Les spécialistes de « Vaticanologie » font grand cas d’un discours majeur fait par un des 8 cardinaux que le pape a désignés comme chefs de la réforme, le cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga.
Le discours est ambitieux. Il présente une relecture complète du rôle de l’Eglise dans la politique et du gouvernement dans l’économie. Le cardinal fait des affirmations audacieuses, à l’emporte-pièce, d’un ton aussi confiant que celui de Karl Marx ou d’Ayn Rand. « Avec la nouvelle évangélisation, nous recommençons au début (nous prenons un nouveau départ) : Nous devenons une fois de plus l’Eglise enseignante, servante et Samaritaine. »
Le Cardinal veut-il vraiment dire que l’Eglise avait cessé de l’être ? Si oui, quand ? Et par quelle autorité l’orateur fait-il cette attaque implicite de tous ses prédécesseurs ? Par l’expérience de l’Eglise d’Amérique latine où de larges pans de son troupeau sont passés au pentecôtisme ?
Quels papes précisément accuse-t-il ici ?
Trop souvent, l’Eglise donne l’impression d’avoir trop de certitudes et trop peu de doutes, de liberté, de dissension et de dialogue. Donc, plus d’excommunication du monde, ni de tentative pour résoudre ses problèmes par un retour à l’autoritarisme, la rigidité et le moralisme, mais à la place, toujours garder le message de Jésus comme unique source d’inspiration.
De telles attaques, sans aucun fondement, contre le passé d’une institution, sont un dispositif rhétorique des mouvements révolutionnaires qui diabolisent le passé et gagnent ainsi le pouvoir de dessiner de futur.
Le pouvoir, voilà la question : Malgré toutes ses protestations d’ « humilité » et de « service », le cardinal imagine une Eglise qui aura un pouvoir étendu en politique et en économie, exercé par l’intermédiaire de juristes et de politiciens qu’elle pourra modeler. Selon quelle forme de principes politiques et économiques espère-t-elle les modeler ?
Le cardinal Maradiaga montre clairement ses sympathies quand il cite comme une autorité sur la moralité de l’investissement international le suisse radical Jean Ziegler – défenseur de longue date de Fidel Castro, qui a qualifié les Etats-Unis de « dictature impérialiste ».
La mondialisation des échanges de services, de capital et de brevets a conduit pendant ces 10 dernières années à établir une dictature mondiale du capital financier…Les seigneurs de la finance exercent sur des billions d’êtres humains un pouvoir de vie et de mort. A travers leurs stratégies d’investissement, leurs spéculations sur le marché financier, leurs alliances, ils décident jour après jour de qui a le droit de vivre sur cette planète et qui est condamné à mourir.
Ici, Ziegler dénonce ironiquement les investisseurs étrangers de menacer les pauvres gens de mort ; En d’autres occasions, il a condamné les Etats-Unis pour le fait d’interdire à ses concitoyens de faire des affaires avec Cuba.
La mondialisation a aidé des dizaines de millions de personnes dans des endroits qui étaient pauvres depuis longtemps tels que l’Inde et la Chine, à évoluer d’une pauvreté écrasante, à une prospérité relative, alors même que la prospérité devenait stagnante, ou reculait en Europe et en Amérique du nord. Dans les pays en voie de développement, les gens doués ne sont plus condamnés à l’agriculture de subsistance ou aux subventions de l’étranger. De plus en plus, ils peuvent entrer en compétition avec des travailleurs mieux payés, et comparativement privilégiés de pays plus riches. Cette réalité est quelque chose que Jean Ziegler préfère ignorer.
Le cardinal ajoute des détails à la théorie du complot de Ziegler, en écrivant lui-même :
Les effets et conséquences des dictatures néolibérales qui dirigent les démocraties ne sont pas difficiles à découvrir : ils nous envahissent avec l’industrie des loisirs, ils nous font oublier les droits de l’homme, ils nous convainquent qu’on n’y peut rien, qu’il n’y a pas d’alternative possible. Pour changer le système, il faudrait détruire le pouvoir des nouveaux seigneurs féodaux. Chimérique ? Utopique ?
Décidément, l’Eglise fait le pari de vivre la mondialisation du pardon et de la solidarité.
Ainsi, les démocraties comme la nôtre sont des « dictatures néolibérales » que l’Eglise va aider à réformer par la « mondialisation du pardon et de la solidarité », c’est-à-dire en aidant les gouvernements à saisir la richesse de certaines personnes, en écrémer sa propre part, et distribuer cette richesse à d’autres. Ces « autres » seront sûrement reconnaissants comme l’étaient les partisans d’Hugo Chavez au Venezuela ; en effet ils formeront des blocs puissants d’électeurs qui dépendront de la redistribution de la richesse par l’Etat, comme le leur recommande d’humbles membres du clergé.
Ceci montre une méconnaissance de dizaines d’années de recherche sur les causes véritables de la pauvreté : l’absence d’un droit clair de la propriété, la corruption politique, le capitalisme des copains, la politique populiste et la bureaucratie centralisée. De tels problèmes ne peuvent pas être résolus par des étrangers, mais par une action locale pour construire une culture d’entreprise et des institutions qui protègent les propriétaires de petites affaires. Mais c’est beaucoup plus pratique, confortable, et favorable à un pouvoir qui veut tout posséder de tout mettre sur le dos des Amerloques !
Le bon cardinal a déjà montré par le passé son inclination à déplacer le blâme. En mai 2002, il expliquait qui il fallait vraiment accuser pour le scandale des abus sexuels : Les juifs dans les médias !
Des petites coteries de méchants investisseurs provoquent la famine dans le monde en voie de développement, alors que des cabales de journalistes juifs essayent de noircir des évêques innocents. Tout cela est-il parfaitement clair ? Basé sur des analyses manichéennes et conspiratrices comme celles-ci, nous les « Samaritains » humbles et aimants, devons rejeter l’Eglise pharisaïque du passé, et avancer pour utiliser les canons et les prisons de l’Etat dans le but de renforcer le « pardon » et la « solidarité » parmi les classes sociales et les nations.
Dans l’encyclique « Quod Apostolici Muneris » le grand Léon XIII a franchement condamné le socialisme en le déclarant une contrefaçon satanique de l’Evangile. Si je puis me permettre de citer ce pape du passé compromettant de l’Eglise :
Ils assaillent le droit de propriété sanctionné par la loi naturelle, et par un schéma d’horrible méchanceté, alors qu’ils semblent désireux de prendre soin des besoins et de satisfaire les vœux de tous les hommes, ils s’efforcent de saisir et de mettre en commun tout ce qui a été acquis au titre d’un héritage légal, par le travail de l’esprit ou des mains, ou par un style de vie économe… Mais l’audace de ces hommes mauvais, qui de jour en jour et de plus en plus, menacent de destruction la société civile, trouve sa raison d’être et son origine dans ces doctrines empoisonnées qui, répandues parmi les peuples à l’étranger, tels une mauvaise graine, ont porté en leur temps ces fruits fatals.
Ces fruits, nous les voyons aujourd’hui. Et je ne plaisante pas. Vous non plus j’espère.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/cardinal-maradiagas-poisonous-fruit.html
Photo : Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga