Longtemps, Dieudonné fut un comique très apprécié qui se produisait dans des sketches avec élie Semoun au théâtre. Puis l’acteur se fit connaître, au début des années 2000, par des prises de position politiques radicales : il se déclare alors « antisioniste », fait l’éloge du négationniste Robert Faurisson et diffuse des idées qui le conduiront devant les tribunaux où il est condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme.
Après plusieurs voyages à Téhéran, où il est reçu par le président Ahmadinejad, il conduit une « Liste antisioniste » en Île-de-France aux élections européennes de juin 2009 qui recueille 1,3 % des suffrages. Ses propos contre les « sionistes », les juifs — mais aussi contre Jean-Paul II — déchaînent des protestations qui accroissent d’année en année la notoriété de Dieudonné. Sa gloire sulfureuse compense ses faibles résultats électoraux et l’incite à poursuivre ses provocations efficacement relayées par Internet.
L’affaire de « la quenelle » apparaît dans ce contexte. Vers 2005, Dieudonné prend l’habitude de tendre un bras vers le bas en posant la main opposée sur son épaule : l’acteur explique lui-même, en des termes très grossiers, qu’il s’agit de faire un bras d’honneur aux « sionistes ». Comme le mot « sioniste » est employé comme synonyme de « juif » dans la langue de l’extrême droite antisémite, les associations antiracistes accusent Dieudonné de faire un salut nazi inversé. Ce qui n’a pas empêché le geste de se répandre au point qu’il est devenu une manière immédiatement visible de dire son refus du « système ».
En décembre dernier, la « quenelle » faite par Nicolas Anelka a provoqué une vive émotion : le geste du footballeur a été condamné par Valérie Fourneyron, ministre des Sports, et par Chantal Jouanno qui occupait la même fonction dans le gouvernement Fillon.
Après des propos tenus par Dieudonné contre le journaliste de radio Patrick Cohen, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’il était écœuré par les propos « antisémites et racistes » de Dieudonné et qu’il voulait « tout faire » pour que les représentations de l’acteur soient interdites.
Les propos de Dieudonné sont évidemment inadmissibles et juridiquement condamnables, mais Manuel Valls, qui représente le « système » honni, est dans un piège car les partisans de l’acteur ont beau jeu de crier à la censure. Dieudonné peut se moquer longtemps de cette menace car l’interdiction d’un spectacle doit être motivée, en un lieu précis, par un risque de trouble manifeste de l’ordre public. Or les représentations se déroulent dans le calme et, si elles venaient à être perturbées, la police aurait à interpeller les opposants à Dieudonné ! Il faut donc attendre que la justice soit saisie d’un délit et l’issue du procès sera d’autant plus lente que Dieudonné fait systématiquement appel.
Il n’est pas sûr, cependant, que Manuel Valls et le gouvernement soient tout à fait perdants. Dieudonné leur offre à peu de frais une nouvelle occasion de se présenter en adversaires résolus du racisme, de l’antisémitisme et de l’extrême droite en général. Or c’est bien la stratégie de rassemblement antifasciste que la gauche veut mettre en œuvre avant les élections européennes et surtout après celles-ci — en tablant sur l’effet repoussoir des succès électoraux annoncés du Front national — dans la perspective de l’élection présidentielle.
On peut être sincèrement indigné et ne pas vouloir perdre une occasion de marquer un avantage qui devient plus que tactique…
http://www.lunion.presse.fr/france-monde/l-actualite-du-9-janvier-vue-par-chaunu-ia145b0n279654
http://www.lunion.presse.fr/france-monde/l-actualite-du-mercredi-8-janvier-2014-vue-par-chaunu-ia145b0n278912
http://www.franceinfo.fr/justice/dessin-du-jour/faut-il-parler-de-dieudonne-1271567-2014-01-06?fb_action_ids=673168309401783&fb_action_types=og.likes&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582