Rudy Giuliani, alors Maire de New York, assista un jour à une réunion dans mon lycée. Un de mes camarades se leva pour poser une question. Ayant cité l’école élémentaire qu’il avait fréquentée, il expliqua qu’on ne lui avait jamais enseigné les bases de la grammaire anglaise et qu’en conséquence, il ne se sentait nullement préparé à suivre le programme d’anglais au lycée. « Qu’envisagez-vous pour y remédier, demanda mon camarade au Maire ? »
Visiblement embarrassé, M. Giuliani s’excusa, déclarant n’être pas informé de ce problème. Il exprima sa réprobation pour la défaillance de l’école, et promit de lancer très prochainement une enquête.
Bien des années plus tard j’ai découvert que les lacunes de mon camarade de classe n’étaient dues ni au laiser-faire ni à l’incompétence de l’école élémentaire d’où il venait. Au contraire — et avec lui des milliers d’écoliers américains — il était victime d’une initiative malencontreuse dans l’enseignement de la langue anglaise, nommée « Langage Global ». Largement répandu dans les années 1980 – 1990, le « Langage Global » rejetait la phonétique et la grammaire traditionnelle selon l’hypothèse que la grammaire s’assimile toute seule et n’a donc nul besoin d’un enseignement formel.
Après des années d’ignorance systématique des bases de la langue anglaise et les résultats désastreux aux examens, le programme soutenu par tant de slogans louangeurs fut abandonné en douceur.
Tandis que mon camarade souffrait, cobaye du dernier cri des méthodes pédagogiques, je recevais les leçons de phonétique et de grammaire anglaise dans mon école paroissiale. En classe [équivalente à la cinquième en France] nous apprenions à structurer les phrases. Muni de ces bases solides la transition avec la lecture et l’écriture intensives des cours d’anglais au lycée se fit en douceur.
En d’autres termes, j’étais bien préparé parce que mon école élémentaire catholique m’avait enseigné les bases selon des méthodes éprouvées. Elle ne m’infligea pas les raccourcis à la mode et les théories fumeuses qui promouvaient l’ignorance au détriment de la connaissance.
Mais après des siècles de réussite d’une pédagogie catholique éprouvée, l’enseignement catholique a soudain et inexplicablement cédé à la dernière mode envahissante et éphémère. Cette année, plus de cent diocèses se sont précipités pour adhérer à l’initiative dite du « Tronc Commun pour les États » dont le but est d’orienter l’enseignement pour tous les enfants du pays. Malgré la promesse que les normes « ne dicteraient pas aux enseignants comment ils devraient enseigner,» les maîtres dans les écoles du « Tronc Commun » sont forcés d’enseigner selon une toute nouvelle méthode conforme à la « norme » — et non selon la pédagogie catholique.
J’ai constaté personnellement cette transformation de la pédagogie cette année à l’école paroissiale de mes enfants. Leurs maîtres nous ont dit en septembre que le « Tronc Commun » consistait à approfondir les concepts et théories sous-jacents aux matières enseignées. Trois mois plus tard, il semble que l’approfondissement consiste à rédiger des exercices mathématiques en d’autres termes, sous forme de « pensée critique ».
Mes garçons continuent à compter selon les vieilles méthodes, mais ils ont dû ajouter à leurs leçons comment expliquer verbalement leurs calculs — corvée fastidieuse inspirée par la notation nationale en mathématiques du « Tronc Commun » toujours attendue.
Leur école n’est pas seule victime des dégats. Dans une école paroissiale voisine le fils d’une collègue se débat, en classe de huitième, avec la multiplication à deux chiffres selon la version du « Tronc Commun ». Le maître enseigne le calcul selon une méthode verbeuse, et son fils est obligé de faire ses calculs avec de longs discours.
Le calcul n’est pas l’unique matière agressée. Dès les petites classes jusqu’au lycée les nouveaux livres ont été imprimés dans la langue et selon les règles sociales édictées par les nouvelles normes. Comment réagiront les écoles catholiques avec des livres conformes aux règles du « Tronc Commun » qui font l’éloge de Gloria Steinem [célèbre égérie du mouvement féministe des années 1960 – 1970] et Harvey Milk [le premier homme politique américain à faire étalage de son homosexualité] présentés comme héros du mouvement des droits civiques?
L’adoption de la pédagogie du « Tronc Commun » est la reddition des écoles catholiques renonçant à la fois à leurs méthodes pédagogiques et à leur identité.L’enseignement des écoles catholiques commence par l’idée d’un Dieu d’amour, plein de sagesse dans Sa création, y-compris les hommes, Ses créatures. Par l’étude de la création et de tout ce qu’elle comporte, et donc les êtres humains et leurs réalisations, nous découvrons les vérités qui éclairent le mystère de Dieu, Vérité insondable.
Pour cela l’Église a adopté l’approche pédagogique des Grecs et Romains anciens connue sous le nom d’arts libéraux, suivant un cheminement en trois étapes — grammaire, logique, et rhétorique — selon l’âge et les capacités des élèves. L’étape « grammaire », jusque vers la sixième donne les fondations nécessaires à ce que les éducateurs actuels appellent « faculté de pensée de niveau supérieur » pour la logique (pensée, conception et analyse) et rhétorique (pensée abstraite et synthèse). Ce modèle en trois branches ne saurait être lié à une période car il correspond précisément au développement de la personnalité.
Le « Tronc Commun » contraint les enseignants catholiques à sauter l’étape de la grammaire pour toucher directement logique et rhétorique, dès les petites classes. Avec le « Tronc Commun » les enfants n’absorberont ni ne retiendront les éléments de base de l’apprentissage — c’est pourquoi très prochainement le « Tronc Commun » échouera, connaissant le sort déjà subi par le « Langage Global » et autres fariboles pédagogiques proposées au cours des dernières décennies.
Sous le « Tronc Commun », l’enseignement catholique cessera d’exister. Les parents seront devant le choix entre école publique et écoles avec uniformes et cours de religion, plus frais de scolarité.
Si c’est le choix qui est proposé aux parents, alors nos écoles paroissiales qui se débattent déjà et les lycées privés mettront bientôt la clé sous la porte.
Les écoles catholiques doivent proclamer leur pédagogie et leur identité par le rejet immédiat du « Tronc Commun ». Notre réussite incontestable en matière d’enseignement — et la formation de nos jeunes catholiques — méritent bien plus que le flop éducatif de la dernière mode.
NDT : les notations « Pisa » récemment publiées classent la France tout près de la médiocrité de nos amis américains. Ce n’est pas une consolation. Collège unique — ou son équivalent — et méthodes pédagogiques farfelues se trouvent bien, avec les désastres que l’on connaît, des deux côtés de l’Atlantique.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/common-core-is-not-catholic-education.html
Pour les anglophones, une démonstration de la multiplication 14 x 56 selon la méthode recommandée par le Tronc Commun.