Le premier jour de ce mois de novembre, la Cour d’Appel du District of Columbia, Cour d’Appel fédérale la plus importante avant la Cour Suprême, a bloqué la mise en application des contraintes de « Obamacare » concernant la contraception et l’avortement. Cette petite nouvelle mérite qu’on en fasse part, car l’opinion de la Cour rejoint essentiellement les lignes directrices que je soutenais ici, plaidant pour une révision des arguments limités à la liberté de religion. Mais là où l’argument a suivi sa logique l’argument religieux perd de son acuité.
J’ai tenté de rappeler aux lecteurs de ce site que la position catholique est mal exprimée quand on fait simplement appel à la tolérance envers les croyances religieuses. La position catholique sur, par exemple, l’avortement, a été établie sur les preuves apportées par l’embryologie et le raisonnement moral appuyé sur la loi naturelle. Comme Mgr Lori [Archevêque de Baltimore, Maryland] insistait auprès des évêques, la couverture obligatoire de l’assurance-maladie sur l’avortement n’est pas critiquable uniquement pour les catholiques, elle est un élément d’une « loi injuste » contraignante pour et tous sans raison.
Mais quand l’argumentaire s’appuie simplement sur les termes de « croyance », on ouvre la porte à une discussion pour exempter les catholiques de lois imposées aux autres. Or, non seulement cet argument abandonne subtilement l’enseignement de l’Église, mais il abandonne tout un arsenal d’arguments susceptibles d’être employés pour la défense d’autres libertés protégées par la Constitution.
L’affaire « Gilardi contre Ministère de la Santé » concernait deux frères, Francis et Philip Gilardi, propriétaires de « Freshway Foods » et « Freshway Logistics ». Les frères Gilardi proposent une couverture médicale pour leurs 400 employés. Et ils seraient forcés, selon « Obamacare », de devenir complices d’une politique qu’on leur avait apprise comme foncièrement maléfique.
La décision de la Cour fut prise par un ensemble de trois juges, l’argument principal étant émis par la terrible Janice Rogers Brown. Mme Brown nota en conclusion ce qui n’était pas en cause: l’affaire ne concernait « ni la sincérité des convictions religieuses des Gilardi ni la théologie sur laquelle les catholiques s’appuient au sujet de la contraception. »
Dans mes articles précédents j’ai soutenu que la loi devrait avoir la charge, dans ces affaires, des justifications aussi convaincantes que les justifications qu’elle devrait apporter en toutes autres affaires mettant en jeu la liberté des citoyens au nom de la notion de « bien commun ».
Au sujet de l’avortement, le gouvernement devrait être obligé de prouver en quoi les Gilardi ont tort de penser que l’avortement détruit des vies innocentes. Mais les Gilardi seraient contraints d’intervenir directement pour faciliter des avortements, ce qui mettrait en avant tout un autre ensemble d’arguments constitutionnels. Le gouvernement devrait alors être obligé, comme je l’ai dit, de se mettre en conformité à des règles plus contraignantes que ce qu’on appelle vaguement l’intérêt et la sécurité publics.
C’est précisément l’argument mis en avant par Mme le Juge Brown. Même s’il existe un « droit d’avorter », les Gilardi n’y mettent aucun obstacle envers qui que ce soit. Et Mme Brown observe:
« le gouvernement a omis de prouver comment un tel droit — qu’on le dise non-ingérence, intimité ou autonomie — peut être élargi à l’obligation de subventionner les pratiques d’une femme pour la procréation. Nous le répétons, nous ne pourrons rien prouver à moins que le gouvernement explique précisément ses intentions.»
Mme Brown a balisé un chemin tout-à-fait contrraignant pour le gouvernement afin qu’il justifie les obligations liées à sa politique. Les juristes emploient souvent l’expression « examen rigoureux », rigueur qui devrait s’appliquer en regardant la justification de pratiquement tout ce que la loi imposerait par la force.
Et sur le chemin tracé par Mme Brown bien d’autres arguments frappants se présenteront pour défier les hypothèses et motifs du gouvernement. On ne peut raisonnablement invoquer l’ordre public pour soutenir la mise à mort de petits êtres humains dans le sein de la mère. Et au sujet de « santé » et de contraception, Mme Brown rappelle que certaines pilules contraceptives sont classées par l’OMS comme carcinogènes, causes d’un accroissement des cancers du sein, de l’utérus et du foie.
Mais alors le conflit se retrouve entre les déclarations de croyances et le raisonnement sur la loi naturelle. Mme Brown soutient que le droit à la contraception ne saurait être le droit de contraindre les Gilardi à payer les contraceptifs des autres. Mais cet argument moral s’appliquerait tout autant à tous les chefs d’entreprises, même s’ils ne sont pas catholiques.
Mme le Juge Brown insiste, il ne s’agit pas d’une affaire de croyances religieuses, et pourtant elle a, avec ses collègues, soutenu les Gilardi au nom de la loi de protection des libertés religieuses, loi passée distinctement au bénéfice des religieux. Si c’est une base pour le jugement, c’est, ironiquement, un motif à l’opposé de l’enseignement de l’Église sur la loi naturelle, pouvant renverser la situation.
Selon une parole célèbre de George Washington on ne parle plus guère de liberté religieuse « comme si ce n’était que la tolérance d’une catégorie envers une autre catégorie exerçant ses droits naturels.» Et pourtant certains religieux sont allés à l’encontre de Washington en plaidant actuellement pour une simple « tolérance » les exemptant de lois imposées aux autres.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/judge-brown-to-the-rescue.html
Photo : Janice Rogers Brown, terrible juge.
Pour aller plus loin :
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- CEDH : Une régression de la liberté de conscience et de religion en Europe.
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
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