Ainsi que mon estimé collègue Hadley Arkes l’a déjà souligné dans ces colonnes, la Cour Suprême du Nouveau Mexique a récemment prononcé un jugement à l’encontre d’Elaine Huguenin et de son mari, photographes d’Albuquerque qui, pour des raisons de conscience religieuse, ne voulaient pas mettre en œuvre leurs talents artistiques ni leurs ressources pour célébrer une cérémonie d’engagement entre personnes du même sexe.
En d’autres termes, ils pensaient que la rémunération qu’ils auraient reçue de leur client potentiel ne serait pas à la hauteur du préjudice que la participation à cette cérémonie aurait causé à leurs âmes.
Plusieurs auteurs, dont Hadley, ont expliqué les imperfections de cette décision et ce qu’elle laisse présager pour l’avenir de la liberté religieuse. Dans la ligne de ces critiques, je voudrais élargir un peu la portée de cette analyse en faisant ressortir certains commentaires de l’opinion de la cour qui révèlent une tournure d’esprit à laquelle les défenseurs de la liberté religieuse vont être confrontés dans un avenir prévisible, et que nous ignorons à nos risques et périls.
Ainsi qu’ils l’ont dit en première instance, les Huguenin ont soutenu qu’ils n’ont pas violé la loi sur l’interdiction de la discrimination de l’orientation sexuelle, puisque c’était la cérémonie et pas les dispositions sexuelles des deux parties, qui constituait le fond de leur décision. De la même façon qu’ils eussent refusé de photographier des acteurs hétérosexuels se contentant de simuler une cérémonie d’engagement de personnes du même sexe lors du tournage d’un film.
La cour a rejeté ce raisonnement : « [Q]uand une loi interdit la discrimination sur la base d’une orientation sexuelle, cette loi protège également les conduites qui sont inextricablement liées à l’orientation sexuelle », et donc inclut tous les attributs culturels de cette orientation.
Cependant, le statut qui permet aux Huguenin d’être poursuivis pour discrimination liée à l’orientation sexuelle interdit également « à toute personne en tout lieu public de faire une distinction, directement ou indirectement, en offrant ou en refusant d’offrir ses services à cause de… la religion ». Mais lorsqu’on applique le raisonnement de la cour à cette partie du statut, la distinction qu’ont faite les Huguenin entre client et cérémonie trouve tout son sens.
Imaginez par exemple une société de photographie juive orthodoxe qui ferme du vendredi après-midi jusqu’au dimanche complet. Un couple de fiancés catholiques contacte la société pour obtenir ses services. Le couple omet de mentionner que leur mariage est prévu le samedi 4 octobre 2014. Même si la société propose d’abord d’effectuer la couverture photographique de leur mariage, elle annule se proposition lorsqu’on lui indique la date. Ce n’est pas seulement un jour de Sabbat, mais la fête du Yom Kippour.
Le couple réalise que s’ils étaient juifs orthodoxes, ce conflit ne serait jamais survenu, parce qu’ils auraient choisi une date cohérente avec les croyances des photographes. Bien que le mariage catholique soit « une conduite inextricablement liée » au catholicisme (après tout, il s’agit d’un des sept sacrements), et bien que la société refuse ses services parce qu’elle ne peut pas, en conscience, participer le samedi à quelque cérémonie non juive que ce soit, encore moins le jour du Yom Kippour, personne n’en conclut que la société est injustement discriminatrice à l’égard des catholiques.
Parce que nous savons que ce n’est pas le catholicisme du couple qui est la raison du refus de la société. C’est plutôt la conscience religieuse de la société et son appropriation – de ce qu’elle requiert de quelqu’un qui veut servir Dieu de façon authentique – qui est la raison de son refus.
Et fait, si le couple catholique avait suivi l’exemple du couple lesbien qui a poursuivi les Huguenin, et porté plainte contre la société juive auprès d’une « commission des droits de l’homme » de l’Etat pour extirper un peu de « justice » pour n’avoir pas accepté ses exigences, nous penserions à bon droit que ce couple catholique est un intolérant intimidateur religieux.
Si la commission des droits de l’homme du Nouveau-Mexique était confrontée à un tel cas, la solution serait claire. D’abord, la commission renverrait à l’article 11 de la Constitution du Nouveau-Mexique : « Tout homme est libre de vénérer Dieu selon des prescriptions de sa conscience, et personne ne sera jamais importuné ni ne se verra refuser quelque droit civil ou politique, ou privilège, que ce soit au motif de ses croyances religieuses ou de son mode de pratique religieuse. »
Ensuite, puisque « acquérir, posséder et protéger la propriété » est un droit inhérent selon la même constitution (article 4), l’Etat n’a pas autorité pour confisquer les liquidités de la société juive au motif qu’elle suit « les prescriptions de [sa] conscience », puisque faire ceci reviendrait à lui refuser un « droit civil ou politique en raison de ses croyances religieuses. »
Troisièmement, comme il est raisonnable de penser que la société juive ne pratique pas de discrimination contre le couple catholique parce qu’il est catholique, la firme juive ne s’est pas lancée dans une injuste discrimination religieuse et ne viole donc pas la loi anti-discrimination de l’Etat.
Un tel raisonnement était utilisable par les trois tribunaux qui ont eu à traiter du cas Huguenin, et pourtant, aucun ne l’a fait. Pourquoi ? Je soupçonne que c’est simplement parce qu’ils ne comprennent pas ce que signifie pour un croyant d’être animé par une conscience placée sous une autorité à laquelle il ne peut pas désobéir. Le juge Richard C. Bosson, par exemple, écrit un avis concordant : « les Huguenin sont libres de penser, de dire, de croire, et comme ils le souhaitent, ils peuvent prier le Dieu de leur choix. »
Mais un « Dieu de votre choix » ne peut pas fonder une religion de la conscience. Si les croyances religieuses sont équivalentes à de simples marchandises – choisies comme on choisit une automobile ou une boîte à outils « Home Depot », selon ses goûts et ses besoins -, alors ces croyances ne peuvent se référer à une autorité supérieure sur laquelle celui qui choisit n’est pas souverain.
Un « Dieu de votre choix » est aussi bien placé pour fonder une conscience qu’une bande de cambrioleurs serait qualifiée pour être les auteurs d’un corpus juridique sur le droit de propriété.
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études sur les relations Eglise-Etat, directeur associé du programme d’études de philosophie, et titulaire à l’Institut pour les études sur les religions de l’Université Baylor.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-judicial-cheapening-of-conscience.html
Illustration : St George devant Dioclétien (fresque du monastère d’Ubisi, vers 1350)
Pour aller plus loin :
- CEDH : Une régression de la liberté de conscience et de religion en Europe.
- Battements de cœur fœtaux et imagination judiciaire
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