Foi ou Apostasie ? - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Foi ou Apostasie ?

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L’année de la foi (2012-2013) est en train de se terminer. Initiée par Benoit XVI, elle s’achève avec le nouveau pape François, après une démission presque unique dans l’histoire de l’Eglise. Benoit XVI avait commencé son pontificat en se considérant comme « l’humble serviteur dans la vigne du Seigneur ». Il termine son pontificat en réalisant sa parole par un acte d’humilité et de confiance.

Comme cardinal, ce pape nous aura fait l’immense cadeau du Catéchisme de l’Eglise Catholique, première synthèse magistérielle de la doctrine catholique depuis le catéchisme du concile de Trente. Il a continué par sa trilogie Jésus de Nazareth, nous donnant la possibilité d’approfondir notre relation au Christ. Et son pontificat fut marqué par trois encycliques sur les trois vertus théologales : Sauvés dans l’Espérance, L’Amour dans la vérité, et La lumière de la Foi. On pourrait dire que Benoît XVI fut le pape théologien de la foi catholique, le pape de l’humble confiance en Jésus, Fils bien aimé du Père.

Mais le contraire de la foi peut être l’apostasie, étymologiquement, se tenir loin, à l’écart, c’est-à-dire l’abandon de la foi, sa défection, son éloignement.

Et de fait Benoit XVI s’est inquiété, à la suite de Jean-Paul II, d’un recul de la foi chrétienne. « La culture européenne donne l’impression d’une « apostasie silencieuse » de la part de l’homme comblé qui vit comme si Dieu n’existait pas.1» Si le monde dans son ensemble croit toujours majoritairement en Dieu, en Europe il est bien vrai que la foi chrétienne se marginalise. Le petit troupeau semble se rétrécir. Il reste que s’il garde la foi, même si l’apostasie se répand autour de lui, cela peut l’inviter à s’appuyer davantage sur le Christ, dans la fidélité à l’Eglise.

Cependant, voilà qu’au sein de l’Eglise, pendant cette année de la foi, émergent des objets de scandale pouvant faire douter le petit troupeau. Depuis un certain temps déjà sont reconnus les turpitudes de Père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ. Il a dupé le Vatican pendant 40 ans, jusqu’à Jean-Paul II et Benoît XVI. Nous savons maintenant qu’il fut meurtrier, polygame, pédophile avec ses propres enfants, menteur et sacrilège2. Sont réunis en une personne tous les péchés capitaux, la transgression des dix commandements au cœur de l’Eglise. Il pourrait être une des figures réalisant la parole de saint Paul : « Auparavant doit venir et se révéler l’Homme sans loi, l’impie, l’être perdu… allant jusqu’à s’assoir dans le sanctuaire de Dieu … sa venue à Lui, l’impie sans loi, aura été marqué, par l’influence de Satan, de toutes espèce d’œuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers. » (2 Thess 2, 3-12) L’œuvre du père Maciel s’appelle La Légion du Christ, mais le mot légion dans le Nouveau Testament désigne d’abord une pluralité de démons, non les disciples du Christ. « Mon nom est légion»  (Mc 5,9) Et face à la réalité des faits, n’est-elle pas la Légion d’un AntiChrist ? En regard de la perversion du fondateur, on est en droit, au minimum, de se poser la question.

Ce contre-témoignage troublant du père Maciel s’accompagne de la découverte d’autres dérives apparemment moins radicales, mais dont l’accumulation peut paraître inquiétante. L’Eglise de France a commencé à connaître la double vie et les dérives sectaires d’Ephraïm3 de la communauté des béatitudes. Le Père Thierry de Roucy4 de l’association Point Cœur vient d’être condamné, ainsi que Mgr Mansour Labaky. Et en mai dernier commencent à être rendu publiques les « faiblesses » du Père Philippe, fondateur de la communauté 5 Trop c’est trop. Un doute s’installe. L’apostasie, le rejet de la foi va se répandre ?

Dans l’Eglise de France a souvent été répété une phrase de Marthe Robin qui non seulement avait annoncé la fin du communisme, mais avait parlé d’une nouvelle pentecôte sur l’Eglise. Et le surgissement de toutes les communautés nouvelles, dans différents pays, après Vatican II pouvait apparaître la réalisation de cette promesse. Mais cette confiance trop grande dans la réalisation d’un printemps de l’Eglise est une première forme de millénarisme. Il ne faut pas croire que nous allons avoir un âge d’or pour la foi chrétienne, un nouvel âge du Saint-Esprit, de triomphe de l’Eglise dans le monde, qui s’achèvera par la venue du Christ. Ce millénarisme fut celui de Joachim de Flore et condamné par l’Eglise en 1255. Voilà ce que nous rappelle le Catéchisme de l’Eglise Catholique (675-677) : « Avant l’avènement du Christ, l’Eglise doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur terre dévoilera le « mystère d’iniquité » sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité… L’Eglise n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa résurrection. Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Eglise selon un progrès ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Epouse. »

