– « La langue française est mal enseignée, et trop de jeunes Français sont illettrés, trop le sont à demi : et plutôt que de soumettre les enfants du primaire à des enseignements sexualistes on ferait certainement une meilleure politique en activant des réformes qui leur permettraient à la fois de connaître les règles de la grammaire et de posséder un vocabulaire riche et varié ainsi que les techniques de l’expression orale et écrite car ils en ont absolument besoin. On ne sait que trop qu’un pourcentage élevé des jeunes en possession du bac ne disposent pour tout bagage lexicologique que de moins de mille mots… pauvreté qu’ils n’ont jamais pu réduire au collège comme au lycée… pauvreté qui sera pour eux et pendant toute leur vie une véritable invalidité.
L’injustice est ici criante, inadmissible, un fléau désespérant.
À l’heure des jeux sur ordinateur, qui véhiculent le plus souvent une langue basique mélangeant sans vergogne les termes et les tournures grammaticales du français comme de l’anglais sans se soucier de l’exactitude ni de la nécessaire compréhension de ce qui est écrit1, est-il concevable de penser retrouver la beauté et la précision de notre français parlé grâce à un enseignement enfin rénové après tant d’années de recul et de désastres ? (On sait pourtant que la fécondité conceptuelle dépend de l’outil linguistique correctement possédé, de même qu’il n’y a pas de concomitance de transmission efficace entre savoirs s’il n’y a pas prise de conscience de la nécessité d’un bon outil d’expression … Ce point se vérifie particulièrement chez les matheux…)
Que nos enfants continuent d’être immolés sur l’autel de la prétention pédagogique étatisée ne semble gêner personne tout au haut de l’édifice gouvernemental : il est vrai que la démocratie est bonne fille et ne fait jamais payer leur incompétence à ceux qui pourtant devraient être « bien » formés avant de postuler ces postes de haute responsabilité humaine… Pas davantage d’ailleurs leur entêtement à fréquenter les impasses à ceux qui n’ont en vue que leur propre gloire de carriéristes et non l’intérêt général.
Entêtement qui parfois exigerait la démission collective de ceux qui briguent nos suffrages en honnête compagnie : les dirigeants des syndicats d’enseignants donnant la main dans l’allégresse de leurs brillants exploits aux présidents et secrétaires généraux de certaines associations de parents d’élèves.
Je vise ici l’extraordinaire succès du refus têtu des réformes intelligentes dont on devine sans être grands clercs qu’elles auraient l’avantage immense de sortir enfin de l’immobilisme conservateur pratiqué avec une maestria confondantes par un corps d’enseignants farouchement attachés à ce qui ne marche pas dans leur façon d’enseigner2 : voir l’attachement idéologique à la méthode globale qui subsiste en maints établissements… On n’appartient pas à l’espèce mammouth sans que s’ensuivent des conséquences fâcheuses…
Reste donc qu’il est urgent de redonner la parole aux Français avec l’amour de leur langue, leur patrie immatérielle. L’énergie aussi pour la servir, dans la modestie et la générosité. Il y va de leur propre avenir : encore faudrait-il être en mesure de le leur faire savoir… ce qui semble une mission quasi impossible dans un système cadenassé par le pouvoir occulte de la Gauche, aussi bien franc-maçonne que marxiste, dont les gros médias sont les serviteurs zélés.
Depuis les années 80 et d’une façon qui s’est accentuée d’année en année, la langue française a, peu à peu, été exonérée de l’obéissance rigoureuse que nos maîtres d’autrefois exigeaient envers la grammaire et le vocabulaire. L’ignorance aujourd’hui généralisée de la concordance des temps et du respect dû aux participes présent et passé en est un des signes. On entend dire « La route que j’ai fait a été vraiment pénible » ; on lit souvent « les prétentions exagérés, (sans ‘’e’’ donc), de tel ou tel », etc..
Quant aux vocables aux consonances anglo-saxonnes, c’est le ‘’raz-de-marée’’, terme qui semble oublié au bénéfice de ‘’tsunami’’… J’avais en 1985 établi un court lexique du franglais, d’environ 250 mots, à la fin de Langue française à l’épreuve : je vais vous en citer quelques-uns. J’étais alors très remonté contre ‘’advertising’’, ‘’after-shave’’, ‘’air conditionned’’, ‘’autocheck’’, ‘’baby sitting’’, ‘’barmaid’’ et ‘’barman’’, ‘’batché’’ qui n’offrent aucun avantage par rapport à ‘’technique publicitaire’’ ou ‘’publicité’’, ‘’après-rasage’’, ‘’climatisation’’ ou ‘’air climatisé’’, ‘’contrôle technique’’, ‘’garde d’enfant’’, ‘’serveuse’’ et ‘’serveur’’ (ou ‘’garçon’’…), ‘’échantillonné’’…
Que penser de ‘’duty free shop’’, de ‘’maison et jardin scope’’, de ‘’trazazul’’, de ‘’car-ferries’’, dont on se demande s’il s’agit ou non d’un pluriel…
En français, le suffixe age équivaut au suffixe anglais ing. Il aurait été facile et logique d’écrire par exemple ‘’parcage’’ (ou ‘’stationnement’’ comme disent nos cousins du Québec) plutôt que ‘’parking’’ ; ‘’caravanage’’ et non ‘’caravaning’’ ! ‘’Dressing’’, est-ce un mot utile quand nous disposons de ‘’placard’’ ? Il suffisait de laisser le mot s’accoutumer à l’espace…
Pourquoi entendre si souvent parler de ‘’body-suit’’ alors qu’il s’agit d’un simple ‘’sous-vêtement’’ ? Faut-il préférer ‘’black-out’’ à ‘’couvre-feu’’, ‘’snipper’’ à ‘’tireur d’élite’’, ‘’check up’’ à ‘’bilan de santé’’, ‘’check point’’ à ‘’point de contrôle’’, ‘’streap-teaseuse’’ à ‘’effeuilleuse’’, ‘’sportswear’’ à ‘’vêtement de sport’’ ? Nous usons souvent de ‘’boss’’ pour désigner le ‘’patron’’, de ‘’job’’ pour désigner un ‘’boulot’’… Pourquoi avoir adopté ‘’casting’’ quand on avait commencé par ‘’audition’’, avec l’espoir de figurer dans la distribution des rôles dans un spectacle : n’est-ce pas aussi clair que ce ‘’casting’’ auquel on fait confiance sans savoir ce qu’il dit réellement ?
Autre incongruité dans notre répertoire de mots fous : ‘’cash-trapping’’ ! « To be paid in cash » se traduit en français normal par ‘’payer comptant’’… L’expression pourrait se traduire par « piège pour vol comptant » Trois syllabes contre six. Faut être plus court, notre époque exige le rapide, le bref, fut-ce au prix de la stupidité… ‘’Cash-trapping’’ évoque un piège placé dans la trappe d’un distributeur de billets de banque… mais le distributeur en question n’est pas évoqué… On devrait se satisfaire sans problème de ‘’piège-comptant’’… ou de ‘’vol au comptant’’. ‘’Piège attrape-sous » ? Certes, ‘’cash’’ est entré dans les dictionnaires, mais c’est au prix du quasi abandon de ‘’payer comptant’’…
En informatique, nous ne sommes toujours pas débarrassé des stupides ‘’hard’’ et ‘’soft’’, alors qu’avec ‘’matériel’’ et ’’immatériel’’ informatiques, on se retrouve apte à comprendre de quoi il retourne… Dans ce domaine, nous avions été menacé de travailler sur des ‘’computeurs’’ : par bonheur l’’’ordinateur’’ l’emporta… Je n’oublie pas qu’existe le détestable ‘’hard rock’’ : je ne sais pas si l’on est allé jusqu’à ‘’soft rock’’…
Il est vrai qu’en ce domaine la presse spécialisée est infiniment coupable, reprenant sans sourciller tous les mots qui surgissent de l’infatigable virtuosité des anglophones à fabriquer des mots dont il est impossible de savoir d’emblée ce qu’ils peuvent signifier… ce qui rend particulièrement pénible pour les Français d’entrer dans le détail d’ouvrages écrit en français mais truffés de ces termes triplement étrangers : par le son, l’orthographe et le sens…
Les économistes ne sont pas en reste : il est si agréable de faire savoir outre-Atlantique que l’on possède le vocabulaire de Wall Street alors que l’on s’adresse à nous autres pauvres diables demeurés en France. Le mieux, cependant, ne serait-il pas d’avoir le minimum de culture nécessaire pour traduire, soit avec une périphrase soit avec un néologisme ? Il m’arrive de lire le supplément saumon du Figaro : certains articles me sont étrangers car truffés de ces dénominations ‘’wall-sreetienne’’ qui surgissent mystérieusement et dont la prétention ne saurait cacher que l’on peut les nommer avec plus de simplicité et de précision avec nos mots anciens ou nos néologismes.
Certains de ces concepts calamiteux furent les détonateurs de la crise de 2008… On les aurait ici traduit correctement et décryptés jusqu’en leurs tréfonds idéologiques que peut-être le désastre eut été moins profond.
Un quidam de ce milieu m’a dit un jour : « Ces expressions, américaines le plus souvent, sont intraduisibles ». Rien n’est jamais vraiment intraduisible : si un seul terme ne suffit pas, une périphrase l’emportera. Évidemment, c’est l’enfance de l’art, chez les anglo-saxons, que de fabriquer des mots et des périphrases des plus approximatifs quant au sens : il suffit encore de faire savoir ce que ces expressions signifient. C’est aussi une des façons d’imposer l’angloricain, et même de donner à ceux qui le possèdent à fond, c’est-à-dire les anglo-saxons, un avantage de productivité d’environ 5%, comme l’a calculé un économiste français. Mais tous nos industriels ne manquent jamais de se livrer entre les mains des négociateurs états-uniens qui sauront toujours mieux qu’eux la langue de ces négociations…
Dominique Daguet
Pour aller plus loin :
- On peut faire la même remarque au sujet de produits importés, dont les notices sont si barbares qu’il est souvent impossible de savoir comment s’en servir… Il existe une loi rendant obligatoire le respect dû aux citoyens consommateurs, mais on dirait qu’il n’y a personne pour la faire respecter : en vérité, depuis le vote de cette loi, la situation s’est aggravée considérablement. Il me vient parfois l’envie extrémiste de saccager les hyper et super magasins qui parcipent allègre(ment) à cette décadence dont nos dirigeants se moquent non moins allègrement.
- Il est toujours question de « réformer » l’enseignement : les retouches faites sont microscopiques, et jamais on ne s’attaque à la réforme de base qui serait de revenir à des fondamentaux non idéologisés. Un apprentissage de la lecture et de l’écriture selon une pédagogie non dévastatrice ; un enseignement de l’Histoire non politisé et respectueux de la chronologie, de la géographie sans lunettes marxistes etc.