L’un des traits distinctifs du pontificat du pape François jusqu’à présent a été d’appeler notre attention sur la pauvreté dans l’ensemble du monde. Pour lui la pauvreté ne comprend pas seulement le dénuement économique mais aussi l’injustice sociale, le mauvais traitement des migrants et de tous les êtres marginalisés pour des raisons d’ordre ethnique ou social. Telle est sa définition de «l’option préférentielle pour les pauvres » dont il fait un impératif global de la vie chrétienne. Des rumeurs émanant de Rome laissent entendre que le pape préparerait une encyclique sur la pauvreté, et en suggèrent même le titre : « Bienheureux les pauvres ».
Les vœux de pauvreté pris par les membres des ordres religieux nous rappellent les liens entre la vie chrétienne et ce qui devrait être une attitude saine et spirituelle vis-à-vis des possessions matérielles. L’Eglise a toujours enseigné que le monde matériel est bon ; après tout il a été créé par Dieu. En prêchant la vertu de pauvreté, nous devons veiller à éviter toute forme de ce manichéisme qui considère le monde physique comme un royaume des ténèbres créé par le principe fondamental du mal. Nous devrions aussi ne pas penser, comme certains chrétiens hérétiques l’ont soutenu, que nous sommes tenus de ne pas avoir de possessions pour être de vrais disciples du Christ.
Tout porte à croire qu’une encyclique sur la pauvreté cherchera à définir clairement ce que devrait être la position du chrétien vis-à-vis de la pauvreté aussi bien dans sa vie que dans sa réponse aux besoins des autres. Le pape espère que, par ses paroles et son exemple, il appellera l’attention sur les conditions de vie des pauvres et incitera les autres à agir pour améliorer ces conditions. Il travaille à dissiper notre ignorance de la pauvreté qui règne dans le monde.
A certains moments, le pape François a critiqué les membres du clergé plus soucieux de sujets qu’il a traités de subtilités théologiques que de la réponse aux besoins des pauvres. Mais on peut y voir la tentation de séparer trop radicalement la théologie spéculative et la philosophie de la prise en compte pratique des questions économiques et sociales : soit une sorte de pragmatisme chrétien adopté en tant que principe exclusif, dissocié des conceptions théologiques et philosophiques.
Tout d’abord, affirmer que l’action visant à soulager la pauvreté devrait avoir le pas sur la réflexion théorique constitue en soi un jugement philosophique et théologique sur les priorités, et un jugement d’ordre théorique. Ce qui atteste, à mon avis, qu’il ne saurait y avoir d’authentique appel à l’action chrétienne sans fondement théologique approprié. Quel sens aurait une action qui ne s’inscrirait pas dans un cadre propre à la justifier ?
Il n’y a pas seulement une ignorance de la pauvreté dans le monde ; il y a aussi une pauvreté issue de l’ignorance. Ne pas reconnaître que les êtres humains aspirent par nature à la vérité et que l’esprit humain est capable de découvrir des vérités durables sur la nature, la nature humaine et Dieu, c’est être captif de l’ignorance. La « dictature du relativisme » que le pape Benoît XVI a souvent mentionnée représente un lourd fardeau pour ceux qui sont séduits par ses attraits.
Ne pas comprendre que la vérité doit être découverte et non pas résulter de nos opinions subjectives c’est souffrir d’une profonde ignorance. Nous avons là un appauvrissement intellectuel caractéristique de certains aspects de la culture contemporaine qui est une pauvreté aussi asservissante que la pauvreté économique. Les besoins des pauvres comprennent les besoins de ceux qui ne voient pas ce que révèle la lumière de la raison et de la foi.
L’indifférence aux besoins des pauvres peut elle-même indiquer une espèce d’appauvrissement spirituel. Ce type de pauvreté découle de l’orgueil, du refus de se soumettre à la vérité et de s’ouvrir à la grâce de Dieu. Il faut une profonde humilité pour conformer ses pensées et ses actions à une vérité qui existe en dehors de votre propre subjectivité.
Les chrétiens sont appelés à être des témoins de la vérité et du Christ qui est la Vérité incarnée. Chaque chrétien est témoin de la vérité dans le contexte où il vit. Comme l’a récemment fait remarquer le pape François, ce contexte ne doit pas se confondre avec le relativisme. C’est plutôt une application prudente de principes universels à des circonstances particulières.
Nos réponses aux besoins des pauvres plongent leurs racines dans la volonté et l’intellect humains. Nous devons être attentifs aux manifestations extérieures de la pauvreté et trouver des moyens de la soulager. Mais nous devons aussi travailler à corriger les intellects mal informés et les consciences défaillantes.
Prêcher par la parole et par l’exemple face aux pauvres requiert du courage et la grâce de Dieu. Cette prédication doit s’accompagner de l’humilité que donne la conscience de n’être qu’une créature. Or, les créatures ne sont pas les auteurs de leur existence : toutes leurs pensées et leurs actions dépendent de l’intervention de Dieu. Les créatures intelligentes sont toujours soumises à la tentation qui fut celle d’Adam et Eve : vouloir être le Créateur, l’agent déterminant du bien et du mal, du juste et de l’injuste.
L’orgueil et ses dérivés, notamment la pauvreté due à l’ignorance, résultent de l’incapacité d’accepter que nous sommes des créatures. Une réflexion philosophique et théologique sur Dieu le Créateur est un préalable essentiel à une compréhension vraiment chrétienne du monde et partant de la conduite à suivre. L’Eglise dispose de riches ressources à cet égard, surtout la pensée de saint Thomas d’Aquin. Pour illustrer les profondeurs de la foi chrétienne, Saint Thomas a souvent invoqué la doctrine de la création. Ignorer cette tradition c’est déjà en soi une forme de pauvreté.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-poverty-of-ignorance.html
Tableau : « Les béatitudes » par James Tissot, vers 1890.
William Carroll est un Thomas Aquinas Fellow en Théologie et science à Blackfriars, Université d’Oxford.