Je vais mal commencer ma journée avec cette note de mon Journal : il faudrait que je me débarrasse d’une disposition d’esprit qui m’accable souvent, une hostilité bruyante éprouvée à l’égard de ceux qui s’opposent à mes amours les plus sûres, les plus permanentes en mon être… Je pense aujourd’hui plus particulièrement à cette engeance misérable qui rejette Marie, la très sainte mère de Jésus (et de ce fait la nôtre, et de ce fait la mienne !) : elle à qui il serait indécent de refuser les dons que Dieu lui a donnés ! Je viens de lire un court extrait d’un morceau d’article que j’avais conservé dans mes papiers et qui, exprimant ce que je me refuse à redire ou à récrire ici, suscite ce début d’indignation. Sans imiter Stéphane Hessel.
J’admire — quoique je l’abhorre — le stupéfiant culot de ces adeptes de la Raison qui en viennent à insulter la toute pure, la toute chaste, la toute donnée, la toute orante, la seule à mériter de porter le titre unique de « servante de Dieu » : ils viennent, la bouche en cul de poule, vous asséner une de leurs horribles opinions comme si elles étaient révélations sublimes, pourtant seulement issue de leurs neurones en berne.
Dans mon irritation, je me parlais à moi-même, ce qui fait rire ma femme me voyant parler seul, tenant tous les rôles en un dialogue quelque peu naïf avec quelques fantômes mais qui avait pour mérite d’aider mon cœur à se débarrasser des miasmes de ce que je venais de lire, un vieil article d’un journal perdu, gardé pour un jour me servir d’exutoire.
Ainsi, l’un de ces contempteurs ectoplasmiques, l’air triomphant, affirmait que j’avais grand tort de donner tant d’importance à la Vierge Marie : « On pourrait penser que vous en faite une déesse ! Une simple bonne femme pourtant, sans doute très bonne, gentille, mais un peu, comment dire, simplette, non ? Ignorante, ne comprenant rien à ce que l’on dit d’elle alors qu’elle est avec son pauvre idiot de mari dans une situation finalement comparable à celle des milliards de femmes qui passent et passeront sur cette terre ! »
Là-dessus, un autre surjoue l’effroi : « Comment vous, qui montrez si souvent que vous n’êtes pas complètement stupide, pouvez-vous la dire ‘’Mère de Dieu’’ ? Rendez-vous compte ? Une telle idolâtrie ! Insupportable prétention ! Tout de même, on frise là une sorte de… je n’ose le dire, mais on n’est pas loin d’un effarant scandale ! » Il pourrait me passer une meule autour du cou.
Un troisième conspirateur ajoute, d’une voix sucrée : « Et plus stupéfiant, vous la dite ‘’médiatrice’’ entre l’homme et Dieu ! Est-ce que vous vous rendez compte de votre ineptie ? Et même Mère de votre Église, autant dire de milliards d’êtres ! En plein délire, cher maître ! » Le mot interdit, qui toujours m’a effrayé quand certains, pensant me faire plaisir, me l’attribuait sans même deviner ma honte.
Ces ‘’bonshommes’’ me regardent comme un phénomène qu’il conviendrait de jeter dans un asile d’arrière campagne au plus profond de la France perdue. Je leur souris, ce qui m’évite de laisser mon vocabulaire de mots irréguliers se déverser dans leurs oreilles.
Je demande :
M. – « Vous croyez en Dieu, je suppose ?
– L’un ou l’autre – Question stupide, vous le savez bien.
M. – Je voulais m’en assurer. Et donc en la Sainte Trinité ?
– L’un ou l’autre – Tout comme vous, naturellement. Mais vous savez, on navigue en ces matières plutôt sur la barque des symboles que sur celle du raisonnable… Il s’agit-là de conception utiles mais qu’il convient de relativiser en les rapportant aux lumières de la Science…
M. – Donc, je puis tenir compte que pour vous Jésus, fils de Marie… Mais au préalable petite vérification : vous admettez qu’il est bien le fils de Marie ?
– L’un ou l’autre – Oui, bien sûr, dans les limites de ce que permet de dire l’histoire, mais il convient que nous y ajoutions Joseph. Naturellement, n’est-ce pas ?
M. – Très bien, l’audace des précurseurs habite en vos entrailles. La certitude des savants ! Donc, je reprends le fil de ma réflexion : pour vous Jésus, fils de Marie, est-Il également Fils de Dieu ?
