Dans un article récent sur Slate, Dahlia Lithwick a évoqué la terreur croissante exercée par les employeurs « imposant » leurs croyances religieuses à leurs employés. Bien que certains puissent penser que le mandat tyrannique exercé par le Département de Santé et de Services Sociaux est un cas tout à fait net d’ingérence dans la vie privée des citoyens, Lithwick voit cela d’un autre œil.
Pour elle, le vrai problème est la menace hypothétique que constitueraient des employeurs imposant leurs croyances à leurs employés. Polarisée par cette inquiétude, elle ne redoute pas que les tribunaux, en interprétant le mandat HHS, en viennent tout au contraire à permettre aux employeurs de priver leurs salariés de thérapies ou de traitements, et à rendre leurs croyances religieuses « sans importance ».
Elle écrit que « la garantie de liberté religieuse inscrite dans la Constitution était destinée à protéger des minorités fragiles de fardeaux religieux écrasants imposés par les nantis et les puissants. » Que Lithwick voit la liberté religieuse uniquement comme une protection pour les fanatiques, devant céder finalement devant les bonnes âmes qui ont « œuvré pour atteindre l’équité et l’égalité fondamentale en s’accommodant des croyances religieuses » ne fait que souligner son manque d’intérêt pour la protection de la pratique religieuse.
Bien sûr, le Premier Amendement se réfère clairement au « Congrès » et non pas à quelque groupe particulier de nantis ou de puissants. Et même, ce que Lithwick a apparemment oublié, les protections constitutionnelles nous protègent du gouvernement, et non pas les uns des autres, excepté quand nous agissons au nom de l’Etat. La préoccupation première des Pères Fondateurs concernait la violation de la liberté religieuse par le gouvernement fédéral.
Les Etats furent inclus bien plus tard, mais Lithwick réfute cette partie de l’histoire. Durant des décennies, même la contrainte de l’Etat sur la foi religieuse était correcte, aussi longtemps qu’elle n’a pas été nationale. Quand le Premier Amendement s’est également appliqué aux états, la préoccupation était la même. Le gouvernement ne devait pas, par son pouvoir coercitif, violer ou contraindre les consciences.
Lithwick a donc tout faux. Elle semble laisser entendre que « les nantis et les puissants » sont une population religieuse qui cherche à imposer de force aux autres un fardeau religieux écrasant. Mais bien que les employés aient le droit de négocier avec leur employeur ou de chercher un autre emploi, Le HHS impose sa vision nationale sécularisée, avec des exemptions limitées et quasi inapplicables.
Quoi qu’il en soit, « les nantis et les puissants » – tels que les professeurs de droit, les magistrats, les médias et les établissements de divertissement – sont tous du côté du mandat et du laminage de la pratique religieuse. Et nous voyons arriver des procès intentés par des particuliers contre des tiers pour les obliger à agir contrairement à leur foi.
Donc Lithwick semble avoir ignoré ce qui se passe actuellement au profit d’un croquemitaine en grande partie imaginaire. Quand bien même aurait-elle eu raison dans son interprétation du but du Premier Amendement, elle aurait dû réclamer plus de liberté religieuse et non moins.
Elle illustre l’opinion des élites sur la liberté religieuse. Pour les tenants du mandat HHS, le gouvernement n’agit pas comme un arbitre dans des litiges entre particuliers, mais il impose sa volonté et ce qu’il considère comme les préoccupations collectives concernant ces libertés inscrites dans la Constitution. L’événement ayant déclenché la réflexion de Lithwick est l’affaire Conestoga Wood Specialties Corporation contre le HHS, que la Cour d’Appel Fédérale a tranché le mois dernier. Dans cette affaire, la majorité, malgré une opposition vigoureuse, a statué que Conestoga, une entreprise à but lucratif, ne pouvait se prévaloir de la protection de sa liberté religieuse, et devait donc se soumettre au mandat HHS.
Dans une situation semblable, la dixième cour a statué en faveur de Hobby Lobby, une société non côtée comme Conestoga, mais au capital détenu par des gens qui voient leur entreprise comme le prolongement et le reflet de leurs convictions religieuses. Cette cour d’appel a estimé raisonnable qu’une petite société à but lucratif puisse exprimer les convictions religieuses de ses propriétaires. Un tel hiatus entre les décisions de deux cours d’appel est susceptible d’une révision par la Cour Suprême, surtout que des douzaines d’affaires similaires sont en cours.
De l’aveu général, cela semble une affaire difficile. Comment une société peut-elle exercer une religion ? La majorité dans le cas Conestoga a noté qu’il y avait peu voire pas du tout de précédent quant à une décision sur la portée du Premier Amendement dans le domaine de la liberté et des privilèges accordés aux entreprises privées à but lucratif. Se basant en partie sur cela, mais notant que les entreprises ont de longue date été reconnues comme ayant droit à la libre expression, la majorité a conclu :
« Nous ne sommes pas en mesure de déterminer que la nature, l’histoire et le but de la clause de libre exercice appuient la conclusion que les sociétés laïques à but lucratif sont protégées en vertu de cette disposition constitutionnelle particulière. Même si nous devions faire abstraction de l’absence de reconnaissance historique de ce droit, nous ne pouvons tout simplement pas comprendre comment une société à but lucratif – en dehors de ses propriétaires – peut exercer une religion. »
Donc, la pratique religieuse est uniquement un droit humain individuel, qui ne peut pas s’exprimer sous forme d’entreprise, ou tout du moins pas sous forme d’entreprise engrangeant des profits, puisque le raisonnement de la majorité serait également applicable aux entreprises à but non lucratif comme les églises, que la majorité met pourtant à part avec une gêne embarrassée.
Les contestataires se sont insurgés contre cette analyse et ont fait savoir que les caprices du code des impôts — selon que l’entreprise est ou non à but lucratif — ne devraient pas déterminer les droits constitutionnels. Et l’opinion de la majorité ne tient pas compte du fait que si les sociétés ne peuvent pas « prier » ou recevoir les sacrements, elles ne peuvent pas non plus « faire grève ou marcher sur le Capitole » mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient privées de liberté d’expression.
Le regard de la majorité ou de Lithwick sur le cas Conestoga est qu’une société à but lucratif ne peut pas être une personne morale dotée de droits constitutionnels. Et les partisans du mandat HHS se sentent libres de restreindre la liberté religieuse aux sociétés à but non lucratif. Ces deux visions des choses souffrent de la même faiblesse : elles placent tout le pouvoir de définir ce qu’est la pratique religieuse dans les mains de l’Etat, desquelles la Constitution l’avait précisément ôté.
Source : Elite Fear of Religion : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/elite-fear-of-religion.html
illustration : Conestoga Wood Specialties: du mauvais côté selon les critères administratifs
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?