmes.

Quel serait par exemple les résultats si l’on interrogeait des hommes d’affaires prétendument catholiques sur ce principe de l’encyclique Centesimus Annus du pape Jean-Paul II : « la rentabilité n’est pas le seul indicateur de la santé d’une entreprise. Il est possible que les comptes financiers soient en ordre mais que les salariés – qui sont le capital le plus précieux de l’entreprise – soient humiliés et leur dignité bafouée » ?

Cochez la case :

A) d’accord.

B) pas d’accord.

C) ça sonne bien, mais en réalité c’est ridiculement utopiste.

D) je n’ai aucune idée de ce que vous voulez dire.

Et avec cet autre principe de la même encyclique : « par sa nature, la propriété privée a également une fonction sociale basée sur la loi de l’utilité commune des biens ». Pour le dire autrement, le « droit » à la propriété privée a des limites. La propriété privée doit servir le bien commun. Combien de bons catholiques américains conviendront que leurs droits à la propriété privée n’est pas absolu, et n’est qu’un moyen et non une fin ?

A) beaucoup.

B) peu.

C) seulement les jésuites ou autres membres d’ordres religieux dont les besoins journaliers sont satisfaits.

Combien d’employeurs catholiques ont une part essentielle de leur plan de développement respectant le principe de Laborem Exercens, qui, selon Jean-Paul II « a toujours été enseigné par l’Eglise », à savoir « le principe de la priorité du travail sur le capital » qui insiste sur ce que « le travail est toujours une cause efficiente première, tandis que le capital, l’ensemble des moyens de production, demeure seulement un instrument ou la cause instrumentale. »

A) beaucoup.

B) quelques uns.

C) que sommes-nous, une poignée de communistes ?

Et si l’on sonde la jeunesse américaine, combien de jeunes se déclareront « entièrement d’accord » avec cette déclaration de Centesimus Annus : « il n’est pas mauvais de vouloir vivre mieux, ce qui est mauvais c’est un style de vie supposé « meilleur » quand il oriente vers « l’avoir » plutôt que vers l »‘être », et qui désire avoir plus, non pas pour être plus mais dans l’idée de passer sa vie dans le plaisir comme une fin en soi ». Etant donnée la condamnation répétée du consumérisme par l’Eglise, on peut imaginer ce que les adolescents et un peu plus vieux vont cocher :

A) je respecte toujours l’enseignement de l’Eglise.

B) je respecte parfois l’enseignement de l’Eglise.

C) j’achète et je jette et ce que dit l’Eglise n’a aucun impact sur cet aspect de ma vie. De fait, comment osent-ils se permettre de me dire quoi faire !

Finalement, que seraient forcés de répondre la majorité des catholiques américains si on leur demandait si leurs investissements se fondaient sur ce principe fondamental de Centesimus Annus : « la décision d’investir ici plutôt que là, dans tel secteur de production plutôt que dans tel autre, est toujours un choix moral et culturel » ?

A) je pense à ce principe chaque fois que j’investis.

B) je cherche à maximiser les profits pour chaque investissement parce que ce n’est pas l’affaire de l’Eglise de me parler affaires.

Supposons un instant que les réponses obtenues à partir d’une telle enquête soient légèrement, disons, décevantes. Que fait-on ? Cochez une proposition :

A) l’Eglise devrait changer son enseignement dans ces domaines et suivre l’esprit et la sagesse des laïcs.

B) l’Eglise devrait prendre conscience qu’elle n’a pas fait suffisamment bien son travail d’évangélisation et que nos pasteurs devraient prendre plus au sérieux la mission donnée par Jésus « de paître ses brebis ».

C) l’Eglise devrait prendre conscience qu’un sondage, si bien intentionné qu’il soit, est généralement réalisé par des gens qui n’ont aucune idée de ce qu’ils sont en train de faire.


Randall B. Smith est professeur à l’université de Saint Thomas, où il a été récemment nommé à la chaire Scanlan de théologie.


Illustration : Les glaneuses par Jean-François Millet (1857)

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/perpetually-passed-over-by-polling.html