– L’un ou l’autre – Bien sûr nous acceptons qu’il le soit, ne serait-ce que pour voir jusqu’où vous vous avancerez sur ce chemin délicat. ‘’Et ’’ fils de Marie » tant que nous sy sommes. Mais poursuivez…
M. – Comment, selon vous, pourrait-Il être à la fois Fils de Dieu s’il est également fils de Joseph ?
– L’un ou l’autre – Eh bien, en y réfléchissant rapidement, parce que Dieu le Père l’a élu pour son Fils. C’est bien ce qui est écrit, n’est-ce pas ? Disons qu’Il l’adopte… Même nous pouvons penser qu’Il fait souffler son Esprit sur Lui, ce qui suffit à pouvoir le reconnaître comme Dieu véritable… si l’on veut croire en ce Dieu tel qu’Il est annoncé en des temps où l’homme, tout de même n’avait que des connaissances objectives limitées drastiquement.
M. – Je crois que même vos théologiens tiennent à dire que la personne qui est en Jésus n’est autre que le Verbe : impensable que deux personnes se retrouvent en Jésus, la divine et l’humaine.
– L’un ou l’autre – C’est exact, même si votre façon de dire nous semble excessivement rapide. Quelque peu hâtive, pour le moins.
M. – Qu’importe la hâte. Ce qui m’intéresse, c’est que cet enfant de Marie, et selon vous également de Joseph, nous ne pouvons pas l’appeler autrement d’un côté que « Fils de Dieu » ou du Père, et d’un autre que « fils de Marie ».
– L’un ou l’autre – Quelle difficulté pour vous ?
M. – Elle vient justement de ce que les évangiles nomment Dieu ‘’Père’’. Jésus, dans ces évangiles, ne cesse jamais quant à Lui d’affirmer de ce Dieu Père qu’Il est « son Père ». Et même, à un moment donné, il dit qu’Il « doit s’occuper des affaires de son Père » : Il n’a alors que douze ans !
– L’un ou l’autre – Façon de s’exprimer, n’est-ce pas. Il n’y a pas là de quoi se troubler. De plus, rien n’atteste, hors ce texte de Luc, l’authenticité du fait. Il faut y « croire », ce qui…
M. – Moi, cela « me » trouble. Jésus n’a jamais plaisanté avec les mots. Quand Il dit « mon Père », il ne dit pas « mon grand père » ou « mon oncle » ou « mon copain ».
– L’un ou l’autre – Vraiment, vos réflexions rasent les graviers. Nous ne nous attendions pas à cette… ce… enfin…
M. – Ne cherchez pas. Je veux simplement vérifier si vous pensez que Jésus s’exprime surtout par symboles, à peu près ou métaphores : alors ce nom de Père qu’il donne à son Dieu ne serait qu’une façon de parler… Convient-il vraiment de donner à ses paroles le sens le plus littéral possible ?
– L’un ou l’autre – Heu, heu, littéral, littéral… du moins en un premier…
M. – Donc Jésus, s’adressant à Dieu, dit sans ambiguïté que son Dieu est son Père. Je note qu’il dit cela devant Marie et devant Joseph, cet homme que vous tenez pour être le seul père de Jésus.
– L’un ou l’autre – Ah mais, il faudrait que vous vous en teniez à la Raison, non à des supputations adjacentes…
M. – La belle expression, permettez-moi de la noter sur mon bloc-notes.
– L’un ou l’autre – La Raison dit qu’il faut une femme et un homme pour concevoir un enfant.
M. – Oui, mais oui, j’en tombe d’accord avec vous, sauf que l’on peut aujourd’hui prétendre qu’il suffit de disposer en des gamètes vivantes aussi bien du capital génétique issu d’un femme que de celui issu d’un homme. Je me garderai de nommer l’une et l’autre comme le font les Allemands… Vous êtes d’accord ?
– L’un ou l’autre – Oui, comment ne pas l’être. C’est toute la démonstration des conceptions in vitro, vous ne nous apprenez rien. Pratique courante et merveilleuse, n’est-ce pas ?
M. – Ce n’est pas de cela dont je parle. Je ne veux en venir qu’à la réalité concrète de la conception de Jésus dans le sein de Marie. Et c’est pour cela que j’ose dire, ou plutôt j’affirme que Dieu ne fait jamais les choses à moitié, surtout quand il s’agit de son Fils. Il ne délègue pas ce qui Lui revient, Il le fait.
– L’un ou l’autre – C’est-à-dire ?
M. – Si Jésus se réfère toujours à « son Père qui est aux cieux », c’est que ce Père éternel ne peut pas être son père d’une façon seulement symbolique ou métaphorique.
– L’un ou l’autre – On peut, oui, on peut, semble-t-il, dire les choses comme vous… quoique ce serait tout de même…
M. – Je vous entends. La difficulté pour vous vient, je le pressens, de ce fichu capital génétique masculin.
– L’un ou l’autre – Transmis par Joseph, s’il vous plaît !
