Terre brûlée - France Catholique
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Pâques. La foi des convertis
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Terre brûlée

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Aidez-moi à y voir clair car je suis de plus en plus désorienté. Il s’agit de la doctrine sociale de l’Eglise, que je pensais vaguement comprendre, à une époque. Mais cela devient un épais brouillard. Ou même un smog, car ce brouillard semble de plus en plus toxique.

J’ai déjà parlé du pape par le passé, et peut-être trop souvent, directement et indirectement. Effectivement, il a fait de nombreuses remarques « au pied levé » qui étaient « sujettes à controverse ». Chaque fois, la controverse est accrue par des reportages ignorants des média. Croyez-moi, les journalistes peuvent être malveillants, mais la plupart du temps, ils sont ignorants, d’une ignorance abyssale et navrante.

Pour ceux qui n’ont ni formation religieuse ni croyance religieuse bien arrêtée, rien de ce que dit un pape ou un autre chrétien fervent ne peut avoir beaucoup de sens, excepté dans le contexte du pouvoir politique. Quand le pape rappelle ceci : « l’enseignement de l’Eglise… est clair, et je suis un fils de l’Eglise », cela ne signifie rien pour eux, ni pour aucun de ceux qui n’ont aucune idée de ce que l’enseignement de l’Eglise peut bien être.

La confusion était nettement démontrée dans le cas auquel je fais allusion. Le pape disait que l’enseignement de l’Eglise est vaste, qu’il ne se résume pas « à l’avortement et aux homosexuels », et que les obsessions sont dangereuses. Les médias ont rapporté cela à travers leur propre obsession de l’avortement et des homosexuels. C’est leur Gestalt. Nous disons « Eglise » et ils pensent : avortement, homosexuels, prêtres pédophiles, Galilée, croisades, inquisition espagnole.

C’était en septembre, si je me souviens bien, et le sang a coulé sous les ponts durant quatre mois de plus. Depuis, Time Magazine a dû réviser son explication du choix du pape sur leur couverture comme « personne de l’année ». Ils avaient dit qu’il « avait rejeté le dogme catholique ». Et à Rome, le visage impassible, le service de presse du Vatican s’est trouvé à corriger un journal italien qui avait titré que l’Eglise avait « abandonné le péché ».

En attendant, nous avons eu une crise « château de cartes », et même plus. Et bien sûr, il n’y a pas que le pape, des évêques dans et hors la Curie, s’expriment assez librement sur les sujets qui passionnent les médias. Et étant donnée la promotion de certains hommes à certains postes, ce n’est pas près de finir.

Comme je l’ai découvert à la dure, en essayant de temps en temps de changer de sujet en journalisme, le monde est actuellement bien plus intéressé par la politique que par la religion, la poésie ou la philosophie. Que ce soient les médias modernes qui l’ont ainsi façonné, cela va sans dire. Mais voilà quelque chose que, je pense, les « critiques des médias » ne vont sans doute apprécier que modérément : c’est que leur critique n’est possible que de l’intérieur.

Voilà ce qui m’est déjà arrivé depuis que je tweete, soit environ deux mois. C’est manifeste partout, mais pour s’en tenir à mon exemple personnel, j’ai remarqué que si je voulais avoir des « followers », il me suffisait de prendre une position tranchée en politique. L’ambiguïté, que ce soit en drôlerie ou en profondeur, n’est pas récompensée, seul le sarcasme est vendeur. C’est un médium aphoristique, mais la participation des foules détermine quelle sorte d’aphorismes aura du succès.

Et là-dedans, les gestionnaires de tweet du pape injectent un volume conséquent d’observations « édifiantes », consciencieusement retweetées par des dévots bien intentionnés, mais tombant comme des flocons de neige dans le chaudron de ce monde.

Ce que le monde veut, c’est quelques échos sonores d’un féroce combat de mots. Son temps d’attention va s’amenuisant alors que que la densité du smog va augmentant. Ceux qui sont complètement ignorants du contexte historique et philosophique de ce que nous appelons « la doctrine sociale de l’Eglise » en attrapent une bribe ou l’autre venant de sources elles-mêmes mal renseignées. Et on a le résultat que l’on connaît en fait de débat public.

On publie toujours des livres, c’est certain, mais ils sont moins lus que jetés à la tête de l’adversaire, comme des pavés. Un exemple a attiré mon attention cette semaine. Ce sont les mémoires de Robert Gates, l’ancien Secrétaire Américain à la Défense. D’après l’extrait que j’ai lu dans le Wall Street Journal, ça semble intéressant.

Il m’est apparu que M. Gates attirait principalement l’attention sur la culture politique dysfonctionnelle dans laquelle il a passé sans grand profit quatre ans et demi. Il a quelques révélations classiques à communiquer, concernant les clowns qui prennent actuellement les décisions, mais elles semblent plutôt gentillettes. Il est bien plus contrarié par l’environnement où évoluent ces pitres.

Au début, il mentionne un fantasme personnel qu’il partage probablement avec d’autres hauts fonctionnaires. Il aurait voulu pouvoir dire, après avoir entendu l’un ou l’autre des membres du Congrès : « je suis peut-être le Secrétaire à la Défense, mais je suis aussi un citoyen américain, et aucun fils de p… au monde ne peut me parler de cette façon. Je pars. Trouvez quelqu’un d’autre. »

Au phénomène qu’il a observé, il a attribué l’expression « terre brûlée ». Me tournant vers Drudge (NDT : un blog conservateur américain), j’ai vu que le livre lui-même était déjà utilisé comme munitions dans les récentes campagnes de terre brûlée.

Aux Etats-Unis, mais aussi dans tous les autres pays occidentaux pour lesquels je possède des informations, « terre brûlée » est une assez bonne description du conflit entre la Droite et la Gauche. Cela explique probablement l’augmentation du nombre des « non-inscrits », révélée par les sondages sur l’affiliation politique, et la confusion croissante au sujet des problèmes discutés et de leurs enjeux.

L’Eglise n’est ni de Droite ni de Gauche, mais il y a une guerre en cours, et ce sont les camps en présence. Tous deux sont préoccupés, et de plus en plus exclusivement, par le pouvoir matériel. C’est un milieu dans lequel je pense souvent, à tort, qu’il n’y a pas de sang versé. La simple abréviation d’une phrase telle que « Bienheureux les pauvres en esprit… » par l’expression plus tweetérisable « bienheureux les pauvres » se transforme en lance-flamme.

Mais dans un environnement de terre brûlée, où seul compte le pouvoir, que pourrait bien tweeter un pape ?

Plus je pense à cela, plus je suis fermement convaincu, qu’il a à tweeter et retweeter, qu’on l’écoute ou non, ces quelques mots : « mon Royaume n’est pas de ce monde ».

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/scorched-earth.html

David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un journaliste d’Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.

Illustration : Jésus devant Pilate, première rencontre, par James J. Tissot, vers 1890.