Un pied dans l'Ancien Testament, un pied dans le Nouveau - France Catholique
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La justice de Dieu
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Un pied dans l’Ancien Testament, un pied dans le Nouveau

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Ce deuxième dimanche de l’Avent célébré hier l’a emporté sur la fête de l’« Immaculée Conception de la Vierge Marie », fête repoussée à ce lundi 9 : je note ce fait d’abord parce que je suis ému de voir que les obsèques de ‘’Ma’’, l’épouse de mon ami Yao-Barthélemy, se sont déroulées ce matin sous ce parrainage marial ; également parce qu’ainsi nous pouvons méditer sur ce prophète étonnant et capital que fut saint Jean, le Baptiste, dit également le Précurseur.

À la fin du 2e siècle de notre ère, vers l’an – 6, un enfançon qui, sans miracle, n’aurait jamais dû naître, fut choisi pour servir un jour d’éclaireur à l’Envoyé de Dieu : son père, de service au Temple de Jérusalem, avait perdu sa voix lorsque l’Ange du Seigneur lui annonça l’arrivée chez lui d’un petit enfant : il douta de sa parole ! Un miracle de ce genre, pensez-donc, il n’y en avait eu que deux ou trois dans toute l’histoire du peuple élu, dont le premier fut la naissance d’Isaac chez Abraham ! Est-ce que Zacharie pensait qu’Abraham aurait pu fantasmer l’intervention divine auprès de Sarah ? Pourtant, chez Élizabeth il fallu bien admettre que Dieu n’avait qu’une parole, et ce lui fut une grande consolation, une vraie merveille puisque pour elle, vieille femme stérile, de celles que méprisaient les Juifs du temps comme forcément pécheresse car incapable d’enfanter, la conception de ce garçon, invraisemblable, lui valut un immense prestige dans toute la Judée… Zacharie donc salua cette arrivée mirifique devant une foule d’amis en composant un psaume si beau que l’Église depuis des siècles le chante à chaque levé du jour : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple » !

Précurseur ! Celui qui court en avant et au-devant, hurlant à travers le désert de Judée l’annonce sibylline d’une arrivée depuis très longtemps attendue ! La route est-elle praticable pour le roi qui déjà s’annonce ? Il faut l’aplanir ! Est-elle sûre ? Les pharisiens et les saducéens ne sont-ils pas en embuscade ? Les démons ? Il faut veiller à tout !

Que d’obstacles voit le Baptiste ! La conversion des cœurs s’impose, qu’il prêche à voix forte et persuasive, témoignage d’un immense amour qui date de son enfance obscure, quand encore il se la coulait douce au profond du ventre de sa mère. Alors, quand s’approcha de lui le Sauveur du monde, encore embryon insoupçonnable, si petit que Marie elle-même ne pouvait que se fier à la parole du Père pour être certaine de sa présence, il avait dansé de joie, pris d’une ivresse soudaine, et cogné de ses tout petits pieds contre la paroi de chair, comme pour avertir sa mère d’une grâce sans pareille, comme pour manifester sur le champ ce que plus tard il ne cessera de proclamer : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche », ce Royaume semblable à un feu très doux et qui ne s’éteindra jamais : à cette heure-là douceur tout entière blottie en cet embryon invisible, impalpable, ‘’descendu’’ de la ‘’demeure’’ du Père.

Des foules, plus tard, suivirent Jean afin qu’au bord des eaux sacrées du Jourdain il leur donne ce baptême de repentir, de pénitence et de conversion dont ils ressentaient l’urgence : et pour l’entendre dire, sans rien comprendre, « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi… Je ne suis pas digne de délier ses sandales ! »

Délier les sandales des invités afin de baigner leurs pieds salis par les poussières et les ordures des chemins, c’était le travail des esclaves… Ainsi Jean, cousin de Jésus, se met en arrière même des derniers des humains, en même temps qu’il s’installe sans la moindre hésitation à ce poste de douane qui fait passer pour toujours du Premier Testament au Second !

Un pied dans l’Ancien Temps, un pied dans le Nouveau et de là dans l’Éternité
Tout cela indubitable : en même temps il faut relire tous les passages des évangiles qui parlent de ce sauvage habillé de peau de bête et qui se contentent de miel, de lait et de sauterelles grillées. Textes qui, particulièrement celui de saint Jean (III,27-29), révèlent de quelle vocation – ou appel ! – relève le Baptiste : « Un homme oserait-il s’attribuer davantage que ce que lui confie le Ciel ? Vous tous m’êtes témoin que j’ai professé : ‘’Je ne suis pas le Christ, je ne suis qu’envoyé au-devant de Lui’’ ! Qui tient l’épouse est l’époux mais l’ami reste debout auprès de lui et il entend sa voix et cette voix le comble de joie. Telle est ma joie et cette joie est parfaite ». Ah ! Comme nous aimerions, nous autres pauvres pécheurs endurcis, trouver une consolation sans fin à pouvoir prononcer de tels mots !

Saint Luc exprime bien l’étrange position de Jean Baptiste, qui se trouve en même temps devant et derrière la frontière séparant le temps (XVI, 16) : « La Loi et les Prophètes s’arrêtent à Jean : c’est alors que la Nouvelle Bienheureuse du Royaume de Dieu est annoncée, si bien que tous cherchent à y entrer de force. »

Il faut revenir à saint Jean pour mieux comprendre de quelle nature est la joie du Baptiste : « Il est nécessaire que Lui grandisse et que moi je décroisse, car Celui qui descend d’en haut est au-dessus de tous » et donc au-dessus de son précurseur. Le serviteur découvre son bonheur dans le service : et quand celui-ci s’achève sa joie est à son comble. Le discours de Jean, fils de Zacharie, est à lui seul un résumé magnifique de cette « Nouvelle bienheureuse »1 J’en cite la fin :

« Celui qui descend du Ciel témoigne de ce qu’Il a vu et entendu, mais son témoignage qui le reçoit ?

Mais qui cependant reçoit ce témoignage peut certifier que Dieu est véridique.
Celui que Dieu envoie, Il prononce les paroles même de Dieu, qui Lui donne sans mesure l’Esprit Saint.

Le Père aime le Fils : Il remet tout en sa main.

Qui croit en le Fils reçoit la Vie éternelle ; qui refuse de croire en le Fils s’en prive pour toujours : alors, la colère du Père s’appesantira sur lui. »
En passant, je me rends compte que c’est là une toute première allusion à l’Enfer, lieu d’habitation des plus redoutables dédié à ceux qui refusent de vivre là où Dieu est.

Qu’est-ce donc qui pousse le Baptiste à toujours davantage accentuer, jusqu’à paraître d’une rudesse inflexible, cet enseignement qui vise à convertir les foules : exigence première et à jamais affirmée. Rien de plus que l’amour, celui qui monte vers le Père, naturellement, mais aussi qui s’offre à chacun de ceux qui viennent jusqu’à lui pour l’entendre et l’écouter : cet amour est feu vivifiant, qui provient en droite ligne du Buisson ardent. Quand il admoneste Hérode, lui rappelle ses devoirs, ce n’est pas pour autre chose que l’arracher à sa perdition : le comble de l’amour selon Jésus.

Et voici que son supplice effectue ce qui est désiré : disparaître devant Jésus, lui laisser toute la place, lui qui avait connu, avant l’entrée en scène du Christ, des triomphes qui jamais ne l’aveuglèrent.

  1. Est-il légitime de préférer cet adjectif à ‘’bonne’’ ? « Bonne nouvelle » me paraît un peu fade, ce qu’elle n’est évidemment pas… !