Jean-Marc Ayrault est un Premier ministre déconcertant, au sens où il trouble fréquemment l’harmonie la plus élémentaire de son propre gouvernement, sans compter le pays dont il est censé être coresponsable avec le président « normal ». A peine dissipées les ondes de choc du lancement inopiné de son pavé dans la mare opaque de l’administration fiscale, jeté sans prévenir son malheureux ministre des Finances Moscovici, voici que l’hôte de Matignon propulse une autre arme de démoralisation massive sur Internet : un rapport sur l’Intégration qui préconise… le retour du voile à l’école ! Avec, en prime de Noël, « la reconnaissance de toutes les langues de manière identique », passant au mixer le français, l’arabe et les langues africaines dans l’enseignement public. Une bombe à mèche courte, à quelques encablures des élections municipales qui s’annonçaient déjà difficiles pour le Parti socialiste.
Cette fois, déjà perturbé par le caprice réformateur de son Ayrault de Premier ministre en matière fiscale, François Hollande, parti en Guyane, à Cayenne, se sent soudain hanté par des visions de bagne et de galère, et… sort de ses gonds : « Ce n’est pas du tout la position du gouvernement ». Et plusieurs ministres crient haro sur Ayrault. Le ministre de la Police Manuel Valls dégaine à nouveau son adjectif favori, en le tirant au pluriel : dans le rapport issu de Matignon, des choses sont « inacceptables ». En homme d’expérience, le sage Laurent Fabius, préposé aux Affaires étrangères après avoir été « le Premier ministre de la France » sous François Ier Mitterrand, se pose en donneur de leçons : selon lui, le gouvernement doit agir « dans l’ordre » et ne pas se laisser aller à la « claudication ».
Hier député-maire de Nantes, aujourd’hui au gouvernail de l’Etat-PS, le citoyen Ayrault est-il gagné, dans une créativité politique désordonnée, par des élans dignes du « Bateau ivre » de Rimbaud ? Espérons qu’il n’aura pas bientôt à réciter quelques-uns de ces vers célèbres : « J’étais insoucieux de tous les équipages » (…) « Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots / Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes » (…) « J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries / Hystériques, la houle à l’assaut des récifs »…
Et par pitié, souhaitons que la France sous ce régime n’ait pas à répéter ce lugubre quatrain : « Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, / jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, / Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses / N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau »… !
Et au moins qu’au printemps, pour s’exprimer toujours d’après l’auteur d’ « Une saison en enfer », la France ne se sente pas comme « un bateau frêle comme un papillon de mai ».
Et puis un dernier vœu, plus local, quand M. Ayrault sera appelé à faire valoir ses droits à la retraite, de grâce pour les oreilles de ses concitoyens nantais, qu’on évite de le nommer… chef de la fanfare municipale de Nantes. Il a déjà produit, ou coproduit, suffisamment de couacs à Paris.
Denis LENSEL
Pour aller plus loin :
- L’affaire Leonarda : du Bateau ivre au Radeau de la méduse
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- Folies antédiluviennes
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