Quand j’étudiais la philosophie à l’université de Iona au début des années 1970, mon mentor était le distingué philosophe thomiste, le Dr. Larry Azar. Ce professeur avait obtenu son doctorat à l’Institut Pontifical d’Etudes Médiévales de l’université de Toronto et avait été le camarade de classe et l’ami de toujours de Ralph McInerny – co-fondateur du journal The Catholic Thing. Azar avait été l’élève d’Etienne Gilson, Anton Pegis, et Armand Maurer et l’assistant de Jacques Maritain à l’Institut d’Etudes Avancées de Princeton.
J’ai suivi tous les cours donnés par Azar, et nous sommes restés très proches jusqu’à sa mort en 2007. J’ai parlé à sa messe de requiem et sa veuve, Pat, m’a demandé d’examiner ses papiers et de disposer de sa bibliothèque. Un bon nombre de jeunes prêtres et de séminaristes peuvent maintenant bien profiter des œuvres les plus importantes de St Thomas d’Aquin dans des éditions en latin et de dizaines d’œuvres du Docteur Angélique ou d’ouvrages à son sujet.
L’an dernier, Madame Azar est morte et je suis devenu l’administrateur de ses biens. Quand j’ai vidé la maison des Azar à New Rochelle, je suis tombé sur des photographies de Pat et de moi que j’avais oubliées depuis longtemps. Nous rendions visite à Malcolm Muggeridge chez lui en Angleterre en novembre 1988. Après cette rencontre, j’avais écrit longuement et j’ai trouvé mes notes dans un livre de Muggeridge autographié par le grand homme.
En 1988, Madame Azar, professeur d’anglais à la retraite, et moi sommes allés au Royaume Uni pour examiner les papiers du grenier de « Top Meadow », la maison de Dorothy Collins, feue l’exécutrice testamentaire de la propriété littéraire de G.K.Chesterton. Nos travaux avaient à faire avec les Collected Works of G.K.Chesterton que les Editions Ignatius publient depuis 1986.
Pendant notre voyage, nous sommes allés à Oxford rendre visite à Walter Hooper, l’exécuteur testamentaire des œuvres littéraires de C.S. Lewis. Il venait de « franchir le Tibre1 ». Walter qui se nommait lui-même avec fierté « mackerel snapper2 » nous a donné le numéro de téléphone d’un autre converti, le journaliste de renommée mondiale , Malcolm Muggeridge, et m’a encouragé à l’appeler.
C’est le fils de Muggeridge qui a répondu au téléphone. Je me suis présenté et j’ai demandé s’il serait possible de leur rendre visite. Son fils a dit qu’ils seraient ravis d’avoir de la compagnie, et j’ai pris rendez-vous pour aller le lendemain à Parks Cottage à Robertsbridge – la maison des Muggeridge depuis 1958.
Quand Madame Azar et moi sommes arrivés, ce monsieur de 86 ans est venu à notre rencontre et nous a serré la main fermement. Ses yeux bleus brillants nous étaient familiers ainsi que son halo de cheveux blancs comme neige – le familier « St Mugg » connu de ses lecteurs.
Nous nous sommes assis auprès du feu exactement en face de lui parce qu’un des ravages du temps était sa surdité croissante. Comme a dit Muggeridge une fois en citant Charles de Gaulle, « la vieillesse est un naufrage. » Sa femme, Kitty, en conclusion, a déclaré d’une manière moins pittoresque : « Les vieux devraient s’endormir tranquillement et mourir. » Elle avait décidé de ne pas faire soigner ses cataractes.
Muggeridge a commencé la conversation en disant : « Je suis vieux, et quand vous atteignez les 80, 90 ou 100 ans, vous commencez à oublier les choses. Alors, si j’oublie quelque chose, soyez patients avec moi, et quand je m’en souviendrai, nous y reviendrons. »
La conversation a brièvement traité de sujets temporels : « Je crois que l’on regardera Ronald Reagan comme un président honorable et efficace, » a-t-il dit. Il m’a demandé comment je voyais l’avenir pour Reagan quand il prendra sa retraire et quand j’ai dit que je pensais qu’il continuerait à promouvoir ses principes en donnant des conférences, il a paru heureux que ce « vieil homme »reste actif.
Il a continué à parler des personnes qu’il aimait particulièrement : « Mère Teresa est très âgée ; elle devrait en faire moins, mais cela n’arrivera pas, » a-t-il dit . « Je suis convaincu qu’elle tombera morte pendant qu’elle s’occupe d’un mourant. »
Sur l’archevêque Fulton Sheen que Muggeridge avait rencontré un mois avant la mort de Sheen en 1979 : « C’était une rencontre de deux vieux et je n’ai jamais oublié ce que Sheen m’a dit – ‘La Chrétienté est finie, mais pas le Christ,’ » phrase qu’il a répétée sans cesse pendant notre conversation.
Nous sommes passés à des sujets sociaux : « L’avortement et le mouvement pour les droits des homosexuels sont les deux mauvais problèmes de notre temps, » a-t-il dit. Je lui ai décrit la faillite morale de la ville de New York et il a répondu : « Le diable est quelqu’un de très important et de très malin, surtout à New York. Et il trompe beaucoup de New Yorkais en les convainquant qu’ils sont très intelligents. »
A 13 heures, Kitty a annoncé que Pat Azar et moi restions pour le déjeuner – une simple collation végétarienne sur la table de bois des Muggeridge : fromage, pain, tomates, fruits et jus de citron. Avant la fin du déjeuner, Kitty a préparé pour Malcolm une boisson peu appétissante faite de crème, yogourt et fines herbes. Quand elle est sortie de la pièce, il a fait un clin d’œil à Pat Azar et a dit avec un grand sourire : « Oh, aidez-moi à boire cela » Elle a accepté.
Nous nous sommes séparés comme si nous étions de vieux amis. Alors que nous nous éloignions, j’ai lu l’inscription qu’il avait écrite dans son livre, Jesus : the Man Who Lives [Jésus, l’homme qui vit]. « Que Dieu bénisse Jésus – qu’Il prospère. »
Malcolm Muggeridge, qui a écrit dans Confessions of a Twentieth Century Pilgrim [Confessions d’un pèlerin du vingtième siècle] qu’il « aspirait à partir, » est mort deux ans après notre rencontre – au jour près – le 14 novembre 1990. Le bon Dieu lui a accordé ce qu’il souhaitait, l’occasion de « dégager mon esprit fatigué des énigmes interminables et mon ego fatigué de ses ennuyeuses demandes. »
Photo : Malcolm and Kitty Muggeridge
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/memories-of-malcolm-muggeridge.html