La quête du « Jésus historique » – l’homme censé exister sous les oripeaux de la foi – fait rage de nos jours, trois siècles après que ces entreprises sans nombre aient vu le jour sous forme de livre. Depuis lors, des opus sont apparus et ont disparu, tous prétendant avoir trouvé « le vrai Jésus », l’interprétation des événements de Palestine d’il y a un millénaire étant proclamée prétendument objective et non religieuse par chaque auteur. Ce Jésus n’a toujours pas été trouvé. A la place, nous trouvons dans ces livres, ainsi que l’a expliqué le pape Benoît XVI, « des photos de leurs auteurs et de leurs idéaux ».
Killing Jesus (Tuer Jésus), écrit par les présentateurs jounalistiques de chaînes cablées Bill O’Reilly et Martin Dugard, est le dernier de cette catégorie de livres à entrer dans les meilleures ventes. Les auteurs expliquent que « ce n’est pas un livre religieux ». C’est plutôt « un compte-rendu fidèle de la façon dont Jésus est mort, mais aussi de la façon dont il vivait et comment son message a affecté le monde ». Mais en poussant à la marge le « Christ de la foi », avec les interprétations religieuses des actes et paroles de Jésus, nous sommes confrontés à l’évangile selon O’Reilly – un conflit politique dramatique entre les responsables religieux et les autorités civiles du premier siècle, qui a des conséquences pour le monde entier.
La plus grande force de Killing Jesus tient dans ses descriptions vivantes de l’environnement physique et social des histoires relatées dans les évangiles canoniques. Les paysages de Nazareth, Capharnaum, Jérusalem et son temple sont décrits de façon très colorée, de même que les complexes relations sociales et politiques entre les personnalités et les groupes d’influence. Les rituels et les éléments pratiques des modes de vie domestique sous-jacents dans les récits bibliques sont également expliqués en détail, incluant les préparatifs de la Pâque à Jérusalem, où Jésus » a vu les centaines de fours d’argile temporaires qui avaient été construits pour permettre à chaque pélerin d’avoir une place pour rôtir son agneau pascal… Il entendait les bêlements des moutons comme les bergers et leurs troupeaux déambulaient dans les rues proches, redescendant des collines après la saison de l’agnelage.>>
O’Reilly et Dugard nous fournissent ainsi un décor pour chaque événement majeur de la vie de Jésus : son baptême dans le Jourdain, le renversement des tables des changeurs dans le Temple, et, par-dessus tout, les menus détails de sa Passion, depuis le type de fouet utilisé pour sa flagellation, jusqu’au « fluide pleural et péricardique… mêlé d’un flot de sang » qui s’est écoulé du flanc de Jésus transpercé sur la croix.
Mais si le livre excelle en descriptions physiques et politiques, il pèche dans l’explication historique. A plusieurs reprises, O’Reilly et Dugard présentent des hypothèses comme des faits et psychanalysent des gens dont les motivations restent inconnues. L’interprétation de l’histoire antique, même après avoir consulté les sources premières, nécessite un discernement sans faille et une reconstitution soigneuse. Et dans Killing Jesus, la circonspection historique est souvent sacrifiée en faveur d’un récit à sensation.
Les à-peu-près historiques apparaissent sous deux formes. D’abord une simplification outrancière ou même une déformation de faits compliqués, généralement relégués en notes de bas de page, incluant la datation et l’appellation de Noël et le déroulement de la dernière célébration de la Pâque par Jésus. D’autres parts, des comportements et des motifs inconnus sont présentés sans réserve comme des faits avérés dans le récit. Lors de la Cène, par exemple, les auteurs déclarent que « Jésus a du mal à se concentrer dans son dernier message à ses disciples ». Vraiment ?
Qui qu’il en soit, le plus grand débordement prend place dans le récit trop long de la vie de Jules César, qui outrepasse celui pourtant bien fourni de Plutarque, où les coup de poignard de Brutus sont interprétés comme « une émasculation » du dictateur qui a refusé de reconnaître Brutus comme son descendant.
Fort heureusement, le récit des actes et des voyages de Jésus est plus digne de confiance. Le récit de O’Reilly et Dugard suit au plus près la chronologie de Saint Jean d’un ministère couvrant 3 ans, entrecoupé de certains événements relatés par les Synoptiques. Les dialogues entre Jésus et ses contemporains sont repris de la Bible fort peu embellis. Avec les échanges passionnés entre Jésus, les Pharisiens et les autorités du Temple, ils forment le coeur du récit, qui conduit finalement à la mort de Jésus.
Mais les refus de la foi des auteurs les amène à conclure que l’argent – et non ses affirmations sur Dieu ou le Judaïsme – est la véritable raison pour laquelle le Sanhédrin voulait la mort de Jésus. En interrompant les échanges monétaires par le renversement des tables des changeurs dans le Temple « Jésus a commis un grave délit » et Anne, beau-père du grand-prêtre Caïphe, désire éliminer Jésus « comme une mise en garde envers ceux qui seraient tentés de défier l’autorité
des tribunaux du Temple. »
Dans l’évangile selon O’Reilly, le procès pour blasphème de Jésus – une inculpation religieuse s’il en fut – est finalement une façade pour protéger le statut des familles de grands-prêtres et l’approvisionnement en argent du Temple contre un rabbi théo-centré qui avait passé trois années à prêcher le Royaume de Dieu en insinuant qu’il était le Fils de Dieu.
Le Jésus historique reste inconnu dans Killing Jésus, et pour une bonne raison. En extirpant la foi de l’histoire, les auteurs ont aussi supprimé beaucoup de témoignages facilitant une compréhension approfondie de Jésus. O’Reilly note que « les Pharisiens croyaient aux miracles mais pas à Jésus ». Peut-être qu’un jour l’histoire croira en la foi et pas seulement en elle-même.
David G. Bonagura, Jr enseigne la théologie au séminaire Saint-Joseph de New York.