M. – Laissez-moi poursuivre. La filiation de Jésus, qui est le Verbe éternel incarné, n’est pas assurée si l’on s’en tient à Joseph du fait même de la revendication constante que fait Jésus en de nombreuses occasions. On peut toujours le dire Fils du Père en tant que Verbe « engendré mais non créé », mais en sa nature humaine Jésus ne saurait nommer le Père éternel « son Père » si vous en faites le fils biologique de Joseph.
– L’un ou l’autre – Voilà qui est bien raisonné. Nous apprécions.
M. – Or, Il s’adresse à ce Père éternel en tant qu’Il est Jésus et non en tant que Verbe. Je vois difficilement que l’on puisse retenir votre solution ! Comment les capitaux génétiques dont Il a besoin pour être véritablement homme-fils-du-Père peuvent-ils se rencontrer efficacement en Marie.
– L’un ou l’autre – Vous auriez dû vous en douter dès le départ. Il y a là un problème qui depuis toujours agite la pensée des hommes et jette un trouble profond…
M. – Nul trouble, mes seigneurs. Verriez-vous un inconvénient à ce que le Tout-puissant – qui créa les mondes – se permette de « créer » ce capital masculin destiné à son Fils humain ?
– L’un ou l’autre – Il faudrait nous laisser le temps de peser cet argument.
M. – Le but n’est autre que de lier au Verbe de nature divine une nature humaine qui soit digne de Lui. Une seule solution pour que, dans le plus extraordinaire secret, le plus délicat, le plus juste : cette « opération du Saint-Esprit », comme le dit l’archange Gabriel…
– L’un ou l’autre – Figure de style, peut-être ?
M. – Je parle ici pour d’autres que vous. Le Père est Père en éternité : voici qu’Il vient revendiquer le même titre en sa Création objectivée ! Et c’est en toute justice comme en toute vérité ! Il vient dans le temps et en sa créature nouvelle, ce Fils bien-aimé du Thabord, ce corps humain issu de Marie et de Lui, de par cet acte invisible de recréation de l’homme en Jésus, ainsi relié à jamais à la nature divine du Verbe.
– L’un ou l’autre – Oui, oui, enfin explications embrouillées et d’une pertinence qui ne nous apparaît qu’en demi-teinte… Nous voyons bien que vous désirez rester dans les ténèbres de vos opinions sans fondements digne de la Raison. Adieu, Monsieur.
M. – Au revoir, messieurs…
J’en restais là, assez morfondu par mon échec démonstratif… Cependant je poursuivis, réduit au monologue…
Donc voici : comment imaginer qu’il puisse y avoir la moindre difficulté à comprendre ainsi l’expression du saint Archange Gabriel quand il explique à Marie que « rien n’est impossible à Dieu » et que « le Saint-Esprit la couvrira de son ombre » ? Alors en elle s’effectue ce qui est dit, rien de plus, rien de moins. Le Père, ainsi qu’entrevue, « recrée » l’Homme tel qu’Il l’a voulu, mais cette fois pur et sans vouloir d’orgueil et à jamais vainqueur de toutes les tentations, fussent-elles de savoir et de pouvoir !
Oui, cet ‘’humain’’ nouveau, encore si petit, invisible, qui n’est qu’un point dans l’espace de sa conception, est d’emblée l’Homme parfait en même temps qu’il est Dieu véritable : Jean-Baptiste, encore nageant dans les eaux de sa mère, percevra, quelques jours plus tard, la présence de l’Enfant-Dieu et en tressaillira de joie !
Dieu travaille dans l’évidence : impossible qu’il n’aille pas au plus clair, au plus lumineusement simple et net, de ce qu’Il décide. Il doit être le Père aussi bien du Verbe éternel que du Fils d’Homme : Il engendre l’Incréé puis crée en Marie la part qui revient à Celui que le Fils de l’Homme sans cesse nommera ‘’son’’ père.
Et c’est ainsi que survint l’irruption du Verbe éternel, du Fils éternel en sa splendeur et majesté, par qui tout s’accomplit de ce que désire le Père : par ce commandement du Père Il fut uni au secret du sein de Marie à ce qui venait nécessairement d’elle et à ce qui ne pouvait que venir du Père par acte de recréation.
Sinon, qui pourrait comprendre comment aurait pu se bâtir cette Famille que le Père a voulu se donner et dont nous sommes chacun les membres ? Chacun, oui, mais « avec, en et par le Christ pour le Père ».
Et comment comprendre que vient en cette Mère, plus léger qu’un rayon de la lumière qu’Il est, Celui qui est son Dieu, Celui qui la créa, Celui qui de cet événement tire la justification de sa maternité universelle comme de tous les temps qu’elle recevra plus tard, à l’heure de la Passion de ce Fils vrai Homme et Vrai Dieu, en vue, je me répète, d’accoucher à l’Esprit chacun de ceux dont le Père, en et par et avec son Fils, a reçu, en son amour plénier, comme ses enfants ?