Anne Muggeridge, toujours dans son analyse d’un des mythes des modernistes démythologisants, fournit au théologien George Tyrell assez de corde pour qu’il puisse se pendre.
Tyrell, comme Rudolf Bultmann sur sa fin, pensait qu’une résurrection d’entre les morts était impossible d’un point de vue historique.
Je ne sais pas pourquoi cela le serait. Si je crois que Dieu a créé l’univers, et le maintient à chaque instant par Sa volonté créatrice, il semble absurde de nier qu’Il ait pu relever le Christ d’entre les morts. Mais Tyrell cherche à déplacer la Résurrection du monde encombrant de l’histoire à la terre amusante de la psyché.
Oui, les événements de Pâques furent réels, dit-il, mais de quel genre de réalité parlons-nous ?
Sont-ils déterminés par l’avec ou par le sans, appartiennent-ils à cette série de séquences ordinaires qui existent pour tous, ou à celle qui n’existe que pour un seul ? Révèlent-ils ce que nous appelons le monde extérieur, ou l’esprit et la foi du spectateur ?… Ce qu’ils ont vu était-il une vision, l’auto-réalisation spontanée dans une imagerie apocalyptique familière, ou bien leur foi en Son triomphe spirituel et en sa résurrection, dans l’ordre transcendant et éternel – une vision qui fut externalisée par la très grande intensité de leur foi, qui parut quelque chose donné de l’extérieur, une vision qui fut raisonnée et symbolique d’une réalité qui, même perçue de l’intérieur, n’était en aucune manière subjective, une vision qui fut divine, simplement parce que la foi qui la provoqua était divine.
Muggeridge répond : « Il est plus facile de croire en une résurrection physique qu’en cette extraordinaire construction. »
Le résultat : la Résurrection est leur œuvre, pas celle de Dieu. Leur foi (Mandrake le Magicien fait des gestes hypnotiques) était si forte qu’elle a fabriqué la réalité.
« Vous avez toujours le pouvoir de relever votre ami de la mort, dit Glinda, la bonne sorcière du Nord, tapotez vos chaussures trois fois et dites : « il n’y a aucun lieu qui soit comme Rome. » »
Qu’y a-t-il à saisir dans les idées élevées de Tyrell ? Est-ce que Jésus n’était pas le Verbe incarné ? Pourquoi la Résurrection du Verbe incarné serait-elle si délicatement désincarnée ? La religion juive n’affirme-t-elle pas à la fois la transcendance de Dieu et son intimité, ses œuvres merveilleuses pour un peuple choisi, dans l’Histoire, par des moyens ou des choses parfaitement tangibles – l’eau, le feu, l’Arche d’Alliance, les trompettes, la manne, les cailles, le pain, l’huile, et même des grenouilles et des sauterelles ? N’est-ce pas précisément ce que les Grecs « modernistes » de cette époque trouvaient si scandaleux dans le judaïsme ?
Au moins, Tyrell considérait que les apôtres n’étaient pas des menteurs mais qu’ils étaient fous – des durs à cuire de fort tempérament, pas enclins à la crédulité (Jésus leur reproche constamment leur peu de foi), qui voient le Seigneur en des lieux variés, à des moments variés, lors de rencontres qui, sauf la brume des rêves, n’ont jamais perdu leur force mais qui étaient aussi réelles et solides que de la pierre, même si elles étaient surprenantes et inattendues.
Pierre dit : « Car ce n’est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l’Avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été des témoins oculaires de Sa majesté. » (2 P 1,16). Jean déclare : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie » (1 Jn, 1,1).
Là, dans les mots des apôtres, se trouve le calme béni de la certitude. Ils ne cèdent pas à la fantaisie de consolider un rêve déclinant, ils ne se battent pas pour garder leurs esprits dans la ligne.
Jean écrit avec une simplicité désarmante : « En ceci est manifesté l’amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par Lui. » (1 Jn 4,9).
L’auteur de la lettre aux Hébreux, avec une vue qui traverse les siècles, dit sans accroc dans l’argumentation : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils, qu’Il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi Il a fait les mondes. » (He, 1, 1-2).
Même le fougueux Paul, quoiqu’il soit libéré du besoin de garder ses convertis facilement distraits concentrés sur la vérité plutôt que sur des histoires, écrit avec une liberté sublime : « Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec Lui, sachant que le Christ une fois ressuscité d’entre les morts ne meurt plus, que la mort n’a plus de pouvoir sur Lui. » (Rm, 6, 8-9).
S’il s’agit là de folie, c’en est une sorte que le monde n’a jamais vue, ne voit pas et ne verra jamais. Ses fruits sont le courage, la patience, la douceur, la beauté, la sagesse théologique de la grandeur qui dépasse, la volonté de souffrir joyeusement et de mourir, et une puissance qui a transformé le monde.
L’historien doit supposer que, lorsque nous traitons uniquement de l’activité humaine, des choses tout à fait uniques ne devraient jamais être posées.
Il est vrai qu’il n’y a eu qu’un seul Socrate condamné à mort par ses ennemis sur une accusation montée de toutes pièces. Mais il n’y a rien dans cette histoire que nous ne puissions retrouver ailleurs. Il y a eu des hommes sages avant, ainsi que des ennemis vindicatifs, et des jurés en colère ou subornés. Il n’y a eu qu’un seul Napoléon, mais il y a eu beaucoup trop de gens comme Napoléon. L’islam s’étend par l’épée et le feu, tout comme d’autres mouvements.
Il n’y a rien dans l’Histoire comme Pâques et ses œuvres. Il n’y a rien de tel dans un rayon d’un million de kilomètres.
Comme les fables habilement conçues par les derniers modernistes sont maigres et fragiles, eux qui vont au-delà de la crédulité de Tyrell et disent que les Apôtres ont soudain été illuminés par un mode de vie nouveau et pleinement humain, et qu’ils ont prêché la résurrection aux foules, signifiant par ce mot l’aube d’une ère de douceurs particulières. S’ils avaient simplement adopté notre façon d’annoncer la nouvelle manière par un ruban de couleur, peut-être n’auraient-ils pas dû monter sur l’échafaud, confessant jusqu’au bout le Christ qu’ils n’avaient pas vu.
Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Ses derniers ouvrages sont « Réflexions sur la vie chrétienne : notre histoire est l’histoire de Dieu » et « Dix façons de détruire l’imagination de votre enfant ». Il enseigne à l’Université Providence.
Tableau : Soleil dans une pièce vide par Edward Hopper (1963)
Source : Paper Keys II : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-ii-the-myth-of-the-madmen.html
Paper Keys IV
Voir aussi : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-iv-no-miracles-here.html
Paper Keys III
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-iii-the-keystone-crucifiers.html
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-iii-the-keystone-crucifiers.html
Paper Keys I
http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys.html
Les clés de papier – 1 : La source Q
http://www.france-catholique.fr/Les-cles-de-papier-1.html