Ajoutons : « De ce jour-là et de l’heure, personne ne sait rien, ni les anges des cieux, ni le Fils, si ce n’est le Père seul. » (Mt 24,36; Mc 13, 32). Nul ne connaît la date de ce second avènement. Tous ceux qui annoncent la fin du monde se mettent à la place du Père. Par le passé, des sectes ont voulu donner une date et se sont trompées. De même que notre mort est certaine, imminente et inattendue, de même la fin du monde est certaine, mais nous ne savons pas quand le Christ va venir. Il ne s’agit pas tant de dire que la fin du monde n’est pas pour bientôt, il s’agit plutôt de ne pas croire qu’un âge d’or est pour demain. « Le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » (Lc 18,8) « Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre » (Mt 24, 12) Voilà comment Jacques Maritain 6 commente ce passage : « Le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? C’est lui qui a posé la question, faisant ainsi la part de la liberté humaine. On peut penser qu’alors, quoique l’Evangile ait été prêché partout, un tout petit troupeau seulement aura gardé la foi, une foi si ardente et si pure qu’elle compensera devant Dieu l’apostasie du grand nombre. »

Mais la tentation alors serait de passer d’un premier millénarisme, du triomphe de la foi, à un second où la foi ne se conserverait dans sa pureté uniquement dans « mon petit groupe ecclésial ». L’apostasie grandirait au dehors, mais quelques purs seraient sauvés au-dedans. Par un repli sur soi, le mal serait dans le monde et le bien dans notre petit groupe. Avec les différents scandales, nous voyons que ce second type de millénarisme ne tient pas. Pire encore, serait un déni de la réalité. Dire qu’il y a diffamation, complot de l’extérieur dans ces révélations ne permet pas d’avancer, mais enferme dans une forme de paranoïa. Le déni sur la réalité des faits ne ferait qu’aggraver la situation, car plus la prise de conscience se fait attendre, plus le retour au réel s’effectue douloureusement. Reconnaître les péchés dans l’Eglise est la seule manière pour avancer humblement en demandant la miséricorde du Seigneur. Voilà ce qu’affirmait Benoit XVI le mardi 11 mai 2010 de retour de Fatima : « Nous l’avons toujours su, mais nous le voyons aujourd’hui de façon réellement terrifiante : la plus grande persécution contre l’Eglise ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché dans l’Eglise. Par conséquent l’Eglise a profondément besoin d’apprendre à nouveau la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre non seulement le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne se substitue pas à la justice. »

La distinction entre le bien et le mal n’est, ni dans un après et un avant selon une première forme de millénarisme, ni dans un dedans et un dehors selon une seconde version, mais la frontière est en chaque homme maintenant. Le bon grain et l’ivraie sont partout, dans chacun des cœurs que Dieu veut sauver.

Jusqu’au jugement dernier on ne peut risquer de séparer le bon grain et l’ivraie, au « risque d’arracher le bon grain en même temps » (Mt 13, 29) La tentation de tous les faux messianismes religieux ou politiques serait l’épuration avant l’heure dans l’espoir d’une société parfaite qui risque de produire son contraire en arrachant même le bon grain, en détruisant le bien. « Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. » (Lc 1, 52-53) Ce chant de Marie décrit le combat, en chacun de nous, entre l’humilité et le désir de puissance, entre la pauvreté et l’orgueil.

Dans la Première épitre de saint Jean, sont évoqués les Antichrists. Et juste avant cela Jean nous fait part des trois désirs opposés au Christ. « Tout ce qui est dans le monde -la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie- vient non du Père mais du monde » (1 Jn 2,16). Jean-Paul II suggère que les trois « maîtres du soupçon », Freud, Marx et Nietzche, ont érigé en principe philosophique ces trois convoitises pécheresses (Catéchèse sur le corps du 29 octobre 1980). Freud en étudiant le désir, la libido érige la dimension sexuelle en absolue. Marx par son regard de jalousie sur les autres, son primat de l’économie transforme la lutte et la violence en principe ultime. Ajoutons trop brièvement ici que le marxisme et le libéralisme sont deux contraires d’un même genre : primat du travail, de l’économie, de la possession matérielle. L’un est l’exploitation de l’homme par l’homme et l’autre son contraire. Enfin, Nietzsche par sa volonté de puissance, fait du surhomme orgueilleux un aristocrate dont la pulsion vitale peut écraser les autres. Lorsque l’homme est laissé à lui-même, loin de Dieu et de la grâce divine, sa vie n’est plus que convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie. Les athées Freud, Marx et Nietzsche, décapitant l’homme de sa dimension religieuse, construisent une anthropologie qui réduit l’homme à ses pulsions les plus obscures.

Les trois vœux des religieux, chasteté, pauvreté et obéissance sont trois réponses aux trois convoitises. Alors que le monde semble gouverné par le sexe, l’argent et le pouvoir, le chrétien est appelé à vivre la tempérance, la simplicité de vie, l’humilité. Cette réponse par la chasteté, la pauvreté et l’obéissance aux trois concupiscences d’un cœur de l’homme blessé par le péché originel peut être mis aussi en relation avec les trois vertus théologales. L’amour est chaste.

L’espérance est pauvreté, désir de Dieu, manque et dynamisme vers l’Infini. La foi est écoute, humilité, obéissance. Ce qui choque dans les révélations récentes des scandales c’est que, là où on pensait voir un renouveau de la vie chrétienne, on découvre des hommes qui succombent aux trois tentations dont parle saint Jean. Si certains chrétiens sont plus immédiatement choqués par les abus sexuels, en fait les abus de pouvoir et l’aveuglement sur la barrière de l’argent sont tous aussi corrupteurs. Il est plus facile de voir le péché des autres que le sien. En tout cas, si les vœux de religion sont transgressés se pose la question d’une certaine négation des vertus théologales. Le sexe, l’argent et le pouvoir, dans un usage dévoyé, minent la charité, l’espérance et la foi.

Si la lucidité est nécessaire, une nouvelle tentation pourrait alors germer, celle du doute, de la colère, de l’apostasie. Reconnaître que le bon grain et l’ivraie sont partout est nécessaire, mais peut être pas suffisant. Ecoutons Bernanos nous donner un chemin dans un texte, Frère Martin7, qui concerne Luther. « Je me méfie de mon indignation, de ma révolte, l’indignation n’a jamais racheté personne, mais elle a probablement perdu beaucoup d’âmes… Qui désespère de l’Eglise, c’est curieux, risque tôt ou tard de désespérer de l’homme… On ne réforme pas l’Eglise par des moyens ordinaires. On ne réforme l’Eglise qu’en souffrant pour elle… Il est possible que saint François d’Assise n’ait pas été moins révolté que Luther par la débauche et la simonie des prélats. Mais il n’a pas défié l’iniquité, il n’a pas tenté de lui faire front, il s’est jeté dans la pauvreté… L’Eglise n’a pas besoin de réformateurs, mais de saints. … « Mon fils Martin, (dit la douce voix du Très-Haut) j’ai mis en toi cette amertume, prends garde ! C’est avec moi, par moi, en moi que tu souffres du misérable état de mon Eglise, ne va pas te prévaloir de cette souffrance devant moi… Pense à mon apôtre Paul, que tu aimes tant. C’était, lui aussi, un homme charnel, violent, téméraire et raisonneur. Comme il a fallu déraidir et assouplir son âme.… ‘Va, (dit le Seigneur à Ananie), car il (Paul) est un instrument que je me suis choisi, je lui montrerai combien il lui faudra souffrir pour moi.’ Dès le commencement, mon Eglise a été ce qu’elle est encore, ce qu’elle sera jusqu’au denier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l’épreuve et la consolation des âmes intérieures, qui n’y cherchent que moi. » » 8

En cette année de la foi, Seigneur, fais grandir en nous la foi, l’espérance et la charité. Jésus, doux et humble de cœur, rends nos cœurs semblables au tien. Ne nous laisse pas succomber à la tentation de s’éloigner de toi (apostasie). Que nous puissions déposer toutes souffrances au pied de ta croix dans la communion des saints.

Bertrand Souchard

  1. Exhortation apostolique Ecclesia in Europa, 28 juin 2003
  2. http://www.lenversdudecor.org/La-face-cachee-du-pere-Maciel.html; Xavier LEGER, Moi, ancien légionnaire du Christ : 7 ans dans une secte au coeur de l’Eglise, Flammarion, 2013
  3. Voir le témoignage de son ancien bras droit : http://www.lenversdudecor.org/L-enfer-des-Beatitudes.html
  4. http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Le-fondateur-de-Points-Caeur-reconnu-coupable-d-abus-sexuel-2013-04-09-934568
  5. Saint Jeanhttp://stjean.com/.
  6. De l’Eglise du Christ, p. 90-91
  7. Georges BERNANOS, Les prédestinés, Seuil, 1983, pp. 109-123.
  8. La connaissance de ce texte ainsi que l’inspiration de cet article est le fruit d’échanges avec Jean-Miguel Garrigues et de la lecture de son livre Le peuple de la première alliance.