Joseph Bottum, qui fut l’ami de plusieurs d’entre nous à TCT, a publié un article douloureusement long et décousu vendredi dans la revue catholique libérale Commonweal ([Bien commun, Ndt]) disant que l’Eglise perd son temps — et même se porte préjudice à elle-même — en s’opposant au mariage homosexuel. Il fut congédié de son poste de rédacteur en chef de First Things il y a trois ans, années pendant lesquelles il a surtout vécu dans son pays natal, le Dakota du Sud, où l’on espérait qu’il grandissait en sagesse et en grâce. Mais ce n’est pas notre sujet d’aujourd’hui.
Le sujet tient au fait que la Fondation de gauche Luce a fourni l’argent pour la rédaction de l’article de Commonweal, dont la sortie incluait l’annonce de la publication du livre de Jody, Un âge anxieux (prévue pour février), et a coïncidé avec un grand article dans le New York Times de samedi. Un cynique pourrait penser que cela constitue moins un argumentaire à propos de la politique de l’Eglise qu’une campagne de relations publiques, « à la manière de l’ancien rédacteur en chef de First Things. »
Commençons par tirer les choses au clair : si l’on prend sa thèse au sérieux, ce que je ne fais pas pour l’essentiel, Jody ne dit pas qu’il « soutient » le mariage homosexuel ainsi que le New York Times le prétend à tort., conformément à son habitude sur les sujets catholiques.
Il dit que l’Eglise ne peut pas gagner cette bataille culturelle, et s’y fait même du tort, compte tenu des forces déployées contre elle. Nos évêques ne devraient pas perdre de temps à ce propos et feraient mieux de se concentrer sur le vif « ré-enchantement du monde » qui consiste en ce qu’il va falloir faire pour amener les gens à percevoir la position exacte des notions les plus riches de l’Eglise sur la Création et sur la sexualité.
Il est vrai que d’une certaine manière, beaucoup de gens, moi y compris, disent cela depuis des décennies — hormis la reddition sur le mariage homosexuel. Mais personnellement, je n’ai pas un grand investissement dans l’argument « la beauté sauvera le monde » qui va dans le même sens que le « ré-enchantement ». Le Beau est un des transcendantaux, mais seulement l’un d’entre eux, beaucoup de mal peut se produire pendant que nous attendons qu’il entre en scène.
Il y a des centaines de galeries d’art dans le monde pleines de peintures et de sculptures chrétiennes de premier ordre. La musique religieuse est souvent jouée. La littérature chrétienne est abondante et toujours éditée. Il y a de magnifiques célébrations dans de nombreuses églises. Des gens que j’admire écrivent des propos brillants sur la signification profonde de tout cela. Je ne vois pas que rien de tout cela ait empêché, ralenti, encore moins inversé, notre fort déclin culturel.
L’argument de Bottum est équivalent à dire : combattre le terrorisme n’établira pas la paix qui surpasse toute intelligence, il ne faut donc pas se préoccuper de ces escarmouches. Mettez de côté qu’une entité aussi vaste et complexe que l’Eglise catholique peut avancer en mâcher du chewing-gum en même temps. S’écarter de ce combat ne fera pas gagner d’amis à l’Eglise ni n’apaisera ses ennemis.
La preuve en est dans les gens qui rallient sa cause : The National Catholic Reporter, le Planning Familial, « Catholiques pour le libre choix », la plupart des universités catholiques et les plus séculiers du monde séculier.
Tenez-vous prêts pour la vague publique de soutien aux efforts de l’Eglise pour « ré-enchanter » le monde, qui ira de pair avec plus de temps consacré à la justice sociale et à l’intégration. Je suis sûr que l’on pourra obtenir des financements de la Fondation Luce pour ces campagnes.
En d’autres termes, ils seront tous heureux d’expédier les catholiques sur une chasse au dahu qui ne menace rien dans notre désert culturel. « Bon voyage. Voici quelques euros pour les pourboires des serveurs. On se reverra le lendemain de la Seconde Venue. »
Ce serait un scénario idéal. En fait, une fois que l’Eglise abandonnera le refoulement juridique et culturel, cela n’apaisera pas les militants homosexuels et leurs partisans plus ou moins actifs. Ils savent que c’est un signe de faiblesse. Nous verrons alors une augmentation des attaques sur l’Eglise, simplement pour la faire taire, et peut-être même pour monter à bord du navire de l’homosexualité.
Le cardinal de Chicago, Francis George, vient de recevoir une lettre signée par huit législateurs catholiques de l’Illinois lui reprochant de couper le financement diocésain à un groupe pro-immigration qui a décidé d’approuver le mariage homosexuel * 1. Imaginez, un cardinal de l’Eglise catholique coupe les subsides à un groupe à but non lucratif qui quitte sa voie pour prendre une position non catholique qui n’est pas essentielle à sa mission, et pour sa peine, récolte une sévère réprimande de politiciens catholiques. Le cardinal est célèbre pour avoir dit qu’il pense mourir dans son lit, que son successeur mourra en prison et que le suivant mourra en martyr. Le cardinal a soixante-seize ans mais il est en pleine santé et, soit dit avec le plus grand respect, est sans doute trop optimiste.
Jody affirme qu’il n’y a aucun argument juridique de principe cohérent contre le mariage homosexuel et que nous devrions simplement l’accepter « en tant qu’Américains ». Je laisse les subtilités du droit aux juristes et autres légistes, mais un très grand nombre semble penser autrement.
Nonobstant, il y a un effort juridique très cohérent et rationnel — quoique scandaleux — pour étendre de plus en plus les prétendus « crimes haineux ». On entend dire que le cardinal George a déjà été menacé par des groupes qui disent qu’ils ont l’œil sur lui. Et il n’est pas le seul.
Jody cite GK Chesterton sur l’enchantement, et saint Thomas d’Aquin sur la tolérance de certains méfaits, en montant son affaire. L’invraisemblance et l’absence de consistance de cet argument — à propos duquel il a déjà publié quelques réflexions défensives — montrent sa propre ambivalence et sa nervosité. Prenez un peu de recul vis-à-vis de la controverse. Pouvez-vous imaginer l’un de ces hommes fuyant cette bataille ? Pas moi.
En 1976, Henry Kissinger, « l’homme le plus intelligent du monde », disait à l’amiral Elmo Zumwalt : « Le temps des Etats-Unis est passé et aujourd’hui c’est celui de l’Union Soviétique. Mon travail de Secrétaire d’Etat consiste à négocier la position la plus acceptable au second rang. » Les soviétiques n’avaient plus que treize ans à vivre.
L’essor homosexuel en Occident peut paraître beaucoup moins susceptible d’être inversée. Il y a des jours où nous le pensons tous. Et il peut en être ainsi. Mais il n’y a qu’une seule façon de le savoir. Et ce n’est pas la capitulation préventive.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-preemptive-surrender-of-jody-bottum.html
Robert Royal est rédacteur en chef de « The Catholic Thing » et président de l’Institut Foi & Raison à Washington (DC). Son dernier livre est « Le Dieu qui n’échoue pas : comment la religion a construit et soutient l’Occident » maintenant disponible en livre de poche chez « Encounter Books ».
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