Un rappel historique: la prohibition chez les catholiques. - France Catholique
Edit Template
« Ô Marie conçue sans péché »
Edit Template

Un rappel historique: la prohibition chez les catholiques.

Copier le lien

La chasse aux boissons alcoolisées en Amérique débuta pendant la Guerre d’Indépendance. Les militaires sont des buveurs. En fait, armée et marine — tout au moins dans le monde occidental — avaient presque toujours dans leurs conditions de recrutement l’allocation d’une ration quotidienne de rhum ou de whiskey. À ceci une bonne et simple raison : l’eau potable était rare. Samuel Butler écrivait: « Quand l’eau est douteuse, il vaut mieux ne pas en boire avant de l’avoir filtrée soit sur un lit de raisin pressé, soit sur un lit de malt. Ce sont les filtres les plus efficaces connus. »

En ce temps-là, comme actuellement, boire l’eau d’un torrent est réputé dangereux, sinon mortel. Il y a quelque temps, pêchant à la mouche dans la rivière Gallatin, je pris dans le creux de la main une gorgée de l’eau limpide, et mon guide a hurlé: « ça ne va pas, la tête?» L’eau des rivières et des torrents regorge de bactéries.

Les puits artésiens sont très rares, et distants.

Au début de la conquête de l’Ouest, une certaine forme d’alcool était essentielle à la survie dans les premières années de l’installation sur les nouvelles terres, jusqu’à la venue d’équipements facilitant le creusement de puits. John Chapman, alias Johnny Appleseed [Jeannot Graine de pommier] gagna sa vie en précédant les colons : il créa et développa des pépinières de pommiers; les pionniers pouvaient ainsi acquérir et planter des plants sur leurs nouvelles terres, se conformant à la règle de l’Ordonnance de 1787 sur l’usage des terres, où des vergers étaient obligatoires. Mais un pommier a besoin de temps pour porter des fruits (2 à 5 ans) et produire du cidre — toujours « brut » — et la première récolte pouvant produire une boisson, le whiskey [ne pas confondre avec le whisky, exclusivement du Scotch] était le maïs.

Et nombre d’Américains — souvent même des enfants — étaient éméchés (sinon ivres) presque tout le temps, d’où les discours appelant à la tempérance, et réclamant même la prohibition.

Mais ces appels sont restés pratiquement lettre morte jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, les brasseurs immigrés et bouilleurs de cru locaux couvraient alors l’ensemble du territoire ; mais en même temps les progrès scientitiques et industriels rendirent possible la prohibition : la généralisation de la stérilisation (pasteurisation) et la réfrigération permettaient soudain d’avoir, entre autres choses, de l’eau potable.

En vérité l’alcoolisme était endémique et — la presse populaire publiant des récits épouvantables d’hommes et femmes dans la débauche, de familles brisées, d’horribles crimes, allant en ce sens — le sentiment général qu’il fallait faire quelque chose se développa. La « troisième vague » du mouvement pour la tempérance débuta en 1893 avec la création de la Ligue Anti-Saloon à Oberlin (Ohio), et, soyons brefs pour cette longue histoire, en une vingtaine d’années le Mouvement avait assez d’élan pour proposer au Congrès et obtenir la ratification dans les États du Dix-Huitième Amendement [à la Constitution] (applicable le 17 janvier 1920) rendant illégaux « la production, le transport et la vente 1 d’alcool ».

Y avait-il dans ce Mouvement des relents d’anti-catholicisme, peut-être même de contrôle nataliste ? Sans doute. Le groupe qui plus que tous autres fit aller de la tempérance à la prohibition, l’Union des Femmes Chrétiennes pour la tempérance (WCTU), était aussi raciste et eugéniste.

Mais il existait aussi un mouvement catholique pour la tempérance.
L’Encyclopédie Catholic Encyclopedia de 1913 — antérieure à la prohibition — cite et approuve l’aile catholique du Mouvement pour la Tempérance, qui vit le jour lors de la visite aux USA du Père Theobald Matthew en 1849. Le Père Theobald Matthew était connu comme le « prophète de la tempérance Irlandaise », prophète mieux connu en Amérique que dans son propre pays. Il n’était que le deuxième étranger admis à entrer dans la Chambre des Représentants [le Congrès, à Washington] (le Marquis de Lafayette était le premier) et il fut fêté par le Président Zachary Taylor. Pensons en lisant l’histoire des immigrants irlandais prononçant le serment d’allégeance que tout commença par le parcours du Père Theobald Matthew à travers les États-Unis : 60 000 km, visitant 35 États (sur les 40 des USA à cette époque), et un demi-million de serments prononcés en renonciation à la boisson:

« Notre idée dominante est la persuasion morale. Des lois d’interdiction, des systèmes de licences restrictives, une législation particulière, nous n’en avons rien à faire. L’idée doit se joindre à notre projet d’organisation d’aide mutuelle. Tempérance et bénévolat doivent aller de pair.»

D’autre part, l’Union fit savoir qu’elle ne ferait pas obstacle à des lois enjoignant la fermeture de distilleries de gin.

L’Union reçut des papes (dont Léon XIII et Pie X) de nombreux messages d’encouragement, mais de ces messages comme des déclarations de l’Union on peut dire que la tempérance pour les catholiques avait pour but de réduire la consommation des spiritueux et non d’interdire la bière ou le vin. Comme le déclarait saint Pie X, l’ennemi était l’abus des boissons fortes. Notons que tous deux, Léon XIII et Pie X étaient amateurs de Vin Mariani — un Bordeaux dans lequel avaient infusé des feuilles de coca (10° d’alcool et 8,5% d’extrait de cocaïne en volume), présenté comme fortifiant pour le corps comme pour l’esprit. Léon XIII autorisa la publication de son approbation avec son portrait. [Cf. l’illustration]

Contrairement aux diverses sociétés protestantes de tempérance, l’Union est restée exclusivement masculine pendant les quarante premières années de son existence. Dans une notice dont je n’ai vu nulle part l’équivalent, l’antique Encyclopédie Catholique rend hommage à Frances E. Willard, femme classique du dix-neuvième siècle, méthodiste progressiste, présidente (1879-1888) de l’Union des Femmes Chrétiennes pour la tempérance (WCTU) : « une femme douée d’un fort caractère ». Compliment de première classe à une blanche « pur sucre », anti-catholique et eugéniste.

Mais les rédacteurs de l’article « Mouvements de tempérance » de l’Encyclopédie auraient pu se douter des effets produits par les bonnes intentions citées. On peut se demander comment la période de chaos de la Prohibition se serait passée si, au lieu des règles d’un puritanisme nationaliste on avait appliqué les principes plus supportables de subsidiarité et de comportement responsable.

— –

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/a-brief-history-of-catholic-prohibition.html

  1. (mais non pas la consommation ni la détention à titre